Un traité au goût incertain

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L’annonce que le traité START-II est conclu entre les USA et la Russie et sera paraphé par les deux présidents (Obama et Medvedev) le 8 avril à Prague a été l’occasion de réactions très différentes. Triomphantes à Washington, presque indifférentes à Moscou. Comme l’écrit le New York Times le 26 mars 2010: «On a Friday that began in Washington with a triumphant presidential news conference about the conclusion of arms talks with Russia, Moscow seemed to have its mind on other things.» Medvedev était à Sochi, pour discuter des futurs Jeux Olympiques. Poutine faisait un discours sur les dangers des inondations courantes au printemps.

Le point central, qui était le “lien” que voulaient établir les Russes entre les armes offensives et les armes défensives (anti-missiles), semble n’être rencontré que d’une manière extrêmement évasive. «In recent months Russian leaders — notably Mr. Putin — have pushed openly for a pact that explicitly links reductions in strategic weapons to limits on the American missile-defense program. Aleksei K. Pushkov, the host of the political talk show “Post-Scriptum,” said he feared that the text of the treaty included only a “soft linkage” between offense and defense. For many Russians, the first question will be, “Where have we made concessions to the United States?” he said, and they will look for the answer in those phrases.»

La seule précision à propos du “lien” est venue du ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov. «Mr. Lavrov called the agreement “real progress” in the relationship between Russia and the United States, but added that Russia could pull out if it concluded that the American missile defense plans had compromised its nuclear deterrent.»

Du côté américain, donc, un air triomphant. C’est la grande semaine de renaissance du président BHO. Un texte de ABC.News, du 26 mars 2010, nous rapporte diverses anecdotes, venues d’“officiels” de la Maison-Blanche, montrant un Obama résistant aux pressions des Russes. «“At the end of the day it was a pivotal moment,” the official said, suggesting that the Russians saw President Obama as someone who wasn’t going to “cave.”»

Un autre texte, peut-être le plus significatif après tout, de The Voice of America, du 26 mars 2010, affirme que le traité ne clôt nullement la controverse des anti-missiles. Le texte détaille au contraire combien le système anti-missiles est devenu essentiel dans la programmation du Pentagone, qu’il s’agit désormais d’un domaine non négociable.

«Friday's announcement of a new U.S.-Russia strategic arms reduction treaty was achieved partly because the negotiators agreed to separate the issue from the controversy over the U.S. missile defense program. Russia has strongly opposed the program, but U.S. officials say missile defense has become an integral part of security for the United States and its allies, and they predict significant advances during the next two years.»

Notre commentaire

@PAYANT L’issue de cette affaire, le traité START-II, est assez inattendue, au point où l’on se dit qu’il ne s’agit pas d’un véritable traité, dans le sens où il serait fondateur d’une nouvelle politique et de nouvelles relations. Le contraste entre l’attitude US et l’attitude russe est remarquable. Le New York Times, dans l’article cité, avance l’hypothèse que la réserve des Russes est notamment justifiée par la crainte qu’un certain triomphalisme de leur part pourrait compromettre la ratification du traité au Sénat US («One reason for Russian caution is the looming ratification vote in the United States Senate, where any note of Russian triumphalism might play badly…»). Le même argument est prolongé par l’affirmation que l’opposition au traité en Russie, notamment à la Douma, est négligeable. Tout cela semble contredire ce qui devrait être un réel désappointement russe de l’absence d’un “lien” solide entre armements offensifs et défensifs, – quoique il faudrait voir dans quelle mesure la remarque de Lavrov n’est pas extrêmement sérieuse (le traité donnant la possibilité à la Russie de s'en retirer si la question des anti-missiles devenait trop brûlante). Mais toutes ces remarques restent très conditionnelles, tant que le texte définitif n’est pas connu.

Si l’attitude russe reste incertaine, l’attitude de la partie américaniste, elle, est beaucoup plus précise. Elle se décompose en deux points essentiels, à notre sens, qui brossent un tableau peu encourageant pour ce qui concerne les espoirs de stabilité qu’aurait pu et du amener ce traité START-II.

• D’une part, il y a la situation politique de Barak Obama. Le triomphalisme de la Maison-Blanche dans cette affaire fait manifestement partie d’une très forte opération de relations publiques pour rehausser la stature d’un président incroyablement diminué, opération déjà commencée avec le vote de la loi sur les soins de santé. De même, le but du président est également de remporter très vite une nouvelle victoire au Congrès avec la ratification du traité, et son triomphalisme fait partie de cet autre aspect de l’opération. De ce point de vue, la position de l’administration Obama apparaît suspecte et nous dit fort peu de choses sur la pensée profonde du président et de son équipe sur le traité, s’il y a d’ailleurs une “pensée profonde”.

• D’autre part, et c’est peut-être le plus important, l’affirmation tonitruante de l’importance du système anti-missiles par toute la communauté de sécurité nationale, telle que l’expose le texte de The Voice of America. Il s’agit d’une affirmation impressionnante, qui est la proclamation que le système anti-missiles est désormais classé dans la catégorie des “intouchables” du Pentagone, un de ces systèmes non négociable qu’il ne peut être question d’abandonner, voire d’altérer. (Déclaration triomphante du n°2 du Pentagone, William Lynn, la semaine dernière: The high-pitched partisan debate over whether to invest in missile defense is no longer with us. Ballistic missile defense is without question an important part of our current and future strategy. We are committed to developing new missile technologies to their fullest.»)

Ce deuxième point est de loin le plus important parce qu’il nous situe peut-être d’une façon précise le climat dans lequel se sont déroulées, du côté US, les tractations pour déterminer une position dans l’affaire START-II. Le point central serait que le groupe de pression sur les anti-missiles a pris une importance considérable après les décisions de l’été dernier d’abandon des plans de déploiement en Pologne et en Tchéquie, et en réaction à ces décisions. Le groupe de pression des anti-missiles a réagi, semble-t-il, avec une force considérable, et il semble également qu’Obama ait du reculer devant ces pressions. Les Russes ont-ils compris qu’il n’y avait rien à faire contre cette pression et que le traité START-II les arrangeait en l’état en limitant les capacités offensives US alors qu’eux-mêmes ont un arsenal offensif en mauvais état, qu’ils sont ainsi dispensés d’efforts budgétaires ruineux tandis que les USA sont empêchés d’élargir leur arsenal?

Une hypothèse qui semblerait donc devoir se préciser, c’est bien que la question des anti-missiles n’est pas close et qu’elle va certainement être l’occasion d’autres crises et d’autres tensions entre la Russie et les USA. La conclusion que nous serions tentés de tirer, conclusion temporaire tant il reste d’éléments à éclaircir, est que la question des rapports stratégiques entre la Russie et les USA est loin, très loin d’être réglée par START-II. De ce point de vue, START-II n’a nullement l’importance historique que les services du système de la communication à Washington voudraient lui attribuer, à la gloire d’un président Obama régénéré.


Mis en ligne le 29 mars 2010 à 07H58