USA-Inde : leçon de diplomatie par inculpabilité et indéfectibilité

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USA-Inde : leçon de diplomatie par inculpabilité et indéfectibilité

Un texte rapide de R. Nicholas Burns, sur les relations des USA avec l’Inde, et sur l’Inde plus spécifiquement, et sur la diplomatie selon les USA encore plus spécifiquement, est du plus haut intérêt, – ne serait-ce que par la variété des sujets. Il importe de noter que Burns était, il y a peu encore (de 2005 à 2008), un des adjoints à la secrétaire d’Etat (Rice), pour les affaires internationales (Undersecretary of State for Political Affairs). Selon les pratiques du système de l’américanisme, on peut donc être assuré que le texte en questions de Burns reflète les conceptions de la diplomatie US en cours, qui se trouvent correspondre par un heureux hasard aux conceptions de Burns, et que ces conceptions sont basées sur les analyses et les informations en cours au département d’Etat. Simplement, et d’une façon intéressante, les choses sont exposées d’un façon plus directe.

Le texte a été publié dans The Diplomat ce 20 février 2012, en même temps que sur le blog personnel de Burns, sur le site de la Harvard’s Kennedy School of Government où Burns est professeur de diplomatie et de relations internationales, – selon le filière habituelle des membres de l’establishment évoluant en mode “yoyo” entre service actif et “réserve” dorée et plantureuse. Dans cet extrait, on trouve une critique acerbe de la position indienne vis-à-vis de l’Iran, essentiellement à cause du choix de l’Inde l’achat de pétrole d’Iran et le commerce avec ce pays, malgré l’embargo… Ironiquement, Burns annonce que l’Inde est “isolée” dans cette pratique honteuse, affirmant que la Chine elle-même suit les instructions US le jour même où l’on apprend que la Chine a signé un contrat avec l’Iran, qui augmente substantiellement ses importations de pétrole iranien par rapport à 2011. L’affirmation que l’Inde est “isolée” dans son attitude vis-à-vis de l’Iran est une erreur flagrante, une filouterie intellectuelle, un acte de désinformation grotesque. La chose n’est même pas digne de la moindre discussion, et le professeur Burns, ancien diplomate de premier plan du département d’Etat, écrit littéralement n’importe quoi.

«The New York Times reported recently that Indian authorities are actively aiding Indian firms to avoid current sanctions by advising them to pay for Iranian oil in Indian rupees. It may go even further by agreeing to barter deals with Iran – all to circumvent the sanctions regime carefully constructed by the U.S. and its friends and allies. According to the Times, India now has the dubious distinction of being the leading importer of Iranian oil.

»This is bitterly disappointing news for those of us who have championed a close relationship with India. And, it represents a real setback in the attempt by the last three American Presidents to establish a close and strategic partnership with successive Indian governments.

»The Indian government’s defense is that it relies on Iran for 12 percent of its oil imports and can’t afford to break those trade ties. But India has had years to adjust and make alternative arrangements. Ironically, the United States has had considerable success on the sanctions front in recent months. The EU has decided to implement an oil embargo on Iran, the U.S. is introducing Central Bank sanctions and even the East Asian countries, such as China, have imported less Iranian oil in recent months. That makes India’s recent pronouncements seem extremely out of step and out of touch with the new global determination to isolate and pressure Iran to negotiate in order to avoid a catastrophic war.»

Ensuite, nous avons droit à la philosophie opérationnelle du propos : mais que font donc les Indiens ? Quelle mouche les pique ? Comment peuvent-ils hésiter une seule seconde et ne pas des précipiter dans les bras aimants de leurs amis américanistes ? Alors que les USA condescendent à leur faire une offre absolument généreuse et sans équivalent, et bla bla bla… La vérité à cet égard est que les offres de “relations stratégiques” des USA à l’Inde, notamment concernant le nucléaire, ou bien les armements, se sont révélées comme des pièges honteux, où l’unilatéralisme a joué à plein. Les propositions ne donnaient aucune garantie, limitaient les transferts de technologie, soumettaient tous les accords à l’imprévisibilité du Congrès, etc. Là encore, “la chose n’est même pas digne de la moindre discussion, et le professeur Burns, ancien diplomate de premier plan du département d’Etat, écrit littéralement n’importe quoi”.

«I wrote a Boston Globe column recently arguing that the U.S. should commit to an ambitious, long-term strategic partnership with India. I remain convinced of its value to both countries and to the new global balance of power being created in this century. With its unhelpfulness on Iran and stonewalling on implementation of the landmark U.S.-India Civil Nuclear Agreement, however, the Indian government is now actively impeding the construction of the strategic relationship it says it wants with the United States.

»Presidents Obama and Bush have met India more than halfway in offering concrete and highly visible commitments on issues India cares about. On his state visit to India in November 2010, for example, President Obama committed the U.S. for the very first time to support India’s candidacy for permanent membership on the U.N. Security Council. Like many others who wish to see India become a close strategic partner of the U.S., I supported the president’s announcement.

