5.500 déserteurs ?! Irak-Viet-nâm, même (non-)combat ?

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5.500 déserteurs ?! Irak-Viet-nâm, même (non-)combat ?


10 décembre 2004 — Nous l’admettons, nous avons été stupéfaits en découvrant le chiffre de « more than 5,500 servicemen ». Explications, sur CBS News, en date du 8 décembre, en commentaire de l’émission 60 Minutes du 8 décembre. (La question est d’ores et déjà reprise et relayée par d’autres médias, notamment Le Times de Londres.)


« The Pentagon says more than 5,500 servicemen have deserted since the war started in Iraq.

» 60 Minutes Wednesday found several of these deserters who left the Army or Marine Corps rather than go to Iraq. Like a generation of deserters before them, they fled to Canada.

» What do these men, who have violated orders and oaths, have to say for themselves? They told Correspondent Scott Pelley that conscience, not cowardice, made them American deserters.

» “I was a warrior. You know? I always have been. I’ve always felt that way -- that if there are people who can’t defend themselves, it’s my responsibility to do that,'' says Pfc. Dan Felushko, 24.

» It was Felushko's responsibility to ship out with the Marines to Kuwait in Jan. 2003 to prepare for the invasion of Iraq. Instead, he slipped out of Camp Pendleton, Calif., and deployed himself to Canada.

»  “I didn’t want, you know, ‘Died deluded in Iraq’ over my gravestone,” says Felushko. “If I'd gone, personally, because of the things that I believed, it would have felt wrong. Because I saw it as wrong, if I died there or killed somebody there, that would have been more wrong.” »


Le chiffre nous a paru stupéfiant par son importance. Aussitôt nous est venue l’idée d’une comparaison avec le Viet-nâm. Durant la guerre du Viet-nâ, le phénomène de la désertion reçut une publicité considérable et eut un impact important ; en tout état de cause, il constitue effectivement un phénomène important en volume. Nous reconnaissons n’avoir guère d’expérience en la matière (volume réel de désertion) et nous avons demandé l’aide habituelle du moteur de recherche.

Nous avons sélectionné un site qui nous semble être sérieux pour nous donner la référence du Viet-nâm, le site miafacts.org, surtout consacré à la question des MIA (Missing In Action, ou “disparus au combat”), au Viet-nâm. Le site présente une comptabilité des désertions qui nous semble acceptable. Cette comptabilité ne semble pas dépendre d’un point de vue polémique, d’autant plus que cette question est accessoire dans ce cas (le centre d’intérêt du site concerne la réalité des MIA). D’autre part, l’auteur et le propriétaire du site, Joe Schlatter, se présente comme ayant été un analyste de la DIA (Defense Intelligence Agency, le service de renseignement du Pentagone) notamment impliqué autour de la fin des années 1980 dans la recherche du nombre réel de déserteurs. (En effet, dans cette pyramide de désinformation et d’information dirigée qu’est le système de l’américanisme, la réalité n’est pas prise en compte. Le mensonge tient lieu de réalité et l’on perd toute trace de réalité pour s’en tenir à une sorte de “réalité bureaucratique”. Pour retrouver la “réalité vraie”, il faut enquêter, y compris lorsqu’on est soi-même du Pentagone, et du service de renseignement encore.)

Cela pour en venir en fait : il semble bien que Schlatter (et la DIA) ait décompté autour de 4.000 déserteurs au Viet-nâm. Voici l’extrait qui concerne l’évaluation. (On aura en même temps un coup d’œil sur la méthodologie employée par le Pentagone pour considérer qu’un soldat est un déserteur.)


« In the late 1980s, when I was Chief of the DIA Special Office for POWs and MIAs, we did a thorough scrub of the deserter records. First, we went to each of the military services and asked for their records of men who were classified as deserters from Vietnam. Then, we scrubbed those records, one by one, to determine as best we could what really happened to each of these men. The answer was interesting. But first, you will have to wade through some boring stuff.

» Boring Stuff: How the military services account for people

» To understand what we encountered with our deserter analysis project, you first need to understand how the military services account for people. Because I am a retired Army guy, my terminology will be that of the Army. The other services operate the same way, but some use different terms. Every military member must be accounted for by being either present for duty; sick and not on duty; temporarily separated from his/her unit for training or some other special requirement; enroute to another unit; on leave or pass; missing in action; prisoner of war; prisoner of the US military; incarcerated in a civilian prison; or absent without leave (AWOL; the Marines call it UA, unauthorized absence).

» When an individual leaves one unit with orders to report to another unit, there must be a date when accountability shifts from the losing unit to the gaining unit. Consider this common occurrence. An individual is stationed in the States and receives orders reassigning him to Europe. Enroute to Europe, he will take some leave, go to a school in the States for a few weeks, take more leave, then report to his new unit. On whose personnel strength report does this individual appear for the period that he is on leave or in school? What happens if he does not report to the school or to the new unit?

» Reassignment orders, for both temporary and permanent reassignment, have a reporting date, the date on which you must be standing tall, duffel bag in hand, shoes shined, hair cut, brass polished, in front of your new first sergeant. If an individual does not report on his reporting date, he is carried on the rolls of the gaining unit as AWOL. After thirty days, he is DFR — Dropped From the Rolls — and reported as a deserter. DFR is a manpower accounting practice that does two things. First, it allows the gaining unit, which is now short one person, to request a replacement from personnel channels and, second, it allows legal action to be started against the now deserter.

» What We Found

» When our analysts completed work with the services, we had a list of — and this is from my memory — close to 4,000 individuals who had deserted from units in Vietnam. We were shocked at this number because the official list of missing men carried — again, this is my memory at work — either 42 or 44 in the status of deserter. Upon further examination, we found that what we were looking at was a function of the way the military services account for their people.

» As we tracked individual cases, we found that practically everyone of the 4,000 or so were men who were in the States (a few were in other assignments such as Germany, Japan, etc.). They received orders to go to Vietnam, complete with a unit of assignment in Vietnam and a reporting date. They never showed up in Vietnam. But, because they were on orders to units in Vietnam, they were picked up on those rolls, carried as AWOL, then, after thirty days, DFR and reported. Because they were reported as DFR by a unit in Vietnam, they showed up as being a deserter from Vietnam.

» Our analysts, working with the services, scrubbed and scrubbed and the result was that, after we culled all the cases not in Vietnam, we were down to 40-something individuals who appeared, based on the information available, to have gone over the hill while still in Vietnam. »


Quoiqu’il en soit et, même en tenant compte de la relativité d’exactitude de ces chiffres, la stupéfaction s’impose. L’ordre de grandeur est bien là : il y a eu autant sinon plus de désertions pour la guerre en Irak (21 mois de conflit de basse intensité, effectif déployé constamment de 130.000 à 150.000 hommes, dans un climat public d’“hyper-patriotisme”) qu’au Viet-nâm (8 ans [1965-73] de guerre d’intensité moyenne/haute, près de 600.000 hommes déployés au plus haut de l’engagement, dans un climat de contestation systématique à partir de 1968). Cela mesure le trouble extraordinaire, quoique silencieux ou non-exprimé, qui touche les Américains, en considérant que l’acte de désertion est particulièrement grave et que pour un déserteur effectif on peut compter au moins autour de 5 envisageant de déserter mais ne le faisant pas ; en considérant également que ces soldats sont, peu ou prou, des volontaires et non des appelés mobilisés.

L’Irak est en train de se révéler dans toute sa lumière, comme un reflet de l’incapacité et de l’inconscience de la direction américaine. Il s’agit d’un conflit complètement fou, bien pire à tous les points de vue que ce que fut le Viet-nâm, qui conduit une politique violente contre les civils avec des pertes civiles considérables et un réseau systématique de tortures mettant les Etats-Unis au niveau des plus sanglantes dictatures ; un conflit qui est en train de briser les structures mêmes des forces armées américaines, avec ces désertions et le désordre du fonctionnement de ces forces qui équivalent très largement aux heures les plus sombres de l’Armée Rouge durant la Guerre froide (référence d’inefficacité militaire et idéologique de la période) ; tout cela, avant qu’il n’atteigne, d’une façon ou l’autre, le public américain lui-même.

Deux remarques, pour terminer :

• Le nombre de déserteurs montre que le degré de conscience des conditions des projets de l’administration GW avec sa “guerre préventive”, et de la stupidité des conceptions qui soutiennent ces projets, est beaucoup plus fort qu’on ne croit en général. Cette conscience est parfaitement assumée, comme le confirment les arguments que les déserteurs présentent pour expliquer leur décision.

• On peut tenter d’imaginer ce que ce problème deviendrait s’il y avait réinstallation de la conscription (alors que la conscription existait du temps du Viet-nâm, fait qui est avancé pour expliquer les remous politiques, les désertions, etc). Ce serait toute la cohésion des forces armées qui serait en cause, ainsi que la stabilité de la population aux USA, c’est-à-dire la survie du régime américaniste lui-même.