OTAN, soupirs & gémissements

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OTAN, soupirs & gémissements

30 mars 2009 — Il y a quelques années, – disons en 2002, Rumsfeld regnante, ou bien en 1993, Clinton éclatant de rire, – la question vous émoustillait encore. “L’OTAN sert-elle à quelque chose?”, c’était “la question à 64.000 dollars”. Aujourd’hui, avouons-le piteusement, c’est “la question à deux balles”; c’est-à-dire que tout le monde s’en fiche plus ou moins ouvertement, la chose étant tranchée depuis belle lurette.

(Il n’y a que les Français pour y croire encore. Malins, ils rejoignent l’OTAN en clignant de l’œil, mais avec une certaine rougeur de confusion au front qu’ils ont si vaste. Nous reviendrons sur la question le 3 avril, pour saluer le sommet sur le Rhin et la riche politique atlantiste des Français, modèle-1966 inversé, si complètement d’actualité. La maladresse des Français quand ils se croient malins en même temps qu’ils ont un peu l’impression de faire une grosse bêtise, comme on vole un peu de confiture, – cette maladresse nous a toujours un peu touchés, – comme on dit, “la tendresse bordel”. Les Français et l’OTAN, depuis le départ du général, nous ont toujours paru peu ou prou ressembler à l’image d’une adolescente vaguement énervée des années 1960, – toujours cette fameuse décennie, – tentée par “sa première surprise-partie”, – chanson fameuse de Sheila à l’époque. Ils voudraient tant y aller, dans l’OTAN, mais ils ont peur d’être grondés grave. Enfin, ils y sont, ils vont à leur première surprise-partie avec leur pot de confiture. Passons, puisque nous y reviendrons.)

…Non, il y a aussi, il y a surtout les experts pour s’intéresser à la chose. Eux, ils ont, en permanence par les temps qui courent, la tentation de l’angoisse, comme si Poutine avait la moustache de Staline et Misha Saakachvili les traits pathétiques d’Alexander Dubcek. On a les rêves qu’on peut, qui sont ceux que l’époque vous permet, qui est l'époque d'un autre temps. Il n’étonnera donc personne que la dernière en date des études d’experts sur l’OTAN constate que les rêves sont un peu courts, disparates, éparpillés, de plus en plus impuissants à ranimer les ardeurs éteintes et ainsi de suite.

Il s’agit d’une étude d’un centre d’analyse stratégique hollandais: New Horizons, – Finding a path away from NATO’s de-solidarisation, datée de mars 2009. Les termes de EUObserver du 27 mars 2009 à ce propos nous disent qu’on observe que “l’OTAN manque de plus en plus de solidarité et d’unité de vue concernant ses options stratégiques futures, telles que les relations avec la Russie et l’élargissement, selon une étude publiée par un centre d’analyse hollandais, le Centre des Etudes Stratégiques de La Haye”.

«Issued just a week ahead of NATO's 60th anniversary summit, the study, Finding a path away from NATO de-solidarisation is aimed at feeding into the drafting of the alliance's new strategic concept, which dates back to 1999. The 26 NATO heads of state and government are set to start work on a new concept at the summit. Challenged by new problems such as the economic crisis, the race for Arctic resources, and a resurgent Russia and China, NATO is facing the “strategic necessity” of reconciling its traditional role – providing for the security of its members – with that of coping with these new challenges, the report highlighted.

»Carried out amongst 300 experts and students on transatlantic security, the study was launched on Thursday (27 March) at the Security and Defence Agenda, a Brussels-based think-tank that focuses on EU-NATO issues. […]

»A potential break-up of the eurozone, a topic of speculation in financial circles, could have a significant impact on European security and defence, the head of the Dutch think-tank said at the event. “We don't know yet what the outcome of the financial and economic crisis would be. If the eurozone breaks up – there is this possibility – then it will surely affect defence and security in Europe. But the crisis could also lead to more integration. It could go both ways,” said Rob de Wijk, the director of the Hague Centre.

»Mr de Wijk later told EUobserver that talk about a eurozone breakup was “no longer as taboo as [it was] two to three months ago” and is being debated in the financial world. Such fears mainly revolve around the troubles that Ireland and southern members of the single currency – Portugal, Spain, Italy and Greece, have in selling bonds and stabilising their growing deficits.

»The Dutch think-tank is closely following the security impact of the financial crisis, particularly in terms of a power shift from the West to the East, notably due to China's rising financial power, he explained.»

Un passage notable de l’article est celui où nous est rapportée l’intervention de l’ambassadeur de Hongrie à l’OTAN, lors de l’événement du 27 mars du lancement public de l’étude. L’ambassadeur fait partie de ces pays d’Europe de l’Est qui ont comme religion officielle la crainte d’une invasion venue de l’Est, et auxquels on fait la critique de ne pas assez penser aux grandes aventures expéditionnaires dont l’Ouest a le secret, et dont l’Afghanistan est, aujourd’hui, l’exemple le plus convaincant.

