Washington et le fantôme de Chavez

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Washington et le fantôme de Chavez

Il est difficile de mesurer les “sentiments” d’un système, et surtout si cette chose existe. Pourtant, notre conviction est que, dans le cas de ce que nous appelons le Système (majusculé, et en un sens personnalisé), “la chose” existe certes d'une certaine façon, et que les sentiments du Système sont extrêmes sinon absolus, sans rémission et sans retour. Le Système étant particulièrement bien implantés et représenté dans l’américanisme et dans ce qu’on nomme “Washington”, nous ferons donc l’hypothèse que le sentiment principal sinon exclusif qui guide présentement la politique vénézuélienne du système de l’américanisme est celui d’une haine absolument inextinguible et absolue contre Chavez, par-delà sa disparition, et qu’elle est essentiellement inspirée par le Système, – une haine-Système, par conséquent et pour être précis.

A notre sens, ce sentiment extrême et irrationnel constitue l’explication centrale, sombre et profonde, et affectant principalement la psychologie, du comportement des USA vis-à-vis du Venezuela et de son nouveau président. Cette politique, depuis l’élection de Maduro, est aussitôt expliquée par les esprits rationnels comme une manœuvre de subversion réfléchie et dont on craindrait l’efficacité. Au contraire, selon nous, la position est irréfléchie et porte des risques considérables, au moins autant sinon plus et même beaucoup plus pour les USA et leurs intérêts que pour le Venezuela. Les fonctionnaires qui transcrivent cette politique sont, pour la plupart, fortement influencés par cette pression du Système, et l’on en trouve les traces dans certaines positions publiques. C’en est une, – outre de nous donner une mesure de l’autonomie intellectuelle et de la vivacité d’esprit du personnage, – d’entendre, mercredi dernier devant le Congrès, le secrétaire d’État expliquant que les USA “ne reconnaissaient pas” l’élection de Maduro, et se référant à l’Amérique Latin comme à “l’arrière-cour” des USA (« United States’s back yard») : comme performance diplomatique et de communication, on ferait mieux. (Kerry apparaît de plus en plus, avec cette sorte d’impair qui ne reflète qu’une lecture automatique de textes de discours et d’interventions rédigés par sa bureaucratie-Système, comme une brute pommadée, à l’image d’Hillary avec en plus une insignifiance plus affirmée et en moins la pétulance de la dame qui pouvait attendrir le jugement de certains.)

Dans le Guardian du 22 avril 2013, Mark Weisbrot, qui s’y connaît en matière d’ingérence US dans les affaires vénézuéliennes/latino-américaines, fait le point des efforts US pour délégitimer Maduro, son élection, la position actuelle du Venezuela, en refusant de reconnaître le nouveau président, en soutenant sinon en suscitant le refus du candidat de l’opposition Capriles de reconnaître le nouveau président, et en tentant d’isoler le Venezuela post-Chavez. On citera ici le passage de l’article de Weisbrot sur ce dernier point des efforts de Washington pour isoler Caracas, et se retrouvant lui-même complètement isolé.

«On Wednesday, the government of Spain, Washington's only significant ally supporting a “100% audit” reversed its position and recognised Maduro's election. Then the secretary general of the Organisation of American States (OAS), José Miguel Insulza, backed off his prior alignment with the Obama administration and recognised the election result.

»It was not just the left governments of Argentina, Brazil, Ecuador, Bolivia, Uruguay and others that had quickly congratulated Maduro on his victory; Mexico, Colombia, the Dominican Republic, Guatemala, Haiti and other non-left governments had joined them. The Obama administration was completely isolated in the world.

»Washington's clumsy efforts also helped highlight the election as an issue of national sovereignty, something that is deeply cherished in the region. “Americans should take care of their own business a little and let us decide our own destiny,” said Lula da Silva at a rally in Brazil. Of course, there were screaming ironies: George W Bush “defeated” Gore in 2000, losing the popular vote and “winning” Florida officially by perhaps 900 votes with no official recount...»

En écrivant cet article, Weisbrot n’était pas au courant des derniers développements qui marquent une aggravation supplémentaire de la situation des relations entre les USA et le Venezuela, malgré une tentative de Maduro d’améliorer ces relations par le biais de l’ancien secrétaire à l’énergie de l’administration Clinton, Bill Richardson, d’origine hispanique par sa mère et qui a d’assez bonnes relations avec les pays d’Amérique Latine. Cette aggravation vient d’une prestation de l’assistante du secrétaire d’État Roberta Jacobson, ce weekend à CNN. A la question étonnante de savoir si les USA n’allaient pas décider des sanctions contre le Venezuela à la suite de cette élection qui n’est pas recomptée “à 100%” comme l’exigent en toute légitimité de droit divin ces mêmes USA, Jacobson a répondu qu’elle ne pouvait pas écarter cette possibilité. Devant cette extraordinaire position d’ingérence dans une élection démocratique d’un pays souverain, le gouvernement vénézuélien a réagi. Russia Today rapporte la chose, ce 23 avril 2013.

«In response to remarks from US Assistant Secretary of State Roberta Jacobson, Venezuelan Foreign Minister Elias Jaua warned that any sanctions imposed by the US for its April 14 presidential ballot would be met with punitive oil and trade measures.

»Over the weekend Jacobson commented on CNN en Espanol, stating that the Venezuelan state moved too quickly in proclaiming Nicolas Maduro its new president in light of tight electoral results, and that half of the country’s public rejected the results. When Jacobson was asked whether the US would go so far as to impose sanctions if Venezuela refused to recount poll results, she could not confirm or deny the possibility.

