Paulson, les mains jointes et à genoux, implorant Dame Pelosi

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Paulson, les mains jointes et à genoux, implorant Dame Pelosi

La rencontre de la Maison-Blanche, jeudi 25 septembre, entre Bush et des membres de son cabinet (dont Paulson), les deux candidats et les dirigeants du Congrès, est un moment d’Histoire et un moment d’anthologie. Divers organes de presse en rapportent le détail, dont The Times du 27 septembre, avec Gerard Baker, et The Independent du même jour, avec Rupert Cornwell. Les deux textes, fort proches et se recoupant souvent, ce qui en assure le crédit, décrivent en détails cette réunion historique. Cornwell nous donne la substance de la chose avec son premier paragraphe: «It was gripping political drama, and it may yet prove to have been a master move by Republicans to rescue the presidential bid of John McCain. But in terms of rescuing America's reeling financial system, the meeting convened by President George Bush on Thursday afternoon was an unmitigated disaster.»

Les textes révèlent que la surprise de la réunion, qui constitue la relance du blocage de l’accord du Congrès pour voter le plan Paulson, fut la position de la minorité républicaine de la Chambre, qui s’avère farouchement opposée au plan Paulson à cause de ses insupportables aspects “socialistes” et interventionnistes. Les démocrates soutiennent le plan avec toutes les réserves du monde à condition que les républicains le soutiennent également, pour ne pas se retrouver extrêmement vulnérables dans la campagne électorale aux critiques du camp McCain, lorsqu’on sait l’impopularité du plan. McCain est l’homme clef, et il est décrit comme n’intervenant guère durant cette réunion. Son silence est un aveu. Il manœuvre serré, ne se prononçant pas contre le plan pour ne pas encourir l’accusation d’irresponsabilité et de démagogie, y compris de l’administration qui est de son parti, mais pas loin de laisser comprendre cette opposition pour gagner le soutien populaire. McCain représente une situation typique du système, tels que les gens de l’administration n’ont cessé de la renforcer bien qu’ils se trouvent pour cette fois dans le camp de la soi disant vertu publique.

Les textes montrent aussi l’intensité tragique de la réunion, nul n’ignorant l’extraordinaire puissance des enjeux. Baker résume ainsi la chose:

«When the photographers had been dismissed, President Bush spelt out what was at stake. According to senior advisers briefed on the detail of the meeting, he told the assembled leaders that it was not just the US financial system that was in peril. He made it clear that the entire architecture of the global economy was at stake.

»The US’s financial credibility was in jeopardy. If a deal were not concluded to back the bailout, there was a chance that global investors, including central banks around the world, would lose faith and begin selling their huge holdings of US government debt. That would send US interest rates through the roof and produce a Latin American-style run on the dollar.

»Underscoring the seriousness of that threat, earlier in the week David McCormick, the senior Treasury official for international policy, had been dispatched to Asia, to reassure the Chinese and others that US credit was good and urging them not to dump Treasury bonds.»

Un coup d’œil sur l’anecdote que nous signalons dans le titre, que les deux récits rapportent, d’un Paulson, à bout d’arguments, singeant une supplique à l’intention de la Speaker de la Chambre, la démocrate Nancy Pelosi, le Chrétien réformé face à la Catholique pratiquante. Cette petite scénette en forme de plaisanterie qui est un instant de détente dans la tension de la réunion, résume bien cette réunion, à la fois la tragédie de l’enjeu, la dérision des situations qui bloquent une conclusion positive, le caractère désespérant de ce blocage, l’épuisement de la raison à bout d’arguments devant des positions qui ne dépendent pas de l’enjeu mais de considérations politiciennes. Tout le monde récolte les fruits amers d’une décadence civique qui n’a jamais été aussi fortement illustrée.

Selon Gerard Baker, du Times… «Mr Paulson, a former chief executive of Goldman Sachs, perhaps showing the strain of what must have been the worst week of his professional life, pleaded with Mrs Pelosi, the daughter of a trade union leader, to reconsider.

»He half-jokingly went down on bended knee and clasped his hands as if in prayer. “I didn’t know you were a Catholic,” Mrs Pelosi, a Catholic herself, quipped to the normally undemonstrative and austere Mr Paulson, a Christian Scientist.»

Ruper Cornwell, de The Independent… «It died despite some tongue-in-cheek overacting by Henry Paulson, as the Treasury Secretary dropped on one knee before Nancy Pelosi, the House speaker, imploring her not to “blow up” the deal by withdrawing Democratic support.

»“I didn't know you were a Catholic,” replied Ms Pelosi, herself of impeccable Italian Catholic ancestry. And anyway, she continued, “It's not me who's blowing this up, it's the Republicans.” To which Mr Paulson could only reply, “I know, I know.”»

Ces récits nous parlent mieux qu’une longue analyse. Ils nous décrivent la situation à Washington, précisément pour ce qu’elle est, – un système prisonnier de lui-même, les hommes du système prisonniers du système, tout cela en parfaite conscience pourtant de la gravité de la crise.

• Il n’y a pas de coup de force de Bush, de prise du pouvoir par Paulson, comme certains l’en ont accusé. Le désordre règne, impérial et impératif. L’administration est prisonnière du Congrès, qui est prisonnier de la minorité républicaine à la Chambre, qui est prisonnière des impératifs de la candidature McCain, l’une et l’autre prisonnières de la pression des électeurs. «La dictature de la majorité» de Tocqueville, exercée sur une élite qui trompe depuis si longtemps la majorité sur le sens de son action. Chacun est prisonnier de l’autre, et le système prisonnier de lui-même.

• Baker évoque à plusieurs reprises l’ombre de FDR, puisque la pièce où se tient la réunion fut rénovée sous la présidence de FDR, en 1934, en pleine Grande Dépression. Parce que, selon Baker, aucune réunion plus dramatique n’a eu lieu dans cette pièce depuis 1934. Là s’arrête l’analogie, outre du suggérer la similitude de l'urgence des situations (c'est maintenant une banalité de se référer à la Grande Dépression pour mesurer la gravité de la situation; du point de vue politique et structurel, nous y sommes largement, peut-être aujourd'hui plus gravement qu'en 1933). En mars 1933, dans l’urgence extrême de la grande Dépression, FDR avait fait entériner en un jour par un Congrès hostile sa décision de fermer les banques pour 30 jours. Aujourd’hui, le Congrès débat depuis une semaine sans parvenir à un accord sur une mesure que tout le monde place dans le contexte d’une situation où chacun juge que la survie même du système est en jeu.

Quelle que soit l’issue de cette longue bataille pour le plan Paulson, les événements ont déjà rendu leur verdict, le poison (“toxic”, comme les dettes de Wall Street) a déjà fait son œuvre. L’absence de sursaut d’unité de l’establishment, – encore une fois et sempiternellement, quoi que vaille le plan Paulson, – a signifié le délabrement complet du système. Le public, furieux plus qu’angoissé malgré tant de raison de l’être, sent plutôt qu’il ne comprend qu’il tient Washington au moins autant que Washington le tient. La démonstration est faite de l’absence d’énergie vitale de ce système, de la paralysie et de l’impuissance qui y règnent. Même si le pire était évité pour l’instant, la chose ne serait que remise. L’effondrement du système est désormais affaire de “quand?” et non de “si?”. Les événements montrent que cette destruction se fera à coups de boutoir successifs, aucun n’entraînant l’effondrement mais chacun le minant davantage. Les termites, certes…


Mis en ligne le 27 septembre 2008 à 09H37