»Unfortunately, India has made no corresponding gesture in return for the big vision that Obama and Bush have offered the Indian leadership. It’s time that India speaks much more clearly about the priority it places on its future with the United States. Most importantly, India must begin to provide the kind of visible leadership on difficult issues such as Iran that its many friends in the United States and around the world had expected to see by now.»

…Or, si “le professeur Burns, ancien diplomate de premier plan du département d’Etat, écrit littéralement n’importe quoi”, il n’en écrit pas moins ce que pensent et conçoivent tous les diplomates US, et les choses qui sont directement communiquées aux dirigeants US comme étant les acquis incontestables et les jugements objectifs et vertueux de la diplomatie US. Les mêmes phrases décrivent la démarche diplomatique US, jugée à la fois efficace, vertueuse et généreuse. Le président Obama, Hillary et ses diplomates considèrent que l’Inde “trahit” les USA avec sa politique iranienne alors que les “offres” US à l’Inde de coopération stratégique, absolument généreuses, impliquaient un quasi engagement forcé de l’Inde de suivre la politique US sans trop de discussions, c’est-à-dire sans discussion. Cela était tenu pour acquis. (Déjà, un premier doute sur l’équilibre mental des Indiens est né lorsqu’il apparut que l’Inde ne commandait pas immédiatement le JSF, alors que les USA consentaient à leur permettre d’acheter l’avion, – et que penser à cet égard depuis que l’Inde a choisi le Rafale ?) Le président Obama, Hillary et ses diplomates étaient également certains, jusqu’à la nouvelle de la signature du contrat entre la Chine et l’Iran, que la Chine, malgré ses dénégations et ses affirmations, malgré ses déclarations au secrétaire au trésor Geithner venu l’admonester, en fait s’alignait sur la politique US, conformément aux consignes, etc., notamment avec cette affaire de réduction de la commande chinoise de pétrole iranien en janvier 2012 (qui n'est en fait qu'un pur avatar d'une négociation sino-iranienne sur le prix à fixer dans le contrat).

L’explication générale de ce propos, des erreurs considérables qui y sont posées, qui se répercutent sans l’ombre d’une appréciation critique, est de l’ordre de la psychologie et se trouve dans les deux caractères principaux de la psychologie de l’américanisme, inspirés directement du Système, et qui inspire de même la psychologie de la modernité dans son ensemble. Il s’agit de l’inculpabilité, ou ce trait psychologique qui implique que l’américanisme ne peut se juger lui-même fondamentalement coupable de quelque vilenie que ce soit ; finalement, quels que soit les avatars des choses, l’américanisme ne peut être que du côté de la justesse et de la justice, comme s’il était lui-même, l’américanisme, fondateur de la justesse et de la justice, et d’essence juste, dans les deux sens du mot. Il s’agit aussi de l’indéfectibilité, qui complète le précédent, qui est ce trait psychologique qui ne peut concevoir que l’américanisme soit autrement que vainqueur, victorieux, étant le meilleur en toutes choses, puisque lui-même, l’américanisme, là encore, fondateur de l’issue victorieuse des choses. Cela implique que tous les évènements, tous les comportements des autres, sont jugés à l’aune de ces deux caractères psychologiques et des conclusions qu’ils imposent, quitte à déformer éventuellement les choses, et, dans tous les cas, à les interpréter unilatéralement toujours dans le même sens. Aucune objectivité de jugement n’est concevable, sinon selon l’affirmation axiomatique que le jugement de l’américanisme, fondateur de l’objectivité, est objectivité lui-même. (On comprend combien ces caractères de la psychologie facilite la pratique de l'épisode maniaque dans l'attitude générale.)

Les USA ont maintenu cette fiction psychologique, qui est vérité pour eux, d’une façon générale et exclusive par les pressions de leur puissance, de toutes les façons, sur ceux dont ils exigeaient l’acquiescement et l’alignement sans broncher sur leurs positions. Cette démarche, absolument terroriste et unilatéralement terroriste, a donné des résultats à mesure de la puissance des USA et de la terreur que cette puissance dispensait, d’autant que la psychologie ainsi identifiée implique l’absence totale de scrupules et d’hésitations de l’utilisation par tous les moyens (brutaux, d’influence, de pression, de chantage, etc.) de cette puissance. L’efficacité en déclin vertigineux, sinon en chute, de l’efficacité de la méthode, comme le montre le comportement de l’Inde, suit l’effondrement de la puissance US et la dissolution accélérée de son organisation. A cette lumière, on comprend combien l’Inde, qui est ici appréciée aussi bien pour elle-même que comme exemple, est destinée à se trouver de plus en plus sur une ligne d’opposition antagoniste de celle des USA, quelles que soient sa réticence et sa prudence à cet égard. L’évolution est, de ce point de vue, écrite par avance et se lit, en double négatif, dans le court article de R. Nicholas Burns. Cela montre par quel chemin la vérité peut être rencontrée et détaillée.


Mis en ligne le 22 février 2012 à 14H25