Retour des USA

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Voici les avis de deux Européens retour des USA, deux personnalités très différentes mais toutes deux éminentes, n’en doutons pas, de nationalités différentes, revenant de séjours de formes différentes, et ainsi de suite. Il ne s’agit pas de zozos extrémistes comme on en trouve dans ces colonnes, ni de réflexions emportées comme on en lit sous nos plumes. Bien, – gens biens sous tous les rapports, – pourtant, leurs avis qui sonnent le glas, pour qui a l’oreille moyennement fine…

• Chris Patten a fait un séjour substantiel aux USA, en mai, visitant plusieurs villes en tant que président du parti conservateur britannique. Il a admiré encore une fois l’architecture des villes, qu’il semble particulièrement apprécier. Il a découvert un optimisme inattendu chez les Américains, qui ne le fait pas bondir d’espoir, mais qu’il attribue plutôt à la magie d’un homme, – “Obama effect”, pour sûr… A propos d’Obama, d’ailleurs, il avoue être un fan de BHO mais il commence à se poser de sérieuses questions sur l’efficacité de sa politique et le reste…

Mais ce qui nous intéresse, ce ne sont ni les réflexions politiques, ni les constats sociaux ou architecturaux, mais le passage où Patten nous restitue du “vécu”, – et là, l’agacement pointe, et même plus, by Jove – dans The European Voice, le 30 juin 2009.

«First, if you have to travel from city to city in the United States, you would do yourself a favour if you could find a way of journeying by train. American airlines are pretty awful. They are lucky that hostility to competition in what purports to be the homeland of free-market capitalism has kept Asian airlines out of their domestic marketplace. Do American air travellers know just how bad the service that they get really is?

»American airports are as dire as British ones, maybe worse. Los Angeles gets the Oscar, with Soviet-style queues through security. How is it that America gives us Silicon Valley wizardry and Third World infrastructure?»

• L’autre voyageur, c’est Dominique Moïsi, retour d’un long séjour (5 mois) de visiting professor à Harvard. On connaît Moïsi, pro-américaniste pur sucre, de la branche transatlantique assez fastueuse, parfaitement accueilli dans l’establishment américaniste (Harvard et compagnie). On est entre amis, ce qui rend d’autant plus remarquable la couleur crépusculaire de sa chronique, la dernière de son séjour, du 29 juin 2009 dans Les Echos. (En passant, le conseil de Patten de préférer le chemin de fer aux déplacements aériens pour voyager aux USA semble se heurter à quelques solides obstacles, – Tiers-Monde pour Tiers-Monde, où qu’on se tourne, le même spectacle, avec les termites à l’œuvre.)

«Les défis sont en effet immenses. L'Amérique ne va pas mal, elle va très mal. Au-delà du montant astronomique de la dette, sous ses diverses incarnations, budgétaires, commerciales..., au-delà de l'état de ses infrastructures – quand se produira la catastrophe, qui forcera l'Amérique à prendre enfin les mesures nécessaires pour avoir des ponts, des voies ferrées... dignes d'un Etat moderne ? – les signes de déclin se multiplient, le fléau de l'obésité en étant le signe le plus visible. L'Amérique a-t-elle les moyens de se reprendre ? Elle souhaite “européaniser” son système de protection sociale, ambition légitime et nécessaire, mais “l'européanisation” de l'Amérique ne se traduira-t-elle pas plutôt par le déclin relatif, mais inéluctable, de son poids économique dans le monde que par l'humanisation de son capitalisme? […]

»Revenant en Amérique, pour une période de temps significative, [...] à ma grande surprise ce n'est pas tant l'énergie de l'Amérique qui m'a frappé que la profondeur de la crise collective qui frappe l'ensemble du monde occidental. Certes, même si les deux rives de l'Atlantique semblent désormais moins unies par une ambition commune que par un doute commun sur leur devenir, leur place et leur rôle dans le monde, il y a plus d'énergie et d'espoir collectif en Amérique. Mais il y a plus de souffrances aussi.

»L'Amérique peut rebondir avec Obama, mais il n'est pas sûr qu'elle y parvienne, même avec Obama.»

Il y a eu plusieurs strates de voyageurs-chroniqueurs d’Europe en Amérique, lorsque l’“Amérique” fût devenu les USA, pour tout de même rester plus que jamais, d’une façon indue, “l’Amérique” dans nos esprits. Il y eut d’abord les découvreurs du Nouveau-Monde, les découvreurs de quelque chose de complètement nouveau, des Indiens de Chateaubriand à la démocratie de Tocqueville. C’était à la fin du XVIIIème siècle et dans le cours du XIXème siècle… Il y eut ensuite ceux qui allaient découvrir la modernité incontestable en Amérique, la puissance industrielle et le reste, à partir du tournant du XXème siècle, et, surtout, après que l’empire allemand eût été battu en 1918 et eût cédé aux USA la position d’avancée de la modernité qu’il avait représenté, malgré les USA, entre 1890 et 1914. Cette deuxième vague entretint des sentiments contrastés, les uns fascinés et enthousiastes comme s’ils découvraient l’avenir du monde, les autres fascinés et épouvantés, comme s’ils découvraient l’enfer que serait l’avenir du monde. La troisième vague fut celle de l’après-guerre de 1945, lorsque l’empire du monde était assuré, lorsque l’Amérique était définitivement installée comme l’avenir du monde déjà en pleine activité dans le présent. On allait aux USA découvrir ce qui se passerait en Europe dix ans plus tard.

Brûlons les sous-étapes intermédiaires pour constater que nous sommes à la quatrième vague. On va désormais en Amérique pour découvrir ce que c’est que l’effondrement d’un système qu’on croyait assuré pour mille ans (fâcheuse analogie). Les meilleurs amis du système sont là à décompter les dégâts qui s’empilent, en s’interrogeant avec angoisse: pourront-ils surmonter cela, – et cette dernière question comme l’ultime avatar de l’espérance de l’American Dream, car il semble bien que, malgré tout, malgré le si brillant BHO, le vin soit tiré et la messe dite. D’où la question ultime: et nous, en Europe, que va-t-il nous arriver?

Nous ne sommes pas optimiste: une civilisation n’est pas un ballon de foot, elle ne “rebondit” pas avant le coup de sifflet final de l’arbitre. Les voyageurs ultimes de l’Amérique vont voir, en Amérique, à quoi ressemble le crépuscule de l’Occident dans sa variante-modernité, un crépuscule à la Spengler, conformément à la méthode de Maistre.


Mis en ligne le 1er juillet 2009 à 16H47