Lord Drayson Goes to Senate

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Lord Drayson Goes to Senate

15 mars 2006 — Le JSF, les tourments britanniques et l’imbroglio washingtonien atteignent désormais notre “grande presse”. Même le New York Times, par l’intermédiaire d’Associated Press, consent à consacrer un article respectable à l’affaire.

[C’est l’avis de notre ami Robert North, spécialiste anglo-saxon incontesté sur Internet pour cette affaire. Aujourd’hui, il commence son article de cette façon : « At last, the Joint Strike Fighter ‘row’ has been promoted to the main pages of several newspapers. Moreover, Google offers over ninety stories on the latest developments of the saga we reported yesterday and in more detail on Sunday. »]

Les Britanniques ont largement couvert l’audition de Lord Drayson, que ce soit, — entre autres, — le Daily Telegraph, le Times, le Financial Times. Ces trois journaux sont cités d’une façon intéressée parce qu’ils représentent, à Londres, un éventail typiquement pro-américain. Il y a quelques nuances, entre le « Britain threatened the United States yesterday that it will cancel its £12 billion order for the new Joint Strike Fighter unless America agrees... » du Telegraph; le « Britain could pull out of the Pentagon’s Joint Strike Fighter programme if the US does not agree... » du Financial Times; et le « Britain yesterday threatened to scrap a planned £10 billion purchase of the new Joint Strike Fighter if the United States refuses... » du Times. Comme on peut le lire, c’est le vieux Times qui est le plus tranchant. Honneur à l’honorable, qui résume ainsi l’enjeu :

« Britain yesterday threatened to scrap a planned £10 billion purchase of the new Joint Strike Fighter if the United States refuses it access to American military secrets.

Lord Drayson, the Minister for Defence Procurement, told the Senate Armed Services Committee that Britain would lose sovereign control without the technology transfer deal.

»  The transfer is being resisted by both Congress and Lockheed Martin, which fears that it would mean handing over preciously guarded stealth aircraft technology to industrial competitors in the UK.

» But RAF chiefs say that failure to reach agreement will leave them having to beg for help from US Lockheed Martin specialists after each sortie flown by one of the new aircraft.

» Lord Drayson’s comments, on a trip to Washington yesterday, represent a significant escalation in a diplomatic row that has rumbled on, largely in private, for several months. »

Donc, Lord Drayson, qui est chargé des acquisitions au MoD britannique, parlait hier à ses “cousins” américanistes, en l’espèce les honorables sénateurs de la commission des forces armées. Rien de bien nