Ron Paul, 2012 & le Système

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Dans notre rubrique Ouverture libre, nous mettons en ligne diverses réactions d’experts et personnalités de l’establishment US, ou du Système, à propos de la décision de Ron Paul de lancer sa candidature pour les présidentielles de 2012 (commençant, pour lui, par une tentative de gagner l’investiture du parti républicain). On peut lire ces réactions en suivant ce lien du 27 avril 2011 sur notre site, en sachant qu’elles ont été recueillies dans le cadre de la rubrique quotidienne The Arena, de David Mark, sur le site Politico.com, ce 26 avril 2011.

Comme nous le signalons, ces réactions sont très diverses et très nombreuses, ce qui montre l’intérêt polémique et paradoxal de cette candidature. Il y a trois jours, si l’on lisait la presse-Système, ou presse-Pravda, y compris les débats spéculatifs sur les candidats républicains pour 2012, on était envahi et submergé par l’impression formidable que Ron Paul n’existe pas, ad vitam aeternam si l’on peut dire lorsqu’on a de l’intérêt pour le paradoxe révélateur, qu’il est un “non-homme politique” parfaitement identifié. Aujourd’hui, les commentaires se bousculent, dans tous les cas dans ce cadre que nous avons choisi, qui ressort d’un site extrêmement influent dans le monde politique washingtonien. La bataille entre le Système et une certaine vérité que le Système déteste comme son ennemie absolue, cette bataille est terrible…

Il ne s’agit certainement pas ici de spéculer, d’annoncer que Paul n’a aucune chance d’être choisi comme candidat républicain, ou disons, pour être démocrate tendance-stalinienne, qu’il en a une petite sur 14.300 (autant que de $milliards composant le probable nouveau plafond de la dette du gouvernement fédéral du principal composant du Système). Nous ne sommes pas là où nous nous sommes installés et où nous nous situons fermement, pour faire de la prévision politique, pas plus que de l’engagement à ce niveau ; par principe, parce que c’est ainsi faire le jeu du Système qui ne survit que parce qu’il fait croire qu’il contrôle encore l’avenir du monde, y compris statistiquement ; par “réalisme métahistorique”, disons, parce qu’il est parfaitement, dans tous les cas humainement, impossible d’avancer la moindre idée de ce que sera la situation générale, politique, stratégique, psychologique, climatique, aux USA, dans le monde, d’ici à avril 2012 par exemple, lorsque les “primaires” de la présidentielle seront bien entamées… La seule chose que nous pouvons écrire est que cet intérêt soudain pour le “non-homme politique”, dès qu’il apparaît officiellement “dans l’arène”, avec des réactions qui ne sont pas que de convenance mais qui manifestent déjà un engagement dans une bataille, – la seule chose que nous pouvons écrire, c’est donc bien qu’il y aura une bataille autour de et à propos de Ron Paul et de sa candidature pour 2012, – signe suffisant que cette candidature, dans un système aussi verrouillé que le washingtonien, représente un fait politique objectif majeur. Ce signe ne peut être que celui de l’état avancé, délabré, sinistré, etc., du Système, – ce que nous savons tous par ailleurs, pour ceux qui sont intéressés par la vision de la vérité du monde, mais qu’il est bon de voir ainsi confirmé…

