Que peut faire l’Iran de la sublime paralysie BAO ?

Bloc-Notes

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1128

Que peut faire l’Iran de la sublime paralysie BAO ?

La “sublime paralysie BAO”, c’est comme une vague énorme et paradoxalement immobile d’un tsunami politique qui affecte toutes les affaires sensibles du monde, transmutées aussitôt dans des crises structurelles, elles aussi figées dans l’immobilité. Ainsi en est-il des effets de ce qui est devenu la politique du bloc BAO, que nous désignons d’une façon générale et explicitée dans notre Glossaire.dde (voir le 17 novembre 2012) comme la politique-Système, dans cette séquence historique commencée le 11 septembre 2001 et accélérée par la crise générale de l’automne 2008. Les crises spécifiques, régionales, etc., générées par ces grands événements, sous forme de chaînes crisiques et d’ infrastructure crisique, se caractérisent effectivement par une non moins paradoxale paralysie, une quasi-impossibilité ontologique d’être résolues. Ainsi en est-il de la crise iranienne, qui est en fait une crise des relations entre le bloc BAO et l’Iran, qui a duré dans sa phase active quasiment une décennie, ponctuée par des menaces d’attaque-surprise d’anéantissement (de l’Iran), une accumulation de sanctions diverses et des promesses de restauration de ces mêmes relations, – sans que rien ne bouge décisivement, sans que rien ne se fasse vraiment. Dans ce cas iranien, des pressions nouvelles (celle de la crise syrienne notamment) et des changements politiques à Téhéran ont conduit à une phase évolutive des négociations avec un premier accord partiel. Mais c’est surtout la crise ukrainienne qui a supplanté décisivement dans le système de la communication toutes les crises de la phase précédente (“crise iranienne”, crise syrienne), réorientant décisivement l’activisme de la politique-Système et mettant le cas iranien hors des priorités du bloc BAO. De ce fait, l’Iran se retrouve devant des opportunités nouvelles, au-delà même du simple fait des négociations dans la phase où elles se trouvent.

Simon Tisdall, du Guardian, nous en informe à partir de Téhéran, le 12 mai 2014, d’où il nous rapporte le sentiment des dirigeants iraniens à la lumière de la crise ukrainienne. Selon notre sentiment, il y a un affaiblissement considérable de la position du bloc BAO & consorts dans les négociations avec l’Iran, à cause de la crise ukrainienne qui réduit considérablement les pressions de la politique-Système contre l’Iran. Ce sentiment des dirigeants iraniens, percevant le renforcement soudain de leur position, se résume à une alternative : ou bien les pays du bloc BAO font rapidement progresser le dossier iranien pour le boucler, à la satisfaction de l’Iran, pour rétablir l’Iran dans sa position de producteur d’énergie de plein droit, pour trouver une source alternative d’énergie et tenter de dépendre un peu moins des Russes ; ou bien rien de la sorte de ne passe et les Iraniens saisissent la main tendue, nous dirions de facto, de la Russie, se rapprochent de se pays, forgent avec lui une sorte d’entente conjoncturelle appuyée qui se marquera dans divers domaines, qui orientera l’Iran vers d’autres voies et d’autres proximités...

«The Ukraine crisis has strengthened Iran's hand in its nuclear talks and other dealings with the west by reminding European countries and the Obama administration of its potential as a major alternative energy supplier if Russia cannot be relied upon, officials and analysts in Tehran say. But even as it attempts to play the Russia card, the government of President Hassan Rouhani is simultaneously stressing closer bilateral ties with Vladimir Putin's Kremlin as a means of mitigating the impact of US, EU and UN economic sanctions, imposed in the still-unresolved row over Iran's nuclear programme.

»“The western countries are imposing sanctions on Russia [after its annexation of Crimea]. Now Russia is the bad guy," said Amir Mohebbian, a government adviser. “This has made the situation better for Iran's nuclear negotiators. Time is on our side. If we sit here long enough, it will all come to Iran.”

»It was not for Iran to say who was right or wrong in Ukraine, said Mohammad Marandi, an international relations expert at Tehran University. “But of course if Iran is no longer under sanctions, the Europeans would have many more choices regarding energy. At the same time, if the sanctions continue, Rouhani may move closer to Russia and China.”»

Tisdall détaille les avantages évidents, les opportunités, etc., qui marquent les deux côtés, – Iran et bloc BAO, – si une entente peut se faire sur la question du nucléaire et permettre la réouverture du jeu pour l’Iran, dans le domaine des relations commerciales, et surtout les questions de commerce de l’énergie. Et puis, il y a l’autre terme de l’alternative. Le président iranien Rouhani en a déjà parlé...

«Speaking last month as the Ukraine crisis intensified, Rouhani went out of his way to praise Russia. “Strong political ties in bilateral, regional and international domains, along with vast economic relations between the two countries, set the stage for the promotion of peace and stability,” he said. Rouhani's message to the west was plain: if there is no deal to end sanctions, Iran has strategic alternatives that the US, Britain and others may find unpalatable.

