Sur la frontière Sud, qui est le VRAI ennemi de qui?

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Cela ne pouvait manquer et cela n’a pas manqué. Aujourd’hui, le Pentagone, ou Department of Defense (DoD) et le ministère de la sécurité intérieure, ou Department of Homeland Security (DHS), – les militaires d’une part, les services de sécurité intérieure d’autre part, – sont engagés dans une lutte sévère pour savoir qui aura la prépondérance, sinon l’autorité, dans la maîtrise de la surveillance de la frontière Sud des USA, dans la lutte contre les cartels de la drogue dans la “guerre des cartels” qui fait rage dans la zone. Ainsi la confusion américaniste commence-t-elle à s’ajouter, là où règne le bordel classique entre les irréguliers et autres trafiquants, les divers services officiels des deux côtés de la frontière, collaborant comme chiens et chats, ou comme Américains et Mexicains. Mais, comme le fameux Septième de Cavalerie, la bureaucratie US annonce qu'elle arrive enfin sur place.

Un article du Washington Post du 27 juin 2009, détaille cette bataille entre deux “puissantes personnalités” (Robert Gates et Janet Napolitano, qui dirigent respectivement le DoD et le HSD), – pour savoir qui va contrôler les unités de la Garde Nationale qui vont être déployées sur la frontière, avec tout ce qui accompagne cette prise d’autorité d’un acte qui devrait marquer le début de l’intervention sérieuse de l’administration Obama dans la crise...

«A proposal to send National Guard troops to the U.S.-Mexico border to counter drug trafficking has triggered a bureaucratic standoff between the Pentagon and Department of Homeland Security over the military's role in domestic affairs, according to officials in both departments.

»The debate has engaged a pair of powerful personalities, Homeland Security Secretary Janet Napolitano and Defense Secretary Robert M. Gates, in what their subordinates describe as a turf fight over who should direct the use of troops to assist in the fight against Mexican cartels and who should pay for them.

»At issue is a proposal to send 1,500 additional troops to the border to analyze intelligence and to provide air support and technical assistance to border agencies. The governors of Texas, Arizona, California and New Mexico made the request in January, drawing support from Napolitano but prompting objections from the Pentagon, where officials argue that it could lead to a permanent, expanded mission for the military.»

L’affaire est très complexe, les arguments échangés le sont également, avec diverses forces engagées, notamment les gouverneurs des Etats concernés, qui sont plutôt du côté de HSD (Napolitano était elle-même gouverneur de l’Etat d’Arizona avant de prendre HSD en main). Obama observe tout cela avec son large sourire désormais célèbre où l’on ne sait si l’on doit lire de la naïveté, du fatalisme ou de l’habileté manoeuvrière, – ou une part de chaque, après tout. Sa position est assez incertaine, ou bien suprêmement manipulatrice, ou bien encore très révélatrice.

«A senior White House national security official said the president is comfortable with the disagreement and “wants to see the kind of creative tension and full-out debate that major policy decisions engender.” The official added, “It's the president's view that [...] frankly, that kind of debate among two Cabinet officers like Secretary Gates and Secretary Napolitano, both of whom he holds in high regard, will inevitably lead to a better policy.”»

...Peut-être, si l’on veut, quoiqu’on ait du mal à distinguer en quoi les affrontements bureaucratiques, au sein du vaste et complexe système de sécurité nationale des USA, ait, jusqu’à ce jour, permis de fournir “la meilleure politique”, – un meilleur outil pour résoudre une situation de crise. L’impression serait plutôt celle du contraire.

Là-dessus, et pour rendre les choses compliquées encore plus incertaines, se greffe la question du rôle des militaires qui n’est jamais très loin du soupçon, récurrent depuis 9/11, qu’ils veulent jouer un rôle intérieur aux USA, pour y installer éventuellement, pourquoi pas, une sorte de fasciste militariste rampant. (Certains répondront que le fascisme est déjà là, qu’il est naturellement militarisé comme à peu près tout dans le système, – reste à voir s’il peut ramper...)

«The debate goes to the heart of the military's role, which has expanded since the 2001 terrorist attacks, with an increasing commitment of troops and resources to homeland defense, particularly to help state and local officials respond to a nuclear attack or other domestic catastrophe. The deployment of new troops to the border would represent a mission the military has not traditionally embraced.

»“What we're seeing here is a move toward reframing where defense begins and ends,” said Bert B. Tussing, director of homeland defense and security issues at the U.S. Army War College's Center for Strategic Leadership. “Traditionally the military looks outward, but looking outward has begun a lot closer to home, and it may involve looking just across the border.”»

Ces débats sont classiques, et également les soupçons qui naissent sur d’éventuelles intentions subversives des militaires, de même, depuis quelques mois, que les interrogations sur la véritable position d’Obama. Il reste une constante, qu’on observe une fois de plus. Lorsqu’il est placé devant un problème qui le mobilise d’urgence, le système se mobilise aussitôt, effectivement, dans une guerre interne entre les différentes forces bureaucratiques qui le composent, qui trouvent aussitôt des arguments pour y réclamer leur part d’autorité et de responsabilité, avec les crédits supplémentaires qui vont avec. A cet égard, avouons-le tout de même, la frontière Sud est l’archétype de cette sorte d’affrontement… Ni l’extérieur, ni l’intérieur, mais l’extérieur et l’intérieur à la fois; une action qui est absolument celle du banditisme mais qui s’exprime par des actions de guérilla, parfois proches de la guerre conventionnelle, à la fois sur le territoire intérieur des USA et à l’étranger, au Mexique; les affrontements qui ont lieu essentiellement en territoire étranger mais dont les effets finaux (trafic de drogue) se font essentiellement sentir aux USA; des relations à la fois avec des autorités intérieures (les Etats de l’Union) et un gouvernement extérieur (le Mexique).

Le clan “intérieur” (HDS, avec le soutien et la collaboration du département de la justice [FBI, Douanes, ATF, etc.]) clame déjà qu’il a remporté, depuis janvier, des succès remarquables qui militent pour qu’il assure le contrôle de l’intervention fédérale. («The official noted that the administration has already taken some steps, sending 450 DHS and Justice Department agents to the border in March to fight cash and weapons smuggling. And, he pointed out, crime in U.S. border communities and border arrests have fallen.») Ces résultats sont fortement contestés par le Pentagone, qui accuse le HDS de trafiquer les statistiques. La crise de le frontière Sud est bien partie pour devenir une de ces batailles intra-bureaucratiques dont le système a le secret, qui, en général, rendent beaucoup plus aisée la tâche de leurs adversaires communs.


Mis en ligne le 29 juin 2009 à 14H30