La surprise de Washington

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La surprise de Washington


8 janvier 2005 — Bob Zoellick, lorsqu’il était (hier encore) représentant des USA pour le Commerce (USTR), avait une excellente réputation. Ses liens de bonne entente, voire d’estime, avec Pascal Lamy (Commissaire européen pour le commerce jusqu’en novembre 2004), étaient connus. Zoellick avait coutume de confier à Lamy qu’il était limité dans ses capacités d’action pour les négociations commerciales, « par la bande de fous qui tiennent l’administration à Washington ». Ces détails archi-connus suffisent à mesurer la surprise que constitue la nomination de Zoellick comme n°2 du département d’État, aux côtés de Condoleeza Rice.

On recommandera l’excellent texte d’analyse de Jim Lobe, sur TomPaine.com, le 7 janvier, à propos de ce que Lobe désigne justement “A Rice Surprise”. Pour certains, notamment les atlantistes partisans d’un resserrement des liens entre l’Europe et les USA, cette surprise-là est sans aucun doute une “divine surprise”. La réputation d’atlantiste, de modéré, de réaliste de Zoellick, semble, comme l’écrit Lobe, « a sudden and largely unexpected ray of light for foreign-policy realists ».

Comment cette nomination a-t-elle eu lieu, alors que tout le monde attendait celle d’un super-faucon, par exemple John Bolton, selon la théorie que Rice était toute acquise au clan des faucons mené par Cheney? Voici quelques éléments que nous propose Lobe (par ailleurs, l’un des meilleurs analystes indépendants de l’évolution des néo-conservateurs à Washington), — sans pour autant s’arrêter à une explication définitive, l’événement étant encore trop neuf.


« These reports all contributed to the impression that the Cheney-led coalition of hawks that led the march to war in Iraq—mainly aggressive nationalists like Pentagon chief Donald Rumsfeld, as well as the vice president himself; pro-Likud neoconservatives, such as Rice's top Middle East aide, Elliott Abrams, and undersecretary of defense for policy, Douglas Feith; and the Christian Right—would face virtually no opposition from the State Department in Bush's second term, particularly given the ongoing purge since last summer of perceived dissidents in that other stronghold of realist thinking, the CIA.

» In reality, the situation was a good deal more complicated, particularly given the ongoing conflict between the neoconservatives and Rumsfeld over U.S. counterinsurgency strategy in Iraq and what neocons have charged is Rumsfeld's desire to achieve military “transformation” “on the cheap”.

» In addition, an ongoing investigation by the FBI into the activities of the American Israeli Public Affairs Committee (AIPAC) — a powerful lobby group close to the neoconservatives — appears to have injected a note of uncharacteristic uncertainty into those forces in recent weeks. Rumours that Feith may soon leave the administration have also gained currency in recent weeks.

» In addition, the hawks have not been able to agree among themselves on how to deal with the increasingly glaring gap between the administration's ambitious regional agenda and its threats against a nuclear rising Iran and North Korea on the one hand, and its manifest — and increasingly expensive — failure to stabilize Iraq nearly two years after the invasion on the other. »


Lobe note encore que d’autres postes restent à pourvoir, qui pourraient voir les néo-conservateurs riposter à ce rude coup (la nomination de Zoellick) qui leur est porté:


« That said, a number of other appointments that could signal that the hawks remain in charge have yet to be made. U.S. Ambassador to Turkey Eric Edelman, for example, is Rice's choice to become Undersecretary of State for Political Affairs, the Department's number three position, according to The Nelson Report . Although a career foreign-service officer, Edelman is widely regarded as a neoconservative and served as deputy national security adviser to Cheney until late 2003.

» Similarly, Bolton, who was expected to get a promotion, is reportedly still in the running for deputy national security adviser under Rice's former deputy, Stephen Hadley — a hardliner who first came to prominence under Cheney when the vice president served as Pentagon chief under Bush Sr. — but is also considered loyal to the less-ideological Rice. »


On peut avancer quelques remarques pour tenter de proposer un premier commentaire à cette « Rice Surprise ».

• A Bruxelles, cela va être l’ivresse, au moins jusqu’à la visite de GW le mois prochain. Tout l’establishment institutionnel européen va prendre cette nomination pour un “signe positif” d’une considérable importance, pouvant entraîner une considérable amélioration des relations USA-Europe.

• Courte vue, comme d’habitude. L’establishment institutionnel européen n’a pas encore compris qu’il n’y a pas de querelle concrète fondamentale entre Europe et USA, mais une incompatibilité d’humeur qui est, elle, au contraire, complètement fondamentale. Aucun accord ne peut rétablir de bonnes relations, à moins de songer à des décisions hors de question (soldats français et allemands en Irak, par exemple), — et encore, l’amélioration ne durerait que quelques semaines.

• Notre analyse de la nomination de Zoellick est qu’il s’agit d’une décision politicienne, résultant de la bataille constante en cours entre les différents groupes au sein de l’administration. Il ne s’agit pas d’un tournant idéologique mais, plutôt, d’une riposte de Rice à ce déluge d’analyses la peignant comme effacée et soumise aux faucons type-Cheney. Rice a pu profiter des déchirements qui parcourent les groupes faucons, tels que les décrit excellemment Jim Lobe. (Au reste, telle que Lobe l’explique, l’acceptation de Zoellick du poste de n°2 du département d’État n’a rien à voir avec l’idéologie, et tout avec l’ambition personnelle, très politicienne: « Insiders told […] that Zoellick decided to take the position on the assumption that he would be the logical choice for secretary of state if Rice left to return to academic life or run for the Senate next year against the Democratic incumbent, Dianne Feinstein, or if a Republican candidate wins the 2008 presidential election. ».)

• La question qui se pose est bien celle-ci: est-ce bien une victoire d’une soi-disant politique modérée ou réaliste? On en doutera fortement. Avec Rice-Zoellick, on retrouve, en un peu moins sûre (Rice ne faisant pas le poids et étant idéologiquement flottante) une certaine équivalence avec Powell-Armitage. On a vu, en 2001-2005, ce que Powell-Armitage étaient capables d’obtenir en fait d’influence vers une politique modérée. Pire encore: il nous semble qu’un département d’État à nouveau désigné comme une citadelle de “modération”, pro-européenne et internationaliste à cause de la nomination de Zoellick, risque de refaire l’unité des faucons (néo-conservateurs et Rumsfeld) contre lui; alors que la formule d’un département d’État phagocyté par les faucons avec, par exemple, la nomination de Bolton à la place de Zoellick, aurait offert une situation où les querelles internes aux faucons, en l’absence d’“ennemi” bureaucratico-idéologique, auraient pu proliférer à volonté. Le paradoxe de la nomination de Zoellick est que cette décision est assez forte pour éventuellement refaire l’unité des faucons en ressuscitant leur haine contre le département d’État (et contre toute politique modérée, et contre l’Europe), et pas assez forte pour imposer une modification générale vers une politique plus réaliste.

• Le seul événement qui pourrait apporter un élément de bouleversement dans ces querelles internes, c’est une déroute US en Irak, qui devient une option de moins en moins inconcevable. Mais, certes, nul n’en peut voir actuellement les conséquences, Zoellick ou pas Zoellick, — et, dans le cadre d’un tel bouleversement, la nomination de Zoellick devient un événement secondaire.