»Western analysts worry the Iran-Russia relationship may expand into the security sphere. Concern centres on the sale of Russian advanced S-300 advanced anti-missile defence systems, which would provide Iran with state-of-the-art protection in the event of a hypothetical Israeli or American attack...»

Tout le sel du jeu, bien entendu, est que l’avancement final des négociations dépend également de la Russie, puisqu’on sait le rôle constructif qu’a joué la Russie dans le jeu des P 5+1 et que l’on ignore si la Russie voudra continuer dans cette voie, ou bien choisir la voie contraire... La levée effective des sanctions (si même un accord est atteint) dépend, elle, en bonne partie, de l’humeur fantasque du Congrès US, d’un lobbying pro-israélien en pleine crise (voir le 5 mai 2014), et également d’un Netanyahou de plus en plus isolé et qui s’accroche désespérément au spectre de l’arme nucléaire iranienne. Cela fait beaucoup de variables insaisissables et de tempérament en général hystérique, avec en prime un pouvoir washingtonien en constante dissolution, parfaitement représenté par l’impuissance complète de l’“homme le plus puissant du monde” (voir le 10 mai 2014). D’une certaine façon, les Européens sont tous plus ou moins pour la levée effective et opérationnelle des sanctions sans autre restriction, et cela encore plus à cause de la crise ukrainienne (voir ci-dessus) ; mais sans doute devraient-ils faire montre de leur prudence proverbiale avant d’envisager de s’exprimer pleinement dans ce sens, c’est-à-dire y regarder à deux fois avant de quitter complètement leur posture extrémiste, – car le bon sens et l’évidence sont bien souvent d’effrayantes perspectives pour nos grands esprits postmodernes. Il est assuré qu’une perspective de l’Europe rompant la solidarité du bloc BAO pour s’ouvrir complètement et sans restrictions à l’Iran se heurterait aussitôt à une féroce campagne de ces mêmes forces hystériques qui règnent à Washington, et qui conduisent à la durabilité presque infinie de la stagnation extrémiste de la politique-Système à l’encontre de l’Iran, même lorsque ce qu’on juge être des “percées” diplomatiques (comme celle des négociation avec un premier accord) ont été réalisées.

... Bref, nous sommes prêts à croire que la levée finale des sanctions iraniennes dans le chef du bloc BAO, avec la restauration des liens avec l’Iran et la “réintégration” de l’Iran dans la “communauté internationale” (tous ces termes entre guillemets représentant des situations de communication exprimées par le bloc BAO totalement faussaires), constituent un train de mesures tellement justifié, tellement évident, tellement nécessaire (pour le bloc BAO lui-même d’ailleurs), qu’il ne sera certainement pas autorisé à quitter la grande gare de triage (les négociations en cours) où il est maintenu en attente. C’est-à-dire qu’il nous semble absurde d’attendre un acte collectif, constructif et raisonnable, de grande ampleur et véritablement structuré, de la part d’un bloc BAO paralysé par la surpuissance extrémiste et l'inaptitude au compromis qu’exsude le Système dont il dépend. Cela signifie encore qu’entre les deux termes de l’alternative évoquée, il nous semble raisonnable de proposer la perspective d’un rapprochement avec la Russie comme une très forte probabilité. Cela impliquerait effectivement une relance des fournitures d’armements russes à l’Iran mentionnée par Tisdall comme mesure spectaculaire qui serait aussitôt mise en évidence, alimentant évidemment la panique chronique des experts du bloc (bien entendu, la citation des S-300 est bienvenue, tant le mythe construit autour de ce système est devenu un classique du genre). D’autres initiatives seraient bien entendu envisageables, outre l’évidente accélération des relations économiques de l’Iran avec la Russie et tout ce qui n’est pas partie prenante du bloc BAO (les BRICS notamment). On pourrait ainsi envisager la concrétisation des liens avec l’Organisation de Coopération de Shanghai, à la réunion de laquelle l’Iran est depuis plusieurs années présent comme pays observateur invité. D’une façon générale, nous croyons que la phase actuelle d’une sorte de freinage structurel de la dynamique existante dans les négociations avec l'Iran depuis l’automne dernier, freinage à cause de la crise ukrainienne, débouchera sur une prise de position explicite de l’Iran dans cette crise, en faveur de la Russie, une confirmation du tournant de l’Iran vers le monde non-BAO et par conséquent l’opportunité ratée pour le bloc BAO d’un rétablissement de relations normales avec l’Iran. Il y a dans tout cela, selon nous, l’implacable logique déstructurante et dissolvante de la politique-Système, de plus en plus marquée par la transmutation de sa dynamique de surpuissance en dynamique d’autodestruction.


Mis en ligne le 14 mai 2014 à 03H21