Zakaria au chevet du malade

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Fareed Zakaria, Américain d’origine indienne, est un membre éminent de l’establishment washingtonien, tendance dite “réaliste” et portant haut et fort un internationalisme de conviction qui prend en général bien des liberté avec lui-même lorsqu’il s’agit de son application dans la politique étrangère US. Zakaria est aussi un adepte inconditionnel du libre-échangisme et du capitalisme néolibéral qui projette et impose l’américanisme hors de ses frontières sous l’étiquette de globalisation. Enfin, Zakaria possède une grande influence au travers de ses diverses positions dans le monde médiatique, autant comme directeur de la rédaction de Newsweek, comme consultant de CNN, comme collaborateur régulier de Foreing Policy, l’organe du Council Foreign Affairs dont il fait partie, que comme auteur dévolu à la promotion du néolibéralmisme.

Il est donc intéressant d’avoir son analyse sur la crise et, plus particulièrement pour notre compte, sur l’évolution des USA en fonction de la crise et après la crise, – dans l’hypothèse où il y a un “après”. Dans ce court interview de CNN.News du 9 octobre, Zakaria parle donc de l’Amérique après nous avoir expliqué les “fondamentaux” de la crise et nous avoir assuré que le capitalisme, qui est coutumier de cette sorte de crise bien que celle-ci soit exceptionnelle, s’en sortira évidemment. («It's ugly. But the history of capitalism is filled with credit crises, panics, financial meltdowns and recessions. It doesn't mean the end of capitalism.»)

Zakaria: […] Clearly, America's financial system needs new, different and better regulations for the 21st century, and this crisis should help produce those.

CNN: What does it mean for the United States?

Zakaria: People around the world once saw the United States as the most modern, sophisticated and productive economy in the world. Now they wonder, was this all a house of cards? They listened to American policymakers with respect, even awe. Today, they wonder if these officials know what they are doing. This loss of credibility will have hard consequences. For decades, the United States has attracted massive amounts of capital -- 80 percent of the surplus savings of the world -- which has allowed it to live beyond its means. That era is drawing to a close. America will have to fight to attract capital and investment like every other nation.

CNN: What can we do?

Zakaria: We need to wake up and get serious about our challenges. We must address all these issues, and fast -- restore confidence, reform the system, return the country to fiscal sanity. We have the opportunity to remain the pivotal player in a richer, more dynamic, more exciting world. But we have to take a substantial shift in our approach.

Nous donnons ces extraits, non pour leur valeur de prévision, s’ils en ont une, mais pour fixer la réflexion dans des milieux politiques et financiers en général très puissants et dominants aux USA, à Washington et à Wall Street. On peut en effet être sûr que Zakaria en est l’écho fidèle. De ce point de vue, on tirera trois enseignements des déclarations de Zakaria comme s’il s’agissait de l’opinion dominante aujourd’hui dans les milieux politico-financiers US.

• Le premier enseignement est qu’il y a une prise de conscience et une reconnaissance du sérieux de la situation qui affecte les USA, du point de vue de leur situation générale dans le monde. Les milieux politico-financiers washingtoniens semblent de ce point de vue être plus “réalistes” que les experts washingtoniens en stratégie et en sécurité nationale, qui continuent à arguer de la puissance fondamentale des USA comme d’un élément suffisant pour assurer une certaine persistance de l’hégémonie US. Plus proches de la crise financière et de sa signification, notamment ses répercussions au niveau de l’influence financière US dans le monde (accès aux capitaux et aux investissements), ces milieux sont nettement plus pessimistes, ou “réalistes” encore une fois, à propos de la détérioration de la situation.

• Pour autant, et inversement pourrait-on dire, Zakaria ne s’inquiète pas des répercussions du déclin de la puissance financière US qu’il décrit sur les autres domaines qui sont moins de sa compétence et de son goût, notamment la stratégie et les engagements US dans le monde, la culture et l’influence d’une manière générale, enfin l’influence politique. Il ne semble pas préoccupé de l’effet d’enchaînement, l’effet de domino ou l’effet boule de neige, quelque nom qu’on lui donne, entre tous ces domaines, chaque effet de l’un sur l’autre alimentant un effet en retour, tous ces effets s’accumulant dans le sens de la dégradation.

• Les modifications qu’il suggère dans le comportement et la politique US en matière commerciale, financière et économique, ne prennent pas en compte les caractères on dirait psychologiques fondamentaux de l’Amérique “exceptionnaliste”. Là aussi, comme en tant d’autres domaines, les USA sont simplement incapables d’acter un déclin de leur position dans le monde, qui soit officialisé par une différence de statut et une modification de leur politique. L’Amérique a une vision religieuse de sa position et de son action dans le monde. Ce n’est pas une attitude qui permette d’envisager des prolongements comme le compromis, la négociation, le retrait négocié, l’acceptation conditionnelle d’un affaiblissement institutionnel dans le monde. Cette absence complète de capacité d'adaptation est de loin le principal problème des USA pour plus tard, celui qui nous fait penser qu’à cette crise actuelle, qui est déjà en grande partie une crise américaniste, succèdera la crise de l’américanisme lui-même.


Mis en ligne le 9 octobre 2008 à 13H26