Un tsunami de platitudes à l’assaut du reste du monde

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Un tsunami de platitudes à l’assaut du reste du monde

23 janvier 2005 — Le discours d’inauguration de GW Bush-II du 20 janvier a été l’objet d’un phénomène désormais habituel: d’abord une certaine indifférence à part l’écho médiatique au premier degré, tout cela concernant un personnage qu’on sait en général inconsistant et une dialectique fondamentalement basée sur la dissimulation et la manipulation de la réalité au profit d’une autre réalité (virtualisme). Puis il y a eu un intérêt a posteriori, une sorte de regain d’intérêt si l’on peut dire, avec une très grande largeur d’interprétation.

Depuis, ce discours est l’objet de nombreuses exégèses. Sa caractéristique principale devient alors, après cette indifférence intellectuelle initiale, qu’il suscite des appréciations très différentes, allant de la moquerie pure et simple à la dénonciation furieuse, au dithyrambe héroïque.

Quelques exemples.

• Le discours est numéroté par William Safire « among the top five of a score of second-inaugurals in our history ». (Safire précise: « Lincoln's profound sermon “with malice toward none” is incomparable, but Bush's second was better than Jefferson's mean-spirited pouting at “the artillery of the press.” »). C’est une opinion dithyrambique parmi d’autres, disons assez habituelle de la part d’un Safire coutumier de l’exercice d’encenser le pouvoir en place tout en roulant des mécaniques. La vacuité générale de ces commentaires moyennement super-durs, dont Safire fait une démonstration achevée, est consternante.

• Il y a encore plus dur que dur, plus Safire que Safire avec Charles Krauthammer, — un client bien plus sérieux. La thèse interprétative du discours, version Krauthammer, est simple: laissons les hors d’œuvre (Afghanistan, Irak) où, d’ailleurs, au fait, selon Krauthammer, tout ne se passe pas si mal que veulent bien dire les défaitistes et autres agents de diverses cinquièmes colonnes. Intéressons-nous aux plats de résistance, — des pays grands comme des continents: Chine, Russie, et puis quelques miettes (Iran, Syrie, Corée du Nord, Cuba, Venezuela). Cela donne ceci, où la guerre contre la terreur n’apparaît plus que comme un hors d’œuvre, elle aussi: « This is not a new Cold War. The United States will still remain the vastly predominant world power. But it is a challenge that history has waiting for us on the day the war on terrorism is won, and perhaps even before. There is no rest for the weary. »

• Une approche en complet contraste est celle de la dérision, décrivant le discours comme quelque chose qui se rapprocherait d’un tsunami de platitudes (nous avions écrit d'abord “océan de platitudes” mais tsunami s'est très vite imposé comme beaucoup mieux adapté à la situation et aux ambitions du propos). C’est le cas de Robert Parry, dans son article du 21 janvier sur Consortium News, intitulé “The Freedom to Follow”. Parry ridiculise un discours qui égrène dix, cent tsunami de platitudes énoncées avec l'air entendu qui convient: certes, affirmer que, « sur le long terme, il ne peut y avoir de justice sans liberté ni de droits de l’homme sans la liberté pour l’homme » relève du dictionnaire de Bouvard & Pécuchet. On pourrait ajouter que la pluie mouille et que le vent décoiffe (sauf les chauves).

« So on foreign policy, Bush told Americans that “rights must be more than the grudging concessions of dictators,” as if there are legions of people out there who would think otherwise. “In the long run, there is no justice without freedom, and there can be no human rights without human liberty,” Bush said. Take that, those who think justice can exist without freedom and that human rights can exist without human liberty.

