O’Donnell et Tea Party : politique ou symbole ?

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Il y a eu, hier, une grande journée de plus pour l’expansion du désordre aux USA, avec la victoire dans les primaires républicaines (désignation du candidat pour les élections de novembre) de divers candidats Tea Party, notamment de la parfaite outsider, extrémiste, soutenue par Tea Party, Christine O’Donnell, dans le Delaware. (Pour avoir une idée de la victoire de Tea Party, par rapport à laquelle la victoire de O’Donnell doit être appréciée essentiellement comme l’expression la plus remarquable, on peut lire RAW Story du 15 septembre 2010.) La présentation classique de O’Donnell est faite par le Guardian du 15 septembre 2010. Le chapeau de l’article suffit à nous convaincre que O’Donnell est le Diable en personne féminine : «Christine O'Donnell, who is pro-gun, anti- abortion, and believes masturbation is a sin, won by 53 per cent.»

Bien plus intéressante pour fixer les choses et nous suggérer un commentaire plus approfondi, la réaction de Charles Krauthammer, sur Politico.com, ce 14 septembre 2010. Krauthammer est l’un des plus fameux neocons, partisan de toutes les guerres, de toutes les entreprises de déstabilisation et de déstructuration depuis 9/11, partisan forcené d’une attaque de l’Iran, partisan hystérique d’Israël et du Likoud. Eh bien, ce personnage si “révolutionnaire”, comme il aime à se faire apprécier, si partisan des entreprises les plus révolutionnairement déstructurantes, c’est-à-dire les plus cruelles et les plus irresponsables et se terminant en désastre, se lamente de la victoire de O’Donnell parce qu’il estime qu’elle a peu de chances de l’emporter contre le candidat démocrate et qu’elle contribuerait à réduire la représentation républicaine. Il se révèle ainsi comme une créature absolument partie intégrante de l’establishment, du conformisme et de l’électoralisme qui y règnent, bref une créature du système à 100%. La chose a le mérite d’être claire, en confirmant ce que sont vraiment les neocons, – créatures au service du système, rien d’autre.

«Leading conservative commentator Charles Krauthammer has rebuked former Alaska Gov. Sarah Palin and Sen. Jim DeMint (R-S.C.) for making the “irresponsible” choice of endorsing Christine O’Donnell over Rep. Mike Castle in the Delaware GOP Senate primary.

»“The Palin endorsement, I think, is disruptive and capricious,” Krauthammer said Monday night on Fox News’ “Special Report.” “Bill Buckley had a rule that he always supported the most conservative candidate who was electable, otherwise the vote is simply self-indulgence.” […]

»When Fox anchor Bret Baier pointed out the DeMint has also endorsed O’Donnell, Krauthammer branded the senator’s move “equally capricious and irresponsible.”

»“I'm not sexist on this,” the conservative columnist said. “It's a big mistake. Mike Castle is a shoo-in. He wins. O’Donnell is very problematic. She probably will lose.”»

Notre commentaire

Il y a plusieurs façons de voir la victoire de O’Donnell (ceci encore une fois précisé, cette victoire effectivement prise comme exemplaire de celle de Tea Party en général dans les primaires d’hier). Il y a d’abord la façon politique, qui est de dire qu’en devenant la candidate du parti républicain, elle déforce ce parti parce qu’elle a moins de chance que le cacique du parti (Castle) qu’elle a battu ; “a” ou “aurait” moins de chances ? C’est à débattre, comme l’on verra plus loin. Il y a la façon idéologique, qui est une sous-branche convenue de la politique et du système, qui est de dénoncer le diable en personne, populiste d’extrême-droite, qui voit la masturbation comme un péché, – ce qui signifie, pour ce dernier point, un recul de la civilisation d’au moins cinq siècles, plus peut-être, et qui sera certainement l’objet de commentaires sans fin, assurés, moraux, libérateurs, sarcastiques et surtout persiflants, – n’en doutons pas. Il y a une troisième façon, qui est symbolique, et qui nous libère de la chape de plomb des jugements obligés du système, – et une bonne approche de ce point de vue est de se reporter au texte de Chris Hedges, que nous présentions et commentions le 14 septembre 2010.

