Vers une “révolte des scientifiques” ?

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“Finalement”, nous dit le titre de l’article, des scientifiques deviennent furieux, ils deviennent activistes, rebelles, dissidents, et la police commence à avoir des casiers judiciaires sur eux à la suite d’arrestations pour des actions sur la voie publique. Ils appellent même à la révolte. L’objet de cette révolte ? L’indifférence ou la faiblesse des directions politiques face au réchauffement climatique, et la faiblesse des réactions du public.

Il ne s’agit, – pour l’instant, – que d’un “petit groupe” de scientifiques. Le cas de James Hansen, un scientifique fameux de la NASA et l’un des premiers dénonciateurs du danger de la crise climatique, est exposé au début de l’article de Michael Brooks, dans le Guardian du 5 juillet 2011.

«James Hansen never expected to become a radical activist at the age of 65. He is a grandfather who loves nothing more than exploring nature with his grandchildren. He holds down a respectable job as the director of Nasa's Goddard Institute for Space Studies. But he is 70 now, and he has a police record.

»Hansen gets himself arrested, testifies in court on behalf of others who have broken the law and issues public pronouncements that have made Nasa try to gag him – all because he can't bear the thought that his grandchildren might hold him responsible for a burned-out planet.

»Hansen is the climate scientist's climate scientist. He has testified about the issue in front of Congress, but has had enough of the standard government response – “greenwash”, he calls it. Last month, Hansen issued an uncompromising plea for Americans to involve themselves with civil unrest over climate change. “We want you to consider doing something hard – coming to Washington in the hottest and stickiest weeks of the summer and engaging in civil disobedience that will likely get you arrested,” he says in a letter on grist.org.»

Ce cas reste extrême, et le nombre de scientifiques devenus contestataires et activistes comptabilise encore une très petite minorité. Ce n’est pas que les scientifiques soient divisés sur la question du réchauffement climatique. Près de 98% des scientifiques impliqués, par l’une ou l’autre des multiples disciplines travaillant dans la question de la crise climatique et environnementale, partagent la prospective et la conclusion d’un avenir catastrophique, et très rapidement catastrophique si aucun ensemble de mesures radicales n’est pas décidé rapidement ; surtout, ils acceptent l’argument de la responsabilité humaine dans ce processus, donc la nécessité d'autant plus pressante, avec l'argument moral en plus, d’une action humaine radicale. Cela contraste avec la perception du public, surtout aux USA : 17% des personnes interrogées croient qu’une majorité conséquente des scientifiques est “sceptique” vis-à-vis de la crise climatique, et 43% croient que la communauté scientifique est fortement divisée.

La situation d’une riposte activiste est une affaire très controversée dans les milieux scientifiques, malgré l’avis quasi unanime sur la gravité de cette crise et la responsabilité humaine.

«Hansen's attitude echoes that of Sherwood Rowland, who won a Nobel prize for his research into the effects of chlorofluorocarbon (CFC) gases on the ozone layer. “What's the use of having developed a science well enough to make predictions,” Rowland said, “if all we're willing to do is stand around and wait for them to come true?”

»Rowland's colleagues shunned him for his activism. Even the iconic environmentalist James Lovelock called for a “bit of British caution” in the face of what he saw as Rowland's “missionary” zeal for a ban on CFCs. In the end, it was only the terrifying discovery of a hole in the ozone layer over Antarctica that galvanised the politicians.

»US academics Naomi Oreskes and Erik Conway have highlighted the disappointing timidity of scientists. On acid rain, climate change, tobacco marketing and the ozone crisis, they “would have liked to have told heroic stories of how scientists set the record straight” in their book Merchants of Doubt, but scientists fighting back have been “conspicuously scarce”. “Clearly, scientists knew that many contrarian claims were false,” they lament. “Why didn't they do more to refute them?” […]

»Hearteningly, there may be more of this to come. Paul Nurse, the new president of the Royal Society, has said he would be happy to see scientists getting fully engaged with politics and involved with activism.»

