Naissance et absence de surprises de Occupy Wall Street

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RAW Story a publié l’interview, réalisé par Business Insider, de Phil Arnone, un étudiant de l’université de New York présenté comme l’un des “animateurs-fondateurs” de Occupy Wall Street. (L’expression employée pour caractériser Arnone est “one of the leading forces behind Occupy Wall Street”. Tout cela reste notablement flou, l’organisation OWS n’en étant pas une à strictement parler, n’ayant pas de hiérarchie ni de direction formelle, etc.)

Les extraits ci-dessous permettent de distinguer divers caractères qu’on devine dans ce mouvement, qui en fait un événement si singulier. Il y a les conditions très rudimentaires du lancement de l’“opération”, l’absence de planification sérieuse, la surprise des “organisateurs” et des participants de voir leur mouvement se réaliser, dépasser le simple objectif initial d’une manifestation symbolique, prendre une ampleur complètement inattendue, jusqu’à devenir ce phénomène national, voire mondial, qu’on observe aujourd’hui. Les références au “printemps arabe” et à l’Egypte sont également sans surprise par rapport à tout ce qui a été dit et observé jusqu’ici. Les “buts” du mouvement sont extrêmement vagues, et se contentent de dénoncer, pour les raisons qu’on connaît, la situation actuelle de la société, – ou du Système si l’on veut. L’apolitisme du mouvement est proclamé, avec notamment le refus de se rapprocher de l’un ou l’autre parti, y compris, pour le moment, pour 2012 et les présidentielles, mais sans refuser des concours d’hommes politiques. «I don’t think we would turn away anyone who has political aspirations and really want to work for the 99%, but at the moment we have no plans to run candidates in the 2012 elections or anything like that.»

L’impression générale de cette interview rencontre complètement l’impression qu’on s’est jusqu’ici formée du mouvement… Une initiative à la limite de l’amateurisme, informe dans le sens d’absence de structure, sans perspectives précises, d’idées fortes tant dans un “programme” par ailleurs inexistant que dans l’action elle-même, etc. On peut sans aucun doute gloser sur ces déclarations, et y voir soit une dissimulation, soit une grande naïveté derrière une manipulation, ou d’autres considérations de cette sorte. (On connaît quelques éléments de cette sorte de jugement.) Ce n’est pas notre conviction. Occupy Wall Street nous paraît vraiment être tel qu’il apparaît : quelque chose de tout à fait inattendu, improvisé pour l’essentiel, n’ayant rien vu venir de ce qu’il a déclenché, sans réelle conscience à l'origine ni de ses potentialités, ni de ses perspectives.

(Concernant la revue Adbusters, qui est mentionnée dans l’interview et qui est connue depuis longtemps comme un des moteurs initiaux du mouvement, on sait que sa présence dans le processus a nourri les soupçons d’une manipulation de George Soros de ce mouvement. Soros a réagi publiquement, en faisant donner tous les détails de son intervention auprès d’Adbusters, à partir d’une fondation charitable qui distribue les donations de fortunes individuelles, la fondation Tides. Les documents et rapports de Tides indiquent que Adbusters a reçu $185.000 de 2001 à 2010 [derniers chiffres disponibles.] [Voir l’intervention du porte-parole de Soros le 13 octobre 2011.])

Extraits de l’interview de Phil Arnone, mis en ligne le 24 octobre 2011.

«The original proposal was put forward by Adbusters which is a magazine headquartered in Vancouver. It comes out of the anti-consumerist movement from the ’90s — culture jamming they call it — but they’ve had no real activity when it comes to actual organization. So what happened was mostly folks from the traditional activists or organizing community — people who you would tend to see involved in various progressive causes over their lives and mostly young folks — attended the first general assembly which started in July and happened periodically over the summer…eventually leading up to the initial rally on September 17.

»A few people got arrested that day and it wasn’t really until we had the chance for the occupation to develop a little bit more and really make its presence felt. The fact that the protest didn’t just occur on one day and one day only — it’s every day, all day, every single day of the week, and it’s going on indefinitely — is giving people the chance to actually take notice of it, whereas if it happens on one day, by the time you learn about it, the moment to get involved has already passed. So I think that that tactical change — that we have to make this protest be indefinite and 5n the present and that’s what’s really enabled us to grow fundamentally since then.

[…]

»We were all very inspired by the Arab Spring. I think also a lot of us have been disappointed by what’s happened with the Obama Administration. I know I can speak for myself that I was really hopeful that we would have some change. I knew it wouldn’t be perfect, that not every dream we’d have would be answered, but that we wouldn’t really be seeing the man who promised to close Guantanamo, keep it opened indefinitely, extend wars, give tax cuts to the rich, you know, do all these things you’d expect Bush to do.

»I feel like I’m not really alone and that’s one of the things that we’re finding out is that there are really a lot of people who are feeling this way about the situation our country is in, and saw some incredible changes that happened in countries we never thought, and we’ve always been told, could never have these incredible changes happen. And the fact that it happened nonviolently in Tunisia and Egypt — Libya was clearly an extreme case. And we’re definitely not facing what the people in Libya, or the people in Syria or the people in Yemen are facing. I wouldn’t even compare us to the repression in Egypt, but having seen people nonviolently challenge their government; and even though the changes are ongoing and not perfect, the fact that people are trying and taking an active role is really inspiring to all of us.

[…]

»The best moment — one night while we waited for our eviction that never came — was listening to people take turns reading letters of support that folks had sent us. It really reminded us as to why we stood in the rain and got soaking wet for hours that night; that there are people all over this country who needs us to stand up for them. None of the people from the beginning thought it would get this big. We didn’t even think we’d make it to the first Tuesday. And when we made it to the second Saturday, I was in shock that we had survived that long. And when I heard that 54% of Americans support us or at least think of our movement favorably, that also shocked me and that really gives us hope.»

A la lumière de cette interview venant confirmer énormément d’informations dans le même sens, le mouvement Occupy Wall, Street s’avère surtout exceptionnel par ce qu’il n’est pas en lui-même, mais par le moment de son intervention sur la scène publique aux USA. L’exceptionnalité de OWS est quasiment d’un ordre négatif (l’utilisation des moyens technologiques et du système de la communication qui le caractérise n’est plus en soi un aspect exceptionnel, il s’agit maintenant de techniques bien rodées dans les “réseaux sociaux”) ; son action est bien de cet ordre de l’“inaction agressive” que nous avons catégorisée comme un équivalent, pour l’action, de l’attitude d’inconnaissance, ou d’“activisme désengagé”. Nous privilégions plus que jamais, à cette lumière, l’explication d’une rencontre entre cet événement de peu d’importance, avec d’autres événements de la même sorte, le tout rencontrant finalement un phénomène collectif du mûrissement des psychologies pour trouver un moyen d’expression d’un état d’esprit de révolte générale.

S’il peut y avoir évidemment des interprétations de complot ou de manipulation, ces interprétations nous semblent porter essentiellement sur les conséquences de l’évolution d’OWS, dont on voit qu’elles ne sont pas le fuit d’une volonté et d’une planification délibérées du mouvement. Cela nous conduit à d’autant plus écarter cette sorte d’explication, par le simple fait de la chronologie et de l’évidence des événements. La conclusion est donc bien que Occupy Wall Street a bien cet aspect de “spontanéité” qui est moins le constat d’une vertu en soi de ce mouvement, que du constat que de la rencontre entre un mouvement de ce caractère et un courant très puissant de psychologie collective qui lui a donné toute sa puissance.


Mis en ligne le 26 octobre 2011 à 05H22