Qui commande ici? McChrystal, Karzaï, les généraux de Merkel?

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Il y a un seul passage qui ne soit pas trop défavorable aux montreurs de marionnettes US, dans l’interview de Karzaï dont nous parlons aujourd’hui. Il concerne l’attaque aérienne de la semaine dernière en Afghanistan, qui a fait près de ou plus d’une centaine de morts et qui provoque une émotion considérable.

«Quelle erreur de jugement ! Plus de 90 morts pour un simple camion, qui était de surcroît immobilisé dans le lit d'une rivière ! Pourquoi n'ont-ils pas envoyé des troupes au sol pour aller récupérer la citerne ? Le général McChrystal m'a d'ailleurs téléphoné pour me présenter ses excuses, et me dire qu'il n'avait pas lui-même donné cet ordre de bombardement.»

Evidemment, arrêtons-nous aux derniers mots: McChrystal n’a pas “lui-même donné cet ordre de bombardement”… Que se passe-t-il ? Ce sont pourtant deux F-15 de l’U.S. Air Force qui ont attaqué et largué les deux bombes qui ont détruit les deux camions-citernes. Qui commande l’U.S. Air Force en Afghanistan? Voyons cela.

Le Guardian, ce 7 septembre 2009, rapporte un affrontement grandissant entre les USA et l’Allemagne à propos de cette affaire. Les premiers reprochent à la seconde d’avoir déclenché cette opérations – donc, avec deux F-15 de l’USAF.

«Berlin defended the raid as “militarily necessary” to protect German troops, even though it went against the express orders of the new US commander in Afghanistan, General Stanley McChrystal, to safeguard civilians. […]

»The raid was carried out by the US air force but McChrystal distanced himself from it, apologising to the Afghan government and saying he had not ordered it. The strike was called in by a senior German officer. The German government said the officer feared two hijacked oil tankers, stuck in a riverbed, were to be used for a suicide bombing of the German base at Kunduz, in the north of the country […]

»The rift between the US and its European allies comes as the Taliban extends its influence in the country. The US and European countries involved are facing domestic pressure to withdraw, and Germany, Britain and France yesterday proposed a conference to discuss how to get the Afghan government to take more responsibility for its own security.

»The US has expressed private criticism of the German commander in Kunduz for calling in an air strike based on the assessment of one Afghan informant on the ground that all those people around the tankers were Taliban and on grainy aerial photographs. At the time of the attack, the two tankers were stationary in a riverbed, with the local populace apparently helping themselves to free oil.

»Rear Admiral Gregory Smith, a US spokesman in Afghanistan, said German troops had allowed too many hours to pass before visiting the site of the attack on Friday, saying it was important to reach the scene quickly to establish what had happened before the enemy got the chance to deliver its version.

»The German defence minister, Franz Josef Jung, said civilian casualties could not be ruled out but defended the attack, calling it “militarily necessary and correct”. “If there were civilian casualties or injuries of course we deeply regret that,” he said, adding that the attack was carried out on the basis of reconnaissance showing that the Taliban planned to launch an assault with the hijacked trucks on German troops. “It was clear that our soldiers were in danger. Consequently I stand clearly behind our commander's decision to order the air strike. We had clear information that the Taliban had seized both fuel trucks about six kilometres away from our base in order to launch an attack against our soldiers in Kunduz,” he said.»

Ce qu’il ressort de cette querelle, c’est une situation peu ordinaire du point de vue US, alors que, depuis l’arrivée de McChrystal, la première nécessité de la guerre devrait être un contrôle extrêmement strict des interventions aériennes pour éviter des incidents avec pertes de civils. En général, on connaît la propension obsessionnelle des USA à conserver le contrôle exclusif de leurs forces armées, dans toutes les circonstances, particulièrement dans les circonstances de ces “coalitions” qu’ils dominent de la tête et des épaules; à plus forte raison, pouvait-il sembler, dans le cas de ces interventions aériennes, durant cette période extrêmement tendue à cet égard, au moment où la guerre en Afghanistan est devenue un sujet de crise centrale à Washington, où les rapports entre Washington et leur “marionnette” Karzaï sont détestables, etc. Pourtant, voici McChrystal, le nouveau commandant en chef, que tout le monde connaît bien comme un “dur de dur”, expliquant piteusement à la “marionnette” Karzaï que ce n’est pas de sa faute, qu’il n’était pas au courant – bref, qu’on dispose, ici et là, de ses F-15 sans le consulter. (Mais peut-être dira-t-on que ces F-15 sont à l’USAF, pas à l’U.S. Army, et que McChrystal c’est l’U.S. Army. Cette remarque en vaut bien une autre.)

Il y aura certes tous les arguments opérationnels habituels, sur la nécessité de la rapidité des interventions, voire celui de féliciter les Américains pour déléguer leurs forces à d’autres qu’eux-mêmes. Mais le fait est que nous ne sommes pas essentiellement dans une situation opérationnelle mais d’abord dans une situation politique de crise, à un moment crucial du conflit, où même Washington est secoué; le fait est que, dans cette situation politique de crise, l’autorité doit plus que jamais contrôler ses moyens opérationnels pour empêcher des situations accidentelles qui aggravent la crise. Rien de tout cela n’est manifeste dans cet incident, qui montre au contraire un désordre considérable, dans une “guerre” dont il ne semble plus très bien qu’on sache qui la dirige, avec quels moyens, dans quel but – sinon les talibans et assimilés, certes, qui semblent par contre savoir ce qu’ils veulent. Comme le note le Guardian: «The rift between the US and its European allies comes as the Taliban extends its influence in the country….»

Effectivement, si les guerriers américanistes ne contrôlent même plus leurs bavures, voilà une situation originale.


Mis en ligne le 8 septembre 2009 à 12H38