«Speaking at the event, Hungarian ambassador to NATO Zoltan Martinusz pleaded in favour of NATO's enlargement policy, which saw his country join after the fall of the Iron Curtain. “NATO has a strong role in promoting transformation and change, and the political transformation of Eastern Europe was one of the historic successes of NATO, done a hundred percent by political, not military means,” Mr Martinusz said.

»The Hungarian diplomat dismissed the idea that eastern European members refused to transform their forces to be more expeditionary and deployable abroad, but preferred to keep more “static” troops which could defend them from a classical terrestrial invasion, alluding to the one Georgia faced last summer when after Tbilisi's attack on South Ossetia, the Russian army invaded its territory with tanks. “We don't have static forces anymore. Hungary only borders allies, and from hundreds of tanks, we only have six now, for training purposes,” he said.»

L’ambassadeur s’emploie donc à montrer que son pays n’a pas de préférence pour les forces “statiques” (c’est-à-dire prêtes à repousser l’invasion inéluctable de l'Est); d'ailleurs, il n’y a pas de forces du tout puisqu'il n'y a pas vraiment d’armée; d'ailleurs, l’armée hongroise, qui avait des centaines de chars, n’en a plus que six aujourd’hui, qui servent à l’entraînement; d’ailleurs, à quoi servirait d’en avoir plus puisque la Hongrie est entourée d’amis? Effectivement, quel est le sens, ou plutôt quel sens peut avoir une alliance militaire dans de telles conditions, sinon celui de tourner en rond, entre amis?

Le passage n’est là que pour mesurer la confusion des choses, pour illustrer ce que constatent les experts. Quelle conclusion tirerait l’OTAN d’une telle confusion, alors que la même Europe de l’Est, dont fait partie la Hongrie, est dans la situation de rapide évolution qu’on sait? Comment songer à une conclusion alors qu’il semblerait plutôt qu'une vaste “partie” s’engage et qu’on n’en connaisse pas encore précisément les prémisses?

Les “questions à deux balles”

Bel effort, certes… Trois cents experts pour nous dire des évidences aussi assurées, voilà l’image de notre temps. Mais ne boudons pas la vertu de la chose; enfoncer les portes ouvertes est certes un des sports favoris des olympiades postmodernes mais il faut apprécier dans ce cas qu’il est confirmé que ces portes sont bien réelles, qu’elles sont ouvertes et que le vide où elles ouvrent existe réellement. Nos experts constatent que l’OTAN est d’une utilité limitée, que la solidarité n’existe plus, qu’on n’a plus les mêmes objectifs, qu’on ne pense plus pareil. L’OTAN ne sert à rien et si elle servait à quelque chose on en serait à se demander absurdement: mais à quoi sert l’OTAN puisqu’elle sert à quelque chose? Et si l’OTAN n’existait pas, eh bien, sans aucun doute, il ne faudrait surtout pas l’inventer. Voilà sur quoi l’enfoncement des portes ouvertes nous fait déboucher.

Pour autant, il y a d’autres choses qui se dessinent en arrière-plan, qui sont bien plus importantes. Le travail de nos experts, ayant constaté ce qui est l’évidence, devient de se demander: comment remédier à tout cela? Comment réactiver, réactualiser l’OTAN? Cela revient à s’interroger sur la stratégie nouvelle dont il faut la charger (“nouveau concept stratégique”), tout comme sa mission de sécurité qu’il faudrait définir. Elargissons notre réflexion, – l’OTAN deviendrait alors un prétexte pour cette réflexion, mais cette réflexion lui réglerait également son compte (dans le bon ou le mauvais sens).

Ils sont sympathiques, tous ces stratèges qui nous disent d’une part : vite, vite, faisons un “nouveau concept stratégique pour l’OTAN”, parce que sans cela l’OTAN bascule dans son propre vide, comme une politique étrangère (US, obviously) qui se contracte; et qui vous disent d’autre part: la crise financière, terrible et systémique (nous leur soufflons: et eschatologique), bouleverse tout, et elle encore en train de se faire. Si la crise bouleverse tout, est en train de bouleverser tout, comment voulez-vous faire votre “nouveau concept stratégique pour l’OTAN”?

A cela, un esprit habile vous répondrait : “oui oui, nous le faisons vite, notre ‘nouveau concept stratégique pour l’OTAN’, de peur que la crise nous dévoile que l’OTAN ne sert plus à rien”. Pas mal trouvé, non? Pour cela, il faudrait que tout le monde soit d’accord sur l'échappatoire à trouver, sur la “solidarité” ou quelque chose de la sorte à établir, c'est-à-dire d'accord sur un concept relooké qui donnât de l’air à cette usine à gaz en perdition. Comme on a vu, c’est justement le contraire, qui est le thème exploré par nos experts: la dé-solidarisation de l’OTAN. Il est difficile d'en éprouver une grande surprise. Les nations, elles, les Etats-membres, sont déjà dans la crise, et il s’ensuit une aggravation vertigineuse de la mise en pièce d'une solidarité surannée et tellement d'un autre temps, déjà en piteux état avant la crise, en même temps que s'accélère le bouleversement de toutes les perspectives. La préparation du G20 est édifiante à cet égard; l’importance donnée au G20 par rapport à celle qu’on accorde à l’OTAN l’est aussi.

