Situation des relations USA-Géorgie-Russie

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L’épisode compris entre le sommet de Moscou (Obama-Medvedev) des 6-7 juillet et le voyage de Biden en Ukraine-Géorgie de 22-24 juillet, suivie de l’interview de Biden au Wall Street Journal le 25 juillet avec ses effets, ont installé une confusion générale sur la situation des relations triangulaires USA-Géorgie-Russie après ces événements qui étaient pourtant faits pour la clarifier. La conclusion générale, conformément au courant habituel de la communication (ou “idéologie de la communication”, toujours orientée vers l’extrémisme occidentaliste et américaniste), de type néo-Guerre froide, anti-russe et favorable aux entreprises de Saakachvili, soutenu par diverses ONG idéologiques, cette conclusion a été que les USA ont réaffirmé la ligne dure de l’époque GW Bush. L’interview de Biden a été évidemment largement exploitée dans ce sens, avec un Biden conforme à sa position habituelle de “faucon” et proche des “liberal hawks” nombreux dans la direction du parti démocrate.

Deux textes de la Jamestown Foundation, sur le site Jamestown.org, permettent de mieux préciser la situation, dans un sens comme à l’habitude très largement différent de la ligne présentée par l’“idéologie de la communication”, voire complètement contraire. Il est largement évident que la tendance de ces textes, conformément à l’organisation qui les édite, est plus favorable à la Géorgie qu'à la Russie, mais leur qualité d’analyse est excellente. (La Jamestown Foundation, formée par des dissidents soviétiques et communistes “institutionnalisés”, fut aidée à l’origine, – dans les années 1980, – par la CIA. Quelques mots sur la Jamestown Foundation peuvent être lus dans un article de Michael Scheuer, ancien officier de la CIA devenu antiguerre, le 10 février 2009 sur Antiwar.com, à propos de la rupture de Scheuer et de Jamestown.)

Un premier texte concernant les relations USA-Géorgie s’appuie sur diverses auditions de fonctionnaires de l’administration Obama au Congrès, entre le 28 juillet et le 4 août. Le texte est publié le 6 août 2009, sur jamestown.org/blog, sous la signature de Alexander Melikishvili. La principale question examinée lors de ces auditions concernait la question de l’assistance militaire à la Géorgie. Parmi les diverses déclarations d’officiels devant le Congrès, celle de Celeste A. Wallander, Deputy Assistant Secretary of Defense for Russia, Ukraine, and Eurasia Policy, résume la position de l’administration Obama, avec prépondérance du Pentagone dans ce cas:

«But Georgia is not ready for the kind of weapons acquisitions that the President [Saakashvili] floated. In the future, that’s not off the table, but certainly the United States is not in the position of believing that Georgia is ready for that kind of defense acquisition.»

Melikishvili résume et conclut ces diverses interventions de cette façon: «So it appears that mindful of how sensitive this topic is for the Russian government, the Obama administration decided to pursue a rather delicate balancing act, wherein on the one hand Washington is trying to maintain the “reset” momentum with Russia, but on the other it is gradually implementing the phased defense cooperation with Georgia. Based upon this information it appears that the Pentagon's timeline with regard to Georgia is predicated on postponing the transfer of much-needed anti-tank and anti-aircraft weapons as much as possible in order not to incur Moscow's ire, which may manifest itself in the annulment of the recently signed transit agreement that is indispensable for supplying U.S.-led coalition troops in Afghanistan with manpower and materiel across the Russian territory. However, given the reality on the ground in the Caucasus, by the time the Pentagon does finally decide to shift focus of its assistance to Georgia from military “software” to “hardware,” it maybe too late as Georgian statehood can simply collapse under the relentless military pressure and constant provocations from the separatist territories and Russia proper.»

Le second texte, de l’Eurasia Daily Monitor du 5 août 2009, nous résume quelques points principaux qui, à la lumière notamment des déclarations officielles US, nous permettent effectivement de fixer la situation de la politique géorgienne des USA, en fonction de la Russie.

• Pour ce qui concerne les livraisons d’armes demandées par la Géorgie aux USA après la guerre d’il y a un an, qui devait effectivement marquer la réaffirmation du soutien US, nécessairement anti-russe, à la Géorgie: «The Bush administration deferred this issue to the next administration of President Barack Obama. Almost one year after being raised, however, this issue was removed at the last moment from the official agenda of Biden's Georgia visit.

»In the aftermath of the vice-president's visit, U.S. officials in Washington indicated that military assistance to Georgia would be limited to defense sector reform, troop training, and officer education. According to defense and state department officials in the most recent congressional hearings, defensive weapons for Georgia are not on the cards for the time being, but neither are they ruled out indefinitely. The U.S. government is currently examining a meager $16 million request for military aid to Georgia this year, mostly for training and technical assistance.»

