“Point Oméga inverti” & autodestruction

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“Point Oméga inverti” & autodestruction

A côté des diverses péripéties, dans divers sens, qu’on a pu relever et éventuellement suivre dans le scandale Petraeus, ou l’affaire Petraeus, apparaît un cas particulièrement intéressant, étranger au fond de l’affaire. Il s’agit de la façon dont a eu lieu l’enquête du FBI sur les relations de Petraeus et de Paula Broadwell, puis, plus généralement, des relations du général Allen avec Jill Kelley. Divers commentateurs ont commencé à s’intéresser à cet aspect de l’affaire Petraeus, à partir du constat évident que nous ne nous trouvons pas dans le cas de “l’État de sécurité nationale” (dito, le Système) contre le citoyen, mais dans le cas de “l’État de sécurité nationale” (dito, le Système) contre certains de ses composants, en l’espèce le corps des chefs militaires et la CIA dans le chef de son directeur… L’on pourrait même avancer qu’il s’agit d’une faction de “l’État de sécurité nationale” (dito, le Système), c’est-à-dire le FBI, contre l’une et l’autre factions de “l’État de sécurité nationale” (dito, le Système), c’est-à-dire le corps des chefs militaires et la CIA.

• On cite ici trois de ces interventions, soulignant chacune un aspect particulier de cette façon de prendre l’affaire. La première est celle de l’excellent Glenn Greenwald, le 13 novembre 2012 dans le Guardian. Greenwald nous dit (dans son titre) que «FBI's abuse of the surveillance state is the real scandal needing investigation», observation qu’il nuance aussitôt d’un aspect (souligné en gras par nous) qu’on verra développé plus loin : «That the stars of America's national security establishment are being devoured by out-of-control surveillance is a form of sweet justice.». Quelques courts extraits du texte de Greenwald mettent le problème en situation.

«The Petraeus scandal is receiving intense media scrutiny obviously due to its salacious aspects, leaving one, as always, to fantasize about what a stellar press corps we would have if they devoted a tiny fraction of this energy to dissecting non-sex political scandals (this unintentionally amusing New York Times headline from this morning - "Concern Grows Over Top Military Officers' Ethics" - illustrates that point: with all the crimes committed by the US military over the last decade and long before, it's only adultery that causes "concern" over their "ethics"). Nonetheless, several of the emerging revelations are genuinely valuable, particularly those involving the conduct of the FBI and the reach of the US surveillance state. […]

»…What is most striking is how sweeping, probing and invasive the FBI's investigation then became, all without any evidence of any actual crime - or the need for any search warrant…»

• La deuxième intervention concerne l’attitude d’Obama, qui est peu intervenu dans cette enquête, adoptant un comportement quasi complètement passif. Pour lui, il n’était pas question d’interférer, non seulement dans l’enquête, mais même dans l’initiative elle-même du FBI d’espionner les généraux. Cette attitude très “libérale” renvoie également, et à notre sens plus justement, à l’aspect-Téflon du président, qui suit une politique arrangeante du “je m’en lave les mains”, qui permet d’éviter des implications dans telle ou telle vilaine affaire. (Reagan avait été nommé “le président-Téflon”, en référence non-publicitaire à la glorieuse poêle à frire “qui n’attache pas”, parce que les scandales de sa présidence n’affectaient pas sa popularité, sans d’ailleurs qu’il ait cherché précisément à s’en distancer… Reagan ne cherchait rien, il laissait faire, et son aspect simple et assez béat, son verbe primaire de type Café du Commerce, son intelligence manifestement réduite au minimum syndical et sa foi de charbonnier dans la vertu américaniste et l’attention du Seigneur à son propos, semblaient suffisants pour l’exonérer de toutes implication. Infiniment plus intelligent, Obama en a fait une stratégie, la stratégie de l’irresponsabilité par libéralisme.) Antiwar.com donne, sous la plume de Jason Ditz, le 15 novembre 2012, des précisions sur le cas.

«Legally speaking, the FBI is supposed to inform not only the Obama Administration, but also both House and Senate intelligence communities of any investigation with national security implications. Both committees’ leadership have questioned why this wasn’t done in the investigation related to deposed CIA chief David Petraeus as soon as it was discovered that classified data had been compromised.

»President Obama is taking a remarkably different tack, insisting that not only is he fine with the FBI keeping the probe from him, but insisting that it was common practice because he doesn’t want to be accused of “meddling” in investigations. Obama went on to say that he personally hasn’t seen any evidence suggesting that the classified data had any impact on national security, but since he seemed to be going out of his way to avoid details on the case, that seems far from the final word on the matter.

»Indeed, Obama’s comments may bring up even bigger concerns, as his comments suggest the White House is giving the FBI complete autonomy on all investigations over concerns that it would be “meddling” to even keep tabs on what they are up to at any given time. Giving the FBI’s sordid past and tendency to investigate virtually everyone as “threats,” this lack of oversight is particularly disturbing.»