On peut et on doit également s’attacher à quelques-uns des commentaires que nous nous sommes permis de présenter en Ouverture libre. On y trouve la variété qu’il faut, et les sentiments les plus extrêmes, notamment ces jugements par mépris, par sarcasme ou par ironie grinçante, – ou, comment faire pour que le “non-homme politique” qui n’a jamais cessé de l’être, le redevienne au plus tôt. Pourtant, il nous faut choisir, pour nous attacher à un commentaire en particulier, qui nous semble susceptible d’alimenter des réflexions intéressantes, – lesquelles dépasseront le seul cas de Ron Paul, sans nul doute. Celui de Robert Zelnick, professeur très considéré et directeur de département à Harvard, Research Fellow à Stanford, nous semble convenir. Robert Zelnick est parfait : journaliste devenu pompeusement historien, mais aussi manager de quelques gros coups médiatico-idéologiques (la fameuse interview de Nixon par David Frost, en 1976) ; libéral à la sauce démocrate, c’est-à-dire vertueusement progressiste et amateur des «bombardements humanitaires» à-la-Havel, comme tout bon libéral-interventionniste, etc. ; Zelnick semblerait sorti d’un remake des Hommes du Président, avec Watergate, Washington Post et Redford à peine vieilli, et la Constitution des Founding Fathers en bandouillère. Bref, une belle réussite professionnelle et pompeuse dans les rets du Système… L’analyse que fait Zelnick du personnage de Ron Paul, du symbole qu’il représente, sur fond tonitruant de références à l’isolationnisme type-Charles Lindbergh (heureusement, il nous épargne l’exploration des “tendances racistes” de Ron Paul après avoir souligné sans le dire ses accointances suspectes, quasi-fascistes, circa-années 1930), tout cela fait l’affaire pour tracer le décor général et retrouver les normes du discours obligatoire, ou non, convenu plutôt, du système de la communication dans ce cas (cas de Ron Paul). Nous pouvons d’autant mieux nous arrêter à la conclusion de son jugement, parce que cette conclusion va plus loin que ce “discours convenu” et débouche sur les “fondamentaux” de notre Très Grande Crise. Voici les quelques phrases, où nous nous permettons d’ajouter une touche ou l’autre de caractère typographique en gras, pour souligner là où nous avons une poussée forte de notre démangeaison, – parce qu’il est difficile en vérité de trouver en quelques mots, dans ce contexte, plus de crainte et plus de haine, tout en se découvrant complètement soi-même, – si bien qu’il nous apparaît que ce n’est pas Zelnick qui parle, mais bien le Système lui-même, ce “déchaînement de la matière” que nous traquons avec constance.

«Ron Paul is, at heart, a very small man with small visions and small aspirations for his country. His opposition to a big military is rooted in the same anti-modernity as his opposition to a central bank like the Federal Reserve. It may be that the American century is ending, that the nation is suffering a collective failure of will, and that we are ready to deal submissively with those who grow weary of American power and responsibility.

»For these, Ron Paul is the man of the hour. For the rest of us, his time will never come.»

Nous allons poursuivre notre commentaire, effectivement en empruntant la piste de ces caractères typographiques en gras que nous avons installés. Nous citons donc Zelnick comme s’il ne parlait pas, mais comme si le Système parlait par sa plume, – ce qui est évidemment le cas.

• “Ron Paul est, au fond de lui-même, un petit homme…” La chose est parfaitement dite et nous renvoie à l’opposition fondamentale du quantitatif et du qualitatif. Ron Paul est “petit” (le méprisant “small”) parce qu’il est quantitativement négligeable selon les références de poids, de force, de puissance du Système qui renvoie à l’“idéal de puissance”. Il représente une substance négligeable, qu’on essaie de dissimuler derrière une appréciation qu’on voudrait qualitative mais qui n’est qu’idéologique, – l’idéologie, faux nez favori du Système pour les exécutions sommaires. Mais il se trouve qu’on reconnaît chez Ron Paul, par quelques positions diverses et par la couleur et l’orientation de son discours, la proximité d’une essence qui est naturellement antiSystème parce que le Système en est totalement dépourvu. Dans ce mot (“small”), on trouve toute la douloureuse surprise du Système que la mesure quantitative, à elle seule suffisante, ne disperse pas tous ces moucherons intempestifs, de droite, de gauche, d’ailleurs et de n’importe où, ces moucherons qui semblent réussir à élever des obstacles considérables avec quelques phrases et une conviction à mesure, et une situation de caractère si surprenante décrite par un autre des intervenants de la rubrique citée (Dean Baker : «Ron Paul is the rarest of all creatures, an honest politician…»).