»In response to Jacobson’s remarks, Foreign Minister Jaua said that his country held the US responsible for the violence that followed the election and has so far left eight people dead. He added that Venezuela would respond in kind to any US sanctions. “You can be certain that in the face of sanctions of any kind we will respond with economic, political, diplomatic actions to defend the sacred right of the will of the Venezuelan people,” Jaua noted in an interview with broadcaster Telesur.»

Lorsque nous parlons de “haine du Système”, nous substantivons effectivement une attitude et une politique difficilement compréhensibles. S’il y a effectivement dans la bureaucratie de l’administration Obama des personnages qui agissent et raisonnent eux-mêmes selon ce sentiment, les plus hauts échelons, là où les décisions se prennent en théorie, devraient pouvoir instrumenter une politique plus subtile et plus efficace (y compris pour tenter de faire chuter le régime), qui soit dégagée de la rancœur terrible accumulée par les USA contre Chavez. Ils ne le font pas, ce qui, à notre sens, montre la puissance de la pression des forces poussant à une politique aveugle d’agression et de subversion à peine clandestine en lieu et place de la diplomatie. Il s’agit d’une influence qui dépasse manifestement le cadre humain.

La position des USA tend effectivement vers un extrémisme de plus en plus dangereux, d’abord pour eux-mêmes, sinon autodestructeur bien dans les habitudes du Système. L’exigence de “recomptage à 100%” est quasiment impossible à rencontrer techniquement, à cause de la modernité du système vénézuélien entièrement automatisé, l’un des premiers systèmes électoraux démocratiques du monde (sans doute un argument de poids pour justifier la “diplomatie” US). De toutes les façons, les diverses vérifications faites jusqu’ici, et il y en a eu, ont toutes confirmé le résultat en faveur de Maduro. Weisbrot notre :

«But the demand for a recount in Venezuela was farcical from the beginning. Voters mark their choice by pressing a touch screen on a computer, which prints out a receipt of the vote. The voter checks the receipt and deposits it in a ballot box. When the polls close, 53% of the machines are randomly selected and their results compared with the paper, in front of witnesses from all sides. There were no reports of mismatches, so far not even from the opposition camp. The opposition representative on the national electoral council, Vicente Díaz, acknowledged that he had “no doubt” that the vote count was accurate. “No doubt” is an understatement. My colleague David Rosnick calculated the probability that extending the audit to the remaining 47% of machines could change the result of the election: about one in 25 thousand trillion.»

Bien entendu, la position diplomatique et principielle des USA, s’ingérant pour demander un recompte à 100% des voix et émettant ainsi un doute fondamental sur la validité de l’élection est totalement extravagante, – et dans son esprit totalement illégale et agressive, alors qu’ils soutiennent et éventuellement financent les manifestations et les troubles que l’opposition a déclenchés depuis l’élection. Les USA sont eux-mêmes producteurs réguliers de fraudes électorales massives (peut-être est-ce une autre raison de leur politique vénézuélienne : le désir d’étudier de près le système électoral du Venezuela?) ; les USA sont donc largement moins démocratiques que le Venezuela, et leurs exigences a fort peu de précédents dans l’histoire diplomatique, en représentant une ingérence quasiment de type annexionniste (disons l'arrière-cuisine encore plus que l'arrière-cour). L’effet dans les pays d’Amérique Latine est considérable, et la déclaration de Lula mentionnée par Weisbrot représente la position officieuse de la présidente Rousseff du plus puissant pays du continent, et des pays du continent en général. Si les USA poussaient encore leur ingérence, s’ils allaient jusqu’à l’hypothèse des sanctions, ce n’est pas au seul Venezuela qu’ils se trouveraient confrontés mais à l’Amérique Latine toute entière. C’est notamment de ce point de vue qu’on peut considérer la politique US, qui représente un pas de plus considérable dans l’illégalité agressive de la doctrine de regime change, comme extrêmement risquée de la part des USA. La radicalisation US pousse, sinon oblige le Venezuela à durcir sa propre position, à durcir la position des militaires vénézuéliens, éventuellement à fragmenter l’opposition ; en cas de mesures plus graves (certains ont souvent évoqué une intervention US directe), c’est la possibilité très réelle de l’intervention d’autres pays latino-américains en soutien du Venezuela. (D’une façon générale, cette épreuve de force en cours devrait aussi avoir comme résultat de rajouter une légitimation symbolique et psychologique puissante à la position de Maduro si celui-ci manœuvre avec habileté et fermeté, ce qui serait un avantage certain pour ce nouveau président qui est très loin d’avoir le poids et la popularité de Chavez.)

C’est bien en cela qu’il s’agit d’une politique irrationnelle, d’ailleurs influencée par la frange extrémiste de l’opposition vénézuélienne qui a souvent fait des erreurs de calcul parce qu’elle se trouve souvent menée par la même inclination émotionnelle exacerbée. Le Système, dans le chef des USA, produit d’extraordinaires attitudes de vindicte et de haine personnelles (on le voit aussi dans des cas comme celui de Assange ou du soldat Manning), qui font effectivement songer à une sorte de personnalisation psychologique hystérétique renvoyant à des caractères humains dans leurs pires excès. Le cas de Chavez est ainsi exemplaire. L’actuelle politique US contre le Venezuela est effectivement l’expression d’une vindicte haineuse, par-delà la mort, contre le soldat vénézuélien devenu homme d’État, qui a bouleversé la position politique et principielle fondamentale de l’Amérique Latine vis-à-vis de son oppresseur du Nord. Par conséquent, ce qui est en jeu est non seulement une domination à l’agonie que les USA tentent de sauver par une démonstration de force grossière, mais également le principe de la souveraineté et de la légitimité sur lequel l’Amérique Latine a développé sa nouvelle position.


Mis en ligne le 24 avril 2013 à 06H47

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