Mais il y a plus grave, et c’est là où la réflexion s’élargit encore plus et que l’OTAN se rapetisse à mesure. Nous nous installons de plus en plus vite dans une époque nouvelle, où les paramètres qu’on commence à distinguer sont absolument bouleversants. Nous en énonçons quelques-uns, sous quelques aspects divers, comme autant d’hypothèses dont notre conviction est que les événements vont de plus en plus les étayer.

• La “guerre” et la “sécurité” sont des notions qui sont en train d’être absolument pulvérisées avant de se recomposer en quelque chose de complètement nouveau. C’est le cas lorsqu’un secrétaire à la défense US préfère rester au Pentagone plutôt que venir à un sommet de l’OTAN de l’importance de celui de Strasbourg avec tout ce qui l’accompagne. En théorie, c’est l’homme le plus intéressé au bon fonctionnement de l’OTAN, puisque chef de la machinerie (le Pentagone) dont l’OTAN est le territoire annexé et la courroie de transmission, selon les schémas bien connus. Pourquoi Robert Gates fait-il cela? Parce que, comme l’avait annoncé sur un mode prémonitoire Donald Rumsfeld le 10 septembre 2001, le Pentagone est le lieu impérarif de la “nouvelle” guerre dans laquelle le secrétaire à la défense est mobilisé. L’OTAN n’est pas conçue pour conduire cette guerre et elle en serait plutôt une des causes.

• En effet, la “sécurité”, aujourd’hui, se trouve sur le front de toutes les crises sectorielles enfantées par la crise systémique générale. Les plus graves, pour un secrétaire à la défense des USA, ce sont les crises de la bureaucratie, de la production d’armement, des structures en décomposition des forces armées. Que reste-t-il pour l’OTAN et ses projets? Le seul intérêt de l’OTAN pour les USA aujourd’hui est purement négatif, à contretemps: comment se débarrasser de cette folie qu’est devenue la guerre en Afghanistan, – comment l’OTAN peut-elle nous y aider?

• En contrepartie, on devrait en venir de plus en plus au constat que la guerre, au sens classique, avec “victoire” et “défaite”, que cet événement n’existe plus. La guerre actuelle, c’est la G4G; ce n’est pas une guerre de conquête, ni une guerre de “victoire”; ce n’est même pas une guerre au strict sens militaire de la quincaillerie, puisque ses moyens sont aussi divers que les situations du monde. La G4G, c’est une guerre “en contre”, par tous les moyens, contre les abus du sophisme occidental sur la supériorité d’un système moral, économique et technologique, dont l’infamie est en train d’être exposée par la crise générale, qui achève ainsi de perdre ce qui lui restait d’apparence de légitimité; une guerre contre un système qui est conduit aveuglément à vouloir emporter tout, y compris ceux qui prétendent le servir ou s’en servir. La G4G est une guerre pour la reconquête de la légitimité et de la souveraineté face aux pressions d’un système déstructurant et en décomposition, et elle se livre autant dans les urnes (référendum du 29 mai 2005) qu’en Irak. Que peut faire l’OTAN de la G4G? La question n’a pas de sens, – “question à deux balles”.

• La guerre hypothétique, c’est la guerre conventionnelle de haut niveau, celle qu’on prépare de plus en plus poussivement et qui a de moins en moins de chance de se faire. Pour se faire, effectivement, elle doit employer les technologies de plus haut niveau demandant une base industrielle et technologique exceptionnelle, et bien peu de pays sont capables seulement d’envisager un tel programme. Mais, inversement et tragiquement, ce que nous montre le destin du Pentagone, c’est que ces technologies et tout ce qui les accompagne, qui sont nécessaires à cette guerre, nous dévorent. Le système, arrivé à son terme, ne parvient plus ni à produire les systèmes pour ces guerres, ni à conduire ces guerres, ni même à les terminer, alors que l’évacuation ordonnée coûte plus cher que la guerre elle-même, laquelle a précipité dans la crise le pays qui l’a faite. Il est bien possible que la guerre conventionnelle de haut niveau soit dans une impasse surprenante, que certains jugeraient catastrophique.

La définition de la “sécurité”, qui évolue évidemment à une vitesse très grande, comme le reste, a de moins en moins à voir dans ses fondements avec les termes militaires, avec la stratégie, etc. Les termes militaires et la stratégie viennent, comme des conséquences plus ou moins lointaines d’une crise systémique générale qui concerne aussi bien l’“industrie financière”, le rôle du dollar, le fonctionnement du Pentagone, la situation sociale aux USA, la “guerre” du narco-trafic à la frontière mexicaine, les effets de la crise climatique, etc. Face au G20, à quoi peut prétendre l’OTAN? Quelle utilité? Quelle substance? “Questions à deux balles”…