• Parmi les autres manifestations US, durant la visite de Biden, par la voix de Biden, cette remarque concernant le soutien US à l’adhésion de la Géorgie à l’OTAN est marquée d’une certaine amertume, qui doit être celle des Géorgiens eux-mêmes. En effet, Biden a réaffirmé le soutien à l’adhésion tandis que les USA privent la Géorgie de l’aide nécessaire pour rendre cette adhésion concevable. «At the same time, the United States is reaffirming its support for Georgia's aspirations to prepare for NATO membership. It remains to be seen how Georgia can prepare to meet NATO standards while lacking a conventional military force for homeland defense.»

• Autre remarque, tendant à évaluer la réaction russe à l’attitude d’accommodement des USA : «Moscow is responding in its own way to this demonstration of U.S. restraint, apparently perceiving it as weakness. Russia's envoy to NATO, Dmitry Rogozin, warned that Moscow would impose economic sanctions on any companies, “including U.S. companies,” that would sell arms to Georgia (Interfax, July 24, 27). Deputy Minister of Foreign Affairs and State Secretary Grigory Karasin threatened “concrete measures” against “any country“ that supplies arms to Georgia (Interfax, July 23); and charged, regardless, that the United States was “revving up Saakashvili's military machine; we will be watching.” Karasin also targeted Ukraine by name (Interfax, August 4).»

Ces diverses appréciations permettent de fixer une bonne analyse générale des relations USA-Géorgie, après la visite de Biden. On peut mettre quelques points en évidence.

• Comme nous l’avions nous-mêmes perçu, les Américains ont été extrêmement restrictifs et prudents vis-à-vis des Géorgiens, pour ne pas indisposer les Russes. Leur position sur les livraisons d’armes, malgré tous les artifices de langage, est clairement d’un refus de livraison dans l’état actuel des choses.

• Plus encore, les analyses qui nous sont données indiquent clairement que, dans les soi-disant nouveaux rapports entre la Russie et les USA, une seule chose semble intéresser les USA, et que cette chose vaudra d’eux beaucoup de sacrifices pour qu’elle soit maintenue: le droit de passage par la Russie de matériels US vers l’Afghanistan. Ainsi les USA, réagissant effectivement d’une façon systémique, selon des intérêts parcellaires et sans impulsion générale intégrée, offrent-ils un spectacle étrange à la Russie; d’une part, l’aveu de leur vulnérabilité en affirmant que l’accord vers l’Afghanistan est essentiel pour eux et qu’ils feront beaucoup pour son application et son maintien; d’autre part, un certain désintérêt, ou une certaine impuissance à établir des relations plus structurées avec la Russie, notamment en ne changeant rien de fondamental à leurs relations avec la Géorgie tout en montrant une très grande vulnérabilité à ces relations. (« Based upon this information it appears that the Pentagon's timeline with regard to Georgia is predicated on postponing the transfer of much-needed anti-tank and anti-aircraft weapons as much as possible in order not to incur Moscow's ire, which may manifest itself in the annulment of the recently signed transit agreement that is indispensable for supplying U.S.-led coalition troops in Afghanistan with manpower and materiel across the Russian territory. However, given the reality on the ground in the Caucasus, by the time the Pentagon does finally decide to shift focus of its assistance to Georgia from military “software” to “hardware,” it maybe too late…»)

• A cette lumière générale, l’intervention de Biden affirmant la faiblesse de la Russie et une politique US consistant à en profiter apparaît particulièrement maladroite et dépourvue de la moindre finesse, en plus d’être contraire à la politique US telle qu’elle s dévoile. L’hostilité de Biden à la Russie n’a rien de nouveau et d'avoir entendu sa proclamation n’impressionnera personne parce que cette hostilité ne fait pas une politique. S’il nous fallait une démonstration des faiblesses de la politique extérieure US, il semble bien que nous l’ayons avec cet épisode où les rodomontades de Biden contrastent d’une façon pathétique avec une politique US réduite à faire profil bas vis-à-vis de la Géorgie parce que les USA ont besoin de la Russie pour le transfert de leurs équipements vers l’Afghanistan. Que les Russes concluent à “la faiblesse” de l’administration Obama n’a rien d’étonnant.

Nulle part, dans ces comptes-rendus, on ne voit l’amorce d’une politique russe structurée et innovante de la part de l’administration Obama, telle que l’avait annoncée Obama et, sans doute, telle qu’il la voudrait. Par contre, on voit les effets de l’affaiblissement US en général, les effets de la sclérose et de l’impuissance du pouvoir US au travers de sa parcellisation selon les différents centres de pouvoir et leurs intérêts, avec les différentes questions traitées en fonction de cela. On finit par constater que le point essentiel qui détermine ce qui a la prétention de devenir une “grande politique russe” est pour l’instant la question technique complètement secondaire du transit de matériel pour un conflit (l'Afghanistan) lui-même devenu un boulet pour la politique US en général, et une marque autant qu’une cause de l’affaiblissement US en général.


Mis en ligne le 10 août 2009 à 06H06