Ces réactions encore parcellaires de scientifiques dans la question fondamentale de la crise climatique marque une rupture, depuis 2009-2010, dans l’historique de cette crise. La période 2009-2010 sera retenue sans doute comme le tournant extraordinaire d’irresponsabilité, de la démission du pouvoir politique face à cette crise, avec le délitement et la confusion des efforts faits à un niveau institutionnel international pour lutter contre la crise. Depuis, les réactions se sont divisés en deux tendances, la première alimentant le courant “climato sceptique” sur la réalité de la crise, qui est une progéniture absolument sophistique du débat initial sur la responsabilité humaine ; de ce débat purement rhétorique (responsabilité humaine) qui n’impliquait nullement la négation de la crise, on est passé à des attitudes de plus en plus hermétique et entropiques, voire pathologiques, niant simplement cette crise ou annonçant que la crise apportera des conditions climatiques plus agréables, – niant ainsi le fondement même de la gravité de la crise, qui est la déstabilisation du climat et la déstructuration radicale de l’environnement sous toutes ses formes (climat compris). Un autre courant, qui se voudrait un peu plus responsable mais qui est surtout un mouvement de déflexion, ou dit encore un mouvement du “je botte en touche” en se référant au mythe du Progrès, c’est l’attitude consistant à annoncer que “les nouvelles technologies” résoudront le problème.

C’est sur ce fond d’évolution de la question qu’on voit donc certains scientifiques considérer le radicalisme, l’action incivique, voire la révolte tout court, selon les conditions disponibles de l’époque du système de la communication. Comme on le constate, cela mène certains à l’emprisonnement. C’est la première fois depuis les débats autour de l’arme atomique et nucléaire, dans les années 1950, qu’un débat de cette ampleur, avec éventuelle révolte de scientifiques contre les pouvoirs politiques, pourrait être envisagé au sein de la communauté scientifique. Entretemps, la communauté scientifique a été largement, sinon massivement annexée à la fois par le complexe militaro-industriel et une structure économique générale où les grandes entreprises (corporate power) interviennent massivement, directement ou indirectement, pour investir la communauté scientifique par l’argent. La “mobilisation” des scientifiques est d’autant plus difficile ; mais si elle se fait finalement, elle sera par réaction d’autant plus radicale.

D’autre part, le débat a de plus en plus le mérite de la clarté, à mesure que les conditions climatiques et environnementales s’aggravent, – et elles s’aggravent vraiment très vite. De plus en plus, la bataille se simplifie en même temps qu’elle devient fondamentale en concernant directement le Système, comme producteur de la catastrophe universelle de la crise environnementale et climatique, et, de l’autre côté, cette communauté scientifique. Le paradoxe, par ailleurs très habituel, est que cette communauté scientifique est directement responsable (éventuellement “responsable mais pas coupable” ?) de la surpuissance du Système, donc de ce processus de destruction de l’univers, puisque c’est elle qui a développé le système du technologisme qui en est l’outil principal. C’est un cas particulièrement poignant et paradoxal du cas général de la crise du Système et des impulsions de révolte contre le Système que cette crise suscite.

Ces conditions très ambigües d’une éventuelle “révolte des scientifiques”, après avoir été un frein tant qu’existait une certaine illusion d’action des pouvoirs politiques, sont sans aucun doute des conditions objectives d’aggravation des tensions dans le sens qu’on décrit ici, notamment à cause des sentiments de culpabilité qu’elles nourrissent, d’autre part à cause de l’aggravation permanent de la crise environnementale et climatique générale, enfin à cause de l’impuissance et de l’inertie grandissantes du pouvoir politique en général. Il est par conséquent très possible que ce type d’action, de rébellion civique de la part de scientifiques, en viennent à se multiplier, ajoutant un volet de plus dans le processus de désordre et de déstructuration du Système lui-même. Dans tous les cas, ce cas, la “révolte des scientifiques”, doit être considéré comme un élément intéressant du vaste domaine de la révolte générale contre le Système, qui est désormais un aspect important de l’évolution de la crise et de la situation générale.


Mis en ligne le 6 juillet 2011 à 09H03