Tiers Monde, Made In USA

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Comme on peut le lire ces derniers temps, l’alarme est aujourd’hui très grande aux USA pour ce qui concerne la situation économique. (Voir Ouverture libre du 16 août 2010 et du 17 août 2010.) Sur le site Huffington.post d’Arianna Huffington, dont on connaît l’influence, une nouvelle rubrique vient d’être ouverte (le 9 août 2010), “Third World America”, – ou comment l’Amérique devient un pays du Tiers-Monde et comment les citoyens moyens doivent s’adapter à cette situation. (Nul doute que la rubrique aidera à faire vendre le livre d’Arianna, – Third World America, justement, – qui développe justement ce thème.)

C’est cet aspect de la situation qui nous intéresse, – la dégradation structurelle accélérée des USA en temps de crise, et dans le temps de cette crise-là singulièrement, et les réactions communautaires et potentiellement “inciviques” par rapport au système que cela déclenche.

@PAYANT La caractéristique des USA, qui distingue ce pays, ou plutôt le système qu’est ce pays, du reste, – avec des nuances selon les spécificités du “reste”, – c’est la fragilité de ses structures, voire leur superficialité complète. L’impact d’une crise budgétaire sur les “services publics” (sorte d’oxymore, si l’on adopte l’état d’esprit de l’américanisme) est direct et immédiat parce que la notion, étrange pour l’américanisme, de “service public” est absurdement soumise aux normes du secteur privé (rentabilité, bénéfices, etc.). C’est ainsi que la chose (le système) fonctionne et a fonctionné jusqu’ici, au gré d’artifices, d’à-coups, de pillages des ressources naturelles et des migrations opportunes ; et, plus récemment, depuis 1945 (grâce à une position géographique excentrée évitant au système la dévastation de la guerre), à partir d’une position de domination du monde entretenant une prospérité artificielle exercée selon des pratiques de piraterie, de gangstérisme et de promotion d’une prostitution politique globale (domination du dollar par la force, investissement de zones d’exportation protégées, agressions politiques et subversives pour établir ces zones et y développer une action globale d’influence et de corruption, etc.). Cette fois, il semble qu’on se trouve au terme de la formule, et ce ne sont pas les bêlements d’admiration préemptive sur les technologies salvatrices à venir qui changeront la “feuille de route”.

La rapidité de la dégradation interne du tissu social et des infrastructures fondamentales est un sujet de très grand enseignement, qui nous en dit long sur la fragilité interne de ce que crée ce système (système de l’américanisme, – mais nous sommes tous concernés, bien entendu). Les Français gémissent sur les “zones de non-droit” mais il devrait jeter un coup d’œil autre que fasciné sur les USA. Dans ce pays-système, c’est le droit qui organise l’équivalent du “non-droit” en France, le désordre social et la dégradation structurelle étant la règle automatique si le rapport économique se dégrade trop pour les empêcher selon la seule logique économique. Il n’existe donc aucune référence régalienne, échappant à la règle du profit, et le droit lui-même est partie prenante en punissant de désordre social et de dégradation structurelle les entités qui n’ont pas de rapport économique satisfaisant.