Nous devons avouer notre bien peu de goût pour débattre de la dame O’Donnell en fonction de ce qu’elle dit de la masturbation. Plus intéressante, par contre, est l’ambivalence des dirigeants démocrates vis-à-vis de Tea Party, et cette ambivalence bien visible dans de récentes sorties du vice-président Biden (le Delaware, où opère O’Donnell, est l’Etat dont Biden fut le sénateur pendant deux décennies)… D’une part, Biden a tenu à rendre public son jugement (qui est celui d’Obama également) selon lequel Tea Party n’est pas raciste ; d’autre part, il attaque le “republican tea party”, comme dépassé, obsolète, «out of step with where the American people are». Plus récemment, ce week-end dans le Delaware et avec à l’esprit la progression de O’Donnell dans les sondages, Biden a dénoncé Tea Party, cette fois sans référence au parti républicain, comme “populiste” et peu soucieux des règles démocratiques (lire : “des règles du système”). Il y a donc, chez les démocrates, le désir de favoriser électoralement Tea Party, vis-à-vis et à l’intérieur du camp républicain, parce qu’il y a leur conviction (peut-être discutable) que les candidats avec le label Tea Party sont moins éligibles contre un démocrate qu’un candidat classique du parti républicain ; il y a d’autre part la crainte, assez nouvelle et qui ne fera que s’accentuer, que Tea Party acquiert malgré tout un poids et une dimension de représentation nationale avec une capacité de peser à Washington, parce que cette organisation est perçue comme antisystème.

Ce dernier point nous amène à l’aspect symbolique de la victoire de O’Donnell. Il s’agit alors d’observer qu’il s’agit moins d’un événement politique partisan que d’un événement qui doit être placé dans la problématique de l’affrontement entre le système et la population US, de plus en plus furieuse et consciente que la voie à suivre est d’attaquer le système dans sa globalité, par quelque moyen que ce soit. Dans ce cas, comme on l’a dit déjà à plusieurs reprises à propos de Tea Party, l’analyse idéologique n’a aucun intérêt et apparaît surtout comme une arme du système pour tenter d’affaiblir Tea Party , c’est-à-dire la colère antisystème qui est derrière Tea Party; l’analyse politique n’a d’intérêt que tactique, pour mesurer la façon dont Tea Party peut intervenir à l’intérieur du système (“entrisme”) pour y exprimer ses vues, la façon dont il risque d’être récupéré par le système (le parti républicain classique) où la façon dont il parviendrait au contraire à introduire le désordre dans le cœur du système (du parti républicain classique mais aussi du système législatif). La dimension symbolique est toute autre, qui fait percevoir Tea Party comme une réaction de fureur et de résistance contre le système, cette dimension qui fait penser à certains “dissidents” de gauche qu’il devrait y avoir une alliance de la fureur et de la résistance antisystèmes de gauche et de droite, pour mener une attaque frontale contre le système. (On en revient à la logique de Hedges, homme de gauche.)

L’intérêt de la situation encore plus renforcée par ce mardi des primaires et la victoire de O’Donnelly est double.

• Les résultats d’hier (O’Donnelly et quelques autres) montre la rapidité de l’évolution de la situation. Il y a trois mois, il était impensable, structurellement et statistiquement, que O’Donnelly soit désignée comme candidate républicaine dans le Delaware. Elle l’est, et cela montre que le courant de contestation antisystème, plus que Tea Party lui-même, est en train de se renforcer dans une situation de crise générale de plus en plus bloquée. Cette dynamique implique une tension en constant renforcement, des attentes et un esprit renforcé de revendication, des exigences, etc. Elle implique également que tout pronostic est impossible, notamment celui qui fait d’un candidat venu de Tea Party (O’Donnell) un moins bon candidate contre les démocrates que le cacique du parti républicain qu’il a battu aux primaires. Quand on voit d’où vient O’Donnell, en quelques semaines, on réalise qu’il n’y a absolument rien d’assuré en aucun sens d’ici novembre.

• La logique inverse de la dynamique Tea Party reste valable (puisque tout est possible). Les résultats de novembre ne montreront pas nécessairement une forte présence, voire une présence d’influence significative de Tea Party. Tout comme la victoire par surprise de O’Donnell (pour rester à son cas) est possible, sa défaite l’est également, notamment parce qu’il est loin d’être assuré que le parti républicain, déchiré entre son désir de l’emporter et sa crainte d’être phagocyté par Tea Party, la soutiendra à fond, notamment financièrement, par l’intermédiaire de ses sponsors habituels qui pourraient devenir hésitants (c’est bien un cas incertain). Or, une telle issue peut avoir des conséquences importantes, dans le cadre constant de l’aggravation de la crise. On a vu qu’il y a, dans le parti républicain, un courant non négligeable pour envisager des alternatives “insurrectionnelles” si le Congrès ne change pas de majorité. Ce courant est évidemment typiquement d’obédience Tea Party. Une situation de semi-échec de l’influence de Tea Party à Washington, ou d’échec des candidats Tea Party dont la responsabilité serait attribuée à l’attitude du parti républicain officiel ou à d’autres considérations du même ordre (sabotage de leurs élection par le système), conduirait à des opportunités intéressantes. L’affrontement politique actuel risquerait de s’élargir à la mise en danger de l’ordre public, et la dimension symbolique (antisystème) de cette situation deviendrait prédominante.


Mis en ligne le 15 septembre 2010 à 09H23