• Maintenant, une autre phrase… Cette phrase-là est le centre de la pensée du Système de l’“idéal de puissance” et du “déchaînement de la matière”, – et de la modernité, indeed : «His opposition to a big military is rooted in the same anti-modernity as his opposition to a central bank like the Federal Reserve.» Quelle phrase extraordinaire dans sa rude sincérité... Ainsi, s’opposer à une force militaire massive, destructrice, interventionniste (à cet égard, la fonction crée l’organe plus vite que son ombre), – c’est être “antimoderne”, ou manifester misérablement le choix de l’“anti-modernité” ? Eh bien, nous y sommes. En quelques mots, loin de Ron Paul et des débats US, et de la vanité de type Zelnick-Système, le même Zelnick nous conduit à l’affrontement central entre la modernité caractérisée par la dynamique de puissance, et les conceptions et la pérennité (renvoyant également à l’“idéal de perfection” de Ferrero) de la Tradition, ou de la philosophie du traditionalisme. Tout est fixé en une simplicité écrasante de signification, montrant par là que notre Très Grande Crise va se nicher, dans ses plus grandes significations, dans les plus divers et plus inattendus événements du monde. (Bien sûr, dans ce cas, Zelnick et Paul ne sont plus en cause, mais bien les symboles qu’ils représentent par rapport à la situation et au milieu où ils évoluent  ; leur valeur indicative est relative mais l’indication est celle d’une essence pure de la crise.) Enfin, nous savons donc que le Pentagone c’est la modernité (ou bien “les Lumières c’est le Pentagone”), tout comme les «bombardements humanitaires» et les Predator en Afghanistan et en Libye ; tout comme, bien sûr, Wall Street et la Fed que Ron Paul poursuit de sa vindicte de “petit homme”. Le renseignement, ou plutôt la confirmation, nous sont fort utiles pour savoir à quoi nous servons.

• Le reste est un cri de passion et un cri de fureur, et un cri de haine, – tout cela, émotions mêlées de la midinette fleur bleue déguisée en professeur d’université, relevant effectivement de l’affectivité délicate de ces messieurs-dames, – après tout, du Pentagone à l’amour furieux, un seul jet de missile suffit… «It may be that the American century is ending, [for] those who grow weary of American power and responsibility. For these, Ron Paul is the man of the hour. For the rest of us, his time will never come.» Quelle hargne, quelle fureur, quel cri d’amour pour la force, pour la puissance, pour le Système, quel désir d'absolu et de la chose démocratique, et craignant le pire des destins, dans ce “his time will never come”, – dans ce “never”… (Signe, par logique antithétique de cette passion si grande, que Zelick craindrait bien que Paul fût élu ! La passion leur fait dire in fine de bien étranges choses.) Nous sommes effectivement au cœur d’un débat qui, en englobant le Système confronté aux forces métahistoriques, plonge également dans l’abîme de nos psychologies les plus profondes, de nos déchirements les plus anciens. Le débat est misérablement “politicien” et il est aussi absolument métaphysique. Il faut savoir y regarder à deux fois.

Pour terminer… Il nous reste à dire que nous ne dirons pas un seul mot de leur habituelle gymnastique maniaco-idéologique à propos de Tea Party, de ses proximités avec Paul, et de tout le reste qui se traduit en vitupérations courantes à propos du racisme, du populisme, de la xénophobie, du fascisme (y compris chez certains commentateurs parisiens, c’est dire). Pas de temps à perdre avec ces démangeaisons du “parti des salonnards”, comme nous l’avons toujours dit dans ce cas de Tea Party et de Paul, puisque la seule chose qui importe est la fonction itinérante de système antiSystème dont l’un ou l’autre se charge selon les opportunités. Il ne s’agit pas ici de propagande électorale et d’un “engagement-citoyen”.


Mis en ligne le 27 avril 2011 à 05H16