Nationaliser Lockheed Martin? Friedman s'en retourne dans sa tombe

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Même si elle est d’un volume financier fort peu important, la nouvelle est d’une importance symbolique extrême, d’une importance politique qui ne l’est pas moins, d’une importance économique qualitative également significative. Elle est discrètement annoncée, ce qui confirme bien ces différents jugements. Il s’agit de la “nationalisation”, – c’est effectivement le terme impie qui est officiellement employé, – de Lockheed Martin Aircraft Argentina, qui a été approuvée par le Sénat argentin (voir AFP/Advfn.News ce 5 août 2009): «Argentine senators approved the nationalization of a local unit of Lockheed Martin on Aug. 5 that would see the state buy out the U.S. aerospace firm for $17 million.»

La décision de la présidente Cristina Fernandez (Kirchner) avait été annoncée, pour confirmation par le Sénat, le 17 mars 2009. Des détails avaient alors été donnés sur ce dossier, notamment sur les intentions politiques et technologiques de la présidente. L’affaire s’est faite bien sûr en complète coopération avec Lockheed Martin.

«Nationalization of Lockheed Martin Aircraft Argentina SA would boost industrial production by returning aeronautical technology development and production to the state, Fernandez said. Tuesday's announcement was expected due to preliminary contractual agreements in 2008 to transfer the company to the state. […]

«“We have an open dialogue with the Ministry of Defense and will work together to carry out any required decisions to exercise the contractual obligations related to the transition,"”Lockheed spokesman Rob Gross wrote The Associated Press in an e-mail. Gross would not provide details about the possible sale price of the company because of ongoing negotiations. Lockheed Martin, based in Bethesda, Maryland, has operated the former Argentine Military Aircraft Factory since 1994. State-run companies in Argentina and across Latin America faced a wave of privatizations during the 1990s.

»Fernandez has turned the tide, stepping up nationalization efforts begun by her predecessor and husband Nestor Kirchner. Congress approved a state takeover of billions of dollars in private pension funds and the takeover of the Spanish-owned Aerolineas Argentinas SA and its subsidiary Austral last year.»

La “nationalisation” porte en réalité sur le rachat d’une concession de 25 ans vendue à Lockheed Martin en 1995, pour le contrôle de la société nationale argentine Fábrica Militar de Aviones (FMA), fondée en 1927, – prestement rebaptisée Lockheed Martin Aircraft Argentina bien que n’étant pas devenue la possession de LM. Cette concession était également le cadre contractuel d’une opération majeure de modernisation, lancée quelques années avant, des avions de combat argentins A-4M SkyHawk (eux-mêmes rachetés au U.S. Marine Corps vingt ans plus tôt), le programme A-4AR FightingHawk. La “privatisation” impliquait le contrôle complet de l’orientation et de l’activité de l’entreprise, qui fut d’ailleurs cantonnées à des travaux annexes (“remise à niveau” des avions T-34 Mentor et C-130 Hercules, tous d’origine US, de la force aérienne argentine). Il s’agissait de l’achèvement d’un processus d’“américanisation” de l’entreprise et du domaine qu'elle couvrait, entraînant le cantonnement de ses activités à des travaux de second ordre dans un cadre politique contrôlé par les USA. Le projet actuel implique la tentative de revigorer une base technologique nationale pour ce domaine aérospatial de défense, en coopération notamment avec le Brésil. (Le Brésil lui-même, qui négocie un important contrat pour de nouveaux avions de combat, où le chasseur français Rafale a des chances importantes, avec l’accent mis sur le transfert de technologies devant permettre également un renforcement de la base technologique nationale).

Cette nouvelle de la “nationalisation” de l’ex-FMA repris par Lockheed Martin a une importance symbolique non négligeable dans la mesure où l'intervention de Lockheed Martin avait eu lieu en plein cœur d’une formidable vague de privatisation, dans l’Argentine de Carlos Menem, dans les années 1990, jusqu’à la catastrophe économique des années 1998-2002 (si puissante qu'elle a donné naissance au nom générique de “crise argentine”). Le cas argentin est l’un des principaux, en Amérique du Sud, notamment avec le Chili de Pinochet, d’un pays totalement soumis au traitement déstructurant radical du “capitalisme du désastre” dont parle Naomi Klein dans son livre La stratégie du choc. (Elle accorde une place importante à la description de la mise à l’encan du pays, selon les directives des Chicago’s boys de Milton Friedman, dans les années 1990, avec un Menem soi-disant péroniste, totalement récupéré, par le biais économique, par la tendance pro-américaniste.)

La décision argentine est une illustration symbolique d’un très fort courant, à la fois conjoncturel et structurel, qui parcourt l’ensemble du continent sud-américain.

• Courant conjoncturel, c’est-à-dire lié à la réaction qui suit la crise financière mondiale du retour massif des pouvoirs publics dans l’économie. Le courant est général et, en Amérique latine, il renforce la tendance structurelle décrite ci-après.

• Courant structurel, plus ancien bien sûr, depuis le début du siècle, et sur un terme plus long, illustrant la tendance d’une très forte réaction après la mise à l’encan du continent dans les années 1970-2000 par le “capitalisme du désastre”, intégral et ultra-libéral, appuyé par des actions politiques arbitraires locales soutenues par les USA, la violence policière, des pouvoirs publics complètement acquis aux intérêts économiques étrangers (US principalement) totalement prédateurs, etc. Depuis quelques années, la plupart des pays du continent réagissent en sens inverse, selon des voies différentes, que ce soit le Venezuela, le Brésil, l’Argentine, etc. (Ils ont bien entendu été puissamment aidés par l'effondrement de la popularité et de la puissance US marquant l'époque Bush.) Cela passe par des processus de nationalisation ou de re-nationalisation, par des réaffirmations souverainistes, etc., c’est-à-dire tout ce qui favorise la réaffirmation de l’indépendance nationale, du pouvoir politique et du domaine public. Le cas de l’ex-FMA, où l’on vit les ambitions technologiques et d’indépendance militaire argentines totalement détruites depuis les années 1970, est intéressant justement par tous les domaines essentiels qu’il touche (économie, politique, technologie et défense nationale , etc.).

D’une façon générale, cette “nationalisation” de Lockheed Martin est aussi un symbole remarquable du recul de l’influence américaniste dans le continent sud-américain, suivant l’invasion déstructurante et prédatrice du dernier quart du XXème siècle. Elle touche symboliquement le géant du complexe militaro-industriel US; pour $17 millions et pour un pays perdu au bout du continent, LM ne s’est sans doute aperçu de rien, mais il n’est nul besoin de son attention et d’une comptabilité en centaines de $milliards pour mesurer l’importance de la chose.


Mis en ligne le 7 août 2009 à 09H30