» At another point, Bush may have left some listeners scratching their heads: “We do not accept the existence of permanent tyranny because we do not accept the possibility of permanent slavery.” Back off, those of you who accept permanent slavery or permanent tyranny. More opaquely, he added: “Liberty will come to those who love it.” . »

• Il y a la réaction furieuse qui, au contraire, tout en se plaçant en état d’opposition comme Parry, prend le discours parfaitement au sérieux et le voit comme un catalogue de l’idéologie impérialiste et hégémoniste de l’équipe GW Bush, donc un programme pour les années 2005-2009. C’est notamment le cas de David North, du site WSWS.org, en date du 22 janvier. Bien que venant d’un trotskiste, son texte est exempt de ces lourdes références idéologiques qui obscurcissent le sens. North donne une très bonne analyse de ce qu’il nomme assez justement « The logic of the irrational ». L’intérêt du texte de North, aisément accessible, est qu’il se base notamment sur le texte de Krauthammer mentionné ci-dessus (texte qui deviendra rapidement inaccessible, sauf à payer un droit de visite), éclairant le propos de l’équipe GW Bush d’une source incontestable quant à l’orientation hégémoniste.

• Le texte de Dans Balz et Jim VandeHei du Washington Post du 22 janvier également présente l’intérêt de pondérer le sens du discours selon l’appréciation de l’équipe de communication de la Maison-Blanche en fonction des premières réactions. On comprend que ce discours, évidemment écrit par l’équipe de GW selon le thème “j’aimerais parler de la liberté” (consigne de GW), est comme une sorte de chewing gum: certes, il signifie ce qu’il dit mais pas complètement, ou avec des nuances dans tel ou tel sens selon la façon dont on a réagi; du coup, on explique ce qu’on a voulu dire, si d’ailleurs on a voulu, etc. Le texte montre, au second degré, le désert intellectuel de la pensée politique de l’administration. Le discours n’expose pas une politique, il “communique”, avec comme but principal de faire oublier l’Irak, l’Afghanistan et la guerre contre la terreur, avec ses innombrables échecs. Les explications prétentieuses et vaniteuses de cet article n’ont aucun intérêt, sinon de nous signaler qu’il n’y a rien derrière ce discours, — hors la volonté de Bush d’apparaître toujours l’extrémiste qu’il joue à être depuis le 11 septembre 2001. A signaler (ci-dessous) comme d’un certain intérêt l’identification de ses sources, ses inspirateurs (on allait écrire: “ses usurpateurs”, lapsus linguae qui en dit long sur nos arrières-pensées).

« The planning of Bush's second inaugural address began a few days after the Nov. 2 election with the president telling advisers he wanted a speech about “freedom” and “liberty.” That led to the broadly ambitious speech that has ignited a vigorous debate. The process included consultation with a number of outside experts, Kristol among them.

» One meeting, arranged by Peter Wehner, director of the White House Office of Strategic Initiatives, included military historian Victor Davis Hanson, columnist Charles Krauthammer and Yale professor John Lewis Gaddis, according to one Republican close to the White House. White House senior adviser Karl Rove attended, according to one source, but mostly listened to what became a lively exchange over U.S. policy and the fight for liberty.

» Gaddis caught the attention of White House officials with an article in the latest edition of Foreign Affairs magazine that seems to belie the popular perception that this White House does not consult its critics.

» Gaddis's article is, at times, strongly critical of Bush's first-term foreign policy calculations, especially what he calls the twin failures to anticipate international resistance to Bush's ideas and Iraqi resistance to peace after the fall of Baghdad. But the article also raises the possibility that Bush's grand vision of spreading democracy could prove successful, and perhaps historic, if the right choices are made in the years ahead.

» The former Soviet dissident Natan Sharansky also helped shape the speech with his book about the hopes of democratic dissidents jailed by despots around the world. Bush recommended the book, ‘The Case for Democracy: The Power of Freedom to Overcome Tyranny and Terror’ to several aides and invited Sharansky, now an Israeli politician, to the White House in mid-November to discuss it, according to one official. »

Ce discours est intéressant plus par ce qui a présidé à sa manufacture (pas “écriture” ou “rédaction” ou n’importe quoi du genre: il a été fabriqué comme on fabrique, aujourd’hui, un produit); les interprétations, les appréciations, etc. Politiquement, il ne nous dit qu’une chose: GW n’a pas changé d’un iota. La débâcle irakienne ne lui a rien appris. Cet homme est définitivement fermé à la réalité. Son équipe évolue selon les mêmes principes (?).

Ceux qui espéraient un deuxième mandat plus réaliste, plus apaisé, plus conforme à la bonne vieille politique transatlantique et autres, ceux-là en sont totalement pour leurs frais. GW-II va être du super-GW première manière.