Seul FDR (Roosevelt) est parvenu à desserrer cette main de fer, mais c’était parce que l’autre terme de l’alternative était la désintégration du pays. On ignore ce qu’aurait pu faire Roosevelt si, en 1937, après une réélection sans exemple par sa puissance populaire qui l’apparentait à un plébiscite, il avait pu avoir les mains libres en réformant la Cour Suprême comme il le voulait. (Le 3 novembre 1936, 27.752.869 d’Américains votent pour FDR, 16.674.665 pour Alfred M. Landon. FDR emporte 523 “grands électeurs” contre 8 à Landon. Au Congrès, les démocrates emportent 77% des sièges de la Chambre et 79% du Sénat.) Mais FDR fut bloqué par le Congrès, bien que démocrate comme FDR lui-même dans sa majorité, ce qui indique bien une réaction de système. FDR rentra dans le rang, – c’est-à-dire qu’il se tourna vers la politique étrangère en laissant en place les grands principes du capitalisme qu’il avait ainsi contribué plus qu’aucun autre à sauver. Le système rooseveltien commença à être sérieusement et décisivement démantelé à partir de 1971-1972, et le démantèlement est aujourd’hui complètement achevé. Les rares et fort timides tentatives d’Obama de revenir là-dessus ont rencontré une opposition sauvage, qui montre bien que l’état d’esprit n’a plus rien à voir avec celui de 1933. Il est probable que le système, avec ses représentants divers, préférerait l’effondrement aux concessions “à-la-Roosevelt” qui pourraient prolonger sa survie, – mais de telles concessions, plus personne n’est capable de les proposer et de les imposer. Le cas est si évident, si éclairant, qu’il est nécessaire de poser une fois de plus la question de l’autonomie du système et d’un épuisement tel des psychologies des dirigeants que ces derniers ne sont plus capables d’avoir les réflexes d’adaptabilité pour sauver le système. Les dirigeants sont aujourd’hui totalement prisonniers du système et de sa folie.

La désintégration de la classe moyenne s’accompagne d’une désintégration des infrastructures US, tout cela conduisant à une “‘tiers-mondisation” complètement logique des USA, – lesquels ne sont ni un “failing state”, ni un “rogue state”, etc., mais tout simplement un “no-state”. Dans ce cadre, l’initiative d’Arianna Huffington, prise comme exemple significatif (Arianna fait partie de l'establishment) de cette sorte d'activités aujourd'hui aux USA, a ceci d’intéressant qu’elle organise une sorte de point de rencontre des initiatives individuelles, locales, etc., initiées par des citoyens face à l’effondrement du système. Ainsi permettrait-elle, voire permettra-t-elle éventuellement à des actes et des initiatives totalement contraires aux principes du système de s’organiser et de se développer. On assiste ainsi à une atomisation antagoniste de l’atomisation qu’organise le système devenu fou. C’est en effet le seul avantage de ce système tel qu’il a été conçu dès l’origine ; il s’est bâti à partir une puissante tradition de “démocratie locale“ (type jeffersonien) qu’il n’a pas été capable de réduire complètement, et avec des restes également puissant de la souveraineté des Etats de l’Union, qui favorisent la renaissance d’initiatives locales, d’autonomismes économiques et sociaux, etc., en cas de très grand danger. (Les initiatives et idées sont en effet nombreuses et l’on en trouve sur de nombreux sites. On se reportera par exemple au texte de Frank Joseph Smecker, un activiste social, sur The Dissident Voice le 23 juillet 2010, «(F)unemployment: Make the Best Of It». Baptisant, selon des néologismes intraduisibles, “unemployment” (chômage) en “Funemployment” (“chômage marrant”), Smecker propose diverses formules communautaires pour exploiter la situation du chômage en organisant des groupes communautaires de pauvres et de chômeurs qui rompent avec les règles capitalistes des oligarchies en place.)

Il apparaît évident que cette logique renforce d’une façon massive les tendances centrifuges, tous les attributs et les diktats mortifères du système étant concentrés à Washington D.C. Il sera intéressant de voir comment, en cas de sévère “seconde récession” (en fait, la première continuée et réactivée par un nouveau choc), éventuellement ponctuée de l’un ou l’autre “coup de grisou” boursier, s’effectuera l’inévitable accélération vers la fragmentation du pays. Il nous paraît en effet hautement improbable que l’intégrité des USA puisse résister à un deuxième choc comme celui qu’ils ont subi en septembre 2008, avec le constat de l’impossibilité de l’apparition d’un second FDR, – l’expérience BHO étant d’ores et déjà significative à cet égard.


Mis en ligne le 17 août 2010 à 13H31

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