• Dave Lindorff, universitaire et journaliste d’investigation, auteur et fondateur du site notoirement dissident ThisCantBeHappening.net, publie un long article sur PressTV.com, le 17 novembre 2012. Nombre de ses arguments se trouvaient en gestation sur ThisCantBeHappening.net, le 12 novembre 2012. Lindorff pousse un peu plus loin la logique du constat qu’il fait, de la facilité avec laquelle le FBI peut, en toute “légalité”-Système sous la férule évasive du président Obama, entreprendre une enquête intrusive sur des chefs militaires, avec le principal d’entre eux qui est devenu le directeur de la CIA, «without any need for a court order, and in the absence of any evidence of a crime». On donne quelques extraits, en soulignant de gras nous-mêmes l’observation essentielle de Lindorff, qui lui fournit son titre.

«There is a delicious irony here for connoisseurs of payback. The FBI’s ability to poke around at will in personal emails is a direct result of anti-terrorism laws like the so-called PATRIOT Act, passed in the wake of the 9/11 attacks on the World Trade Center in New York and the Pentagon in Washington, DC. In the years following that attack, Congress has passed laws unleashing the intelligence agencies to engage in domestic and global spying on Americans themselves. Further undermining of Constitutional privacy safeguards has been done via executive orders signed by both Presidents Bush and Obama, and ratified by the federal courts. All of this undermining of the nation’s vaunted civil liberties has been supported by agencies like the CIA, and endorsed by top officials like Gen. Petraeus, whose entire climb up to the top ranks of the military and the intelligence establishment is owed to the War on Terror, which he and other top leaders have continually invoked and shamelessly promoted since 2001.

»“There should be an investigation not of the personal behavior of General Petraeus and General Allen,” says Anthony Romero, head of the American Civil Liberties Union, an organization that defends constitutional freedoms and human rights, “but of what surveillance powers the FBI used to look into their private lives. This is a textbook example of the blurring of lines between the private and the public.” [….]

»That’s the bad news for Americans – though they’re not hearing it in the country’s media, which are focusing pruriently on the sex angle. The good news is that with top spy Gen. Petraeus and Gen. Allen, the commander running the Afghan War, both being “hoist on their own petards,” it appears that the post-9/11 national security state is beginning to consume its own advocates…»

Bien entendu, il ne fait aucun doute que l’on se trouve là dans une occurrence presque parfaite, parce qu’archétypique et constituée de personnages fameux et d’une agitation frétillante à mesure du système de la communication, de notre fameuse équation “surpuissance = autodestruction”. (Et, bien entendu, pour l’aspect circonstanciel, il y a également une confirmation de ce que nous avons désigné comme le “point Oméga inverti”, dans une suite de l’affaire de Benghazi.) La surpuissance du Système, c’est l’“État de sécurité nationale” tel qu’il s’est développé dans une nouvelle phase, ou phase ultime, depuis 9/11, et encore plus vite depuis 2009 et Obama, avec des violations systématiques de la légalité américaniste, des lois scélérates (guillemets pas nécessaires), des pratiques dignes des dictatures totalitaires les plus viles, sinon du crime organisée (tortures, assassinats type-contrat de tueur de la Cosa Nostra, mais par drones, pour faire plus clean, etc.). Cette surpuissance, c’est celle de notre contre-civilisation totalement sous l’empire du Système, où les pays autoproclamés comme les plus avancés et les plus démocratiques sont tombés dans des pratiques de pur gangstérisme, avec un côté aseptisé en plus, et un légalisme perverti et inverti, qui ajoute l’aspect glacé du technologisme bureaucratique (à ce compte, on préfèrerait les mœurs de Cosa Nostra, qui conserve quelques aspects humains).

Cette surpuissance aboutit à une toile d’araignée d’interventions intrusives, discrétionnaires, que même les dictatures totalitaires du XXème siècle ne sont pas parvenues à codifier aussi parfaitement. Et que constate-t-on, d'ailleurs sans réelle surprise, dans ce Système formé d’agences concurrentes, de ministères et de services qui se haïssent, où la présence d’un président irresponsable par choix d’une stratégie finaude qui mesure le niveau de sa conscience et de son esprit permet le déchaînement de ces concurrences et toute autonomie ? Que ces pouvoirs totalitaires exorbitants sont utilisés également, et, sans doute, de plus en plus souvent et de plus en plus férocement, pour la guerre que se livrent ces services et ces agences, ces différents pouvoirs laissés à la complète autonomie de leur automatisme bureaucratique d’expansion de leurs prérogatives. C’est bien l’archétype du passage-turbo de la dynamique de surpuissance à la dynamique d’autodestruction. On comprend et on mesure pour ce cas, bien entendu, la haine encore plus furieuse que le courant, que doivent éprouver présentement, d’une part, les directions militaires, d’autre part la CIA, à l’encontre du FBI qui a fait ce qu’il a fait contre Petraeus et Allen. On comprend et on mesure qu’un tel cas d’antagonisme se retrouve et doit se multiplier, dans des occurrences plus discrètes, et qu’on retrouvera de plus en plus, dans d’autres affaires croustillantes. Cela implique une hostilité sans cesse renforcée entre ces centres de pouvoir, un affrontement de plus en plus féroce, une accélération de l’autodestruction qui se nourrit d’elle-même. Le schéma offre une sorte de perfection devant laquelle nous ne pouvons que nous incliner : chapeau, les artistes, – comme voie démocratiquement royale vers le suicide, on ne peut mieux…

 

Mis en ligne le 19 novembre 2012 à 06H08