Le virtualisme en action et au pouvoir: les militaires et GW

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Le virtualisme en action et au pouvoir: les militaires et GW


7 novembre 2004 — Dans une récente (4 novembre) conversation avec des lecteurs du Washington Post, le journaliste Seymour Hersh a donné certaines précisions assez remarquables sur les rapports entre les militaires américains et leur président (récemment réélu), GW Bush. Ces précisions sont intéressantes à cause de la source. Hersh, du New Yorker, depuis plus de trente ans auteur de nombreuses enquêtes sensationnelles (à commencer par le massacre de My-Lai), est un des journalistes américains les mieux informés dans les milieux militaires et du Pentagone.

« I worried about the inability to the men running the U.S. Government to accept information that challenges their assumptions and their belief. It's very frightening and the fact is that our senior military are very reluctant to give Bush and Cheney and Rumsfeld any bad news. Sounds insane, doesn't it?

(…)

» The military are scared of telling Cheney and Bush the truth and that will have to end within the next six months. They cannot deliver in Iraq what the president wants, and we'll have to start getting out. So I believe anyway. This could lead to a more moderate, or modest, approach. But moderation, if it comes, will have to come from the outside — there will be no inside push to do anything but expand the current crisis. Pretty amazing, isn't it? »

(…)

» … Crucial question, and thus far the Bush crowd has been able to crush any attempts for more openness, in terms of how they develop policy, etc etc. There seems to be unlimited power, given the passivity of the press and the Congress, but i'm betting on the integrity of the military. We cannot do in combat what the White House wants done, and at some point the generals and admirals will have to tell the president the bad news. it won't come from us in the press, or in the congress, — barring a huge change. »

Ces précisions de Hersh permettent de comprendre comment fonctionne désormais le gouvernement des Etats-Unis. Il s’agit ici d’un domaine parmi d’autres même s’il s’agit d’un des plus sensibles. Il n’y a aucune raison de penser que les autres domaines ne fonctionnent pas de cette façon. (On a déjà pu se faire une idée de l’existence de ce phénomène également au niveau des services de renseignement.)

Il s’agit du dispositif du virtualisme en train de se compléter. On dispose désormais d’une masse importante d’informations montrant que le virtualisme est une base réelle donnant à l’administration GW Bush un cadre de travail à partir d’une psychologie collective complètement pervertie : la “faith-based community” y remplace de plus en plus nettement la “reality-based community”. L’attitude des autres groupes de pouvoir complète ce dispositif central. Dans le cas des militaires, les motivations sont probablement très humaines, et à mesure de la décrépitude morale et psychologique du système : respect du conformisme, crainte pour les carrières personnelles, ambitions, etc.

Dans le cas décrit par Hersh, bien entendu, le heurt avec la réalité se produit tous les jours et devrait encore s’aggraver dans les mois qui viennent, jusqu’à l’un ou l’autre point de rupture (« We cannot do in combat what the White House wants done, and at some point the generals and admirals will have to tell the president the bad news »). Le véritable enjeu, évidemment, est que cette réalité n’a aucune chance de convaincre la direction, totalement sous la coupe de ses conceptions virtualistes. Les décisions prises en fonction des incursions forcées de la réalité, pour cause d’événements graves, entraîneront des décisions graves elles-mêmes, allant nécessairement dans un sens qui aggravera encore la situation puisque décidées selon une vision qui refuse ce réel. C’est une spirale sans fin d’événements catastrophiques qui nous attend, et, surtout, qui attend l’administration GW Bush.

L’incident Hoon-Rumsfeld, ou l’incursion du virtualisme dans les “special relationships”

Cette attitude de l’armée, qui vaut pour toutes les autorités civiles de l’administration GW, est-elle l’explication du récent incident rapporté par le ministre britannique de la défense Geoffrey Hoon ? C’est possible. Alors que les Britanniques se déchiraient au début octobre sur la question de l’envoi d’une unité britannique en renfort des Marines américains autour de Falloujah, Hoon, rencontrant son collègue américain Rumsfeld à cette époque, une semaine avant la requête américaine formelle, n’a pas entendu une seule parole de l’Américain concernant cette affaire — ni demande d’informations sur la situation politique au Royaume-Uni, ni explication sur la demande d’aide. (Voir le Daily Telegraph du 3 novembre.)

Hoon a révélé l’affaire aux Communes le 2 novembre, provoquant une fois de plus diverses interventions furieuses des parlementaires.

« Geoff Hoon astonished MPs yesterday by revealing how he was apparently kept in the dark about controversial US plans to request the redeployment of the Black Watch in Iraq. The Defence Secretary said he met Donald Rumsfeld, his American counterpart, a week before Washington submitted a formal request for the British troops to be sent to a trouble spot near Baghdad but Mr Rumsfeld “did not mention it”.

» Giving evidence to the Commons defence committee, Mr Hoon said he was not surprised that Mr Rumsfeld had not raised the issue because it was primarily a military matter, rather than a political one. But one MP said he was “frankly astounded” that Mr Rumsfeld did not see fit to discuss the matter with Mr Hoon when the two men met at a Nato meeting.

(…)

» Asked to explain why Mr Rumsfeld had not discussed the matter with him, Mr Hoon said the fact that British ministers were accountable to Parliament meant that they were sometimes told more about military decision making than their political counterparts in other countries. He said that the request to redeploy the Black Watch - formally submitted on Oct 10 — was “military to military” and not duplicated at a political level.

» James Cran, a Conservative member of the committee, said: “I'm frankly astounded that you have two allies as close as the UK and the US with a highly controversial request and that there was no high-level political contact at a much earlier stage.” »

On a deux explications possibles pour cet étrange incident, étant admis que l’explication de Hoon (Rumsfeld non informé par ses militaires) est extrêmement faible et bien dans la manière du ministre britannique, — à moins qu’elle n’implique une suggestion, volontaire ou pas, pour la deuxième explication. Rumsfeld gère le Pentagone de manière très centralisée et entend être informé de toutes les matières militaires ayant une dimension politique éventuelle. Les deux explications sont les suivantes :

• L’habituelle indifférence du secrétaire à la défense pour ses alliés britanniques, d’où son silence. L’explication est possible mais improbable : les Britanniques n’ayant pas encore accepté la demande US (non encore officielle), Rumsfeld aurait dû être plus attentif avec son collègue britannique.

• L’explication-Hersh : les militaires américains évitent de transférer les informations mauvaises ou polémiques à leurs autorités civiles, pour éviter tout remous. Ils n’ont pas informé Rumsfeld, selon le principe détaillé par Hersh. Si c’est le cas, Hoon et les Britanniques ne semblent pas avoir compris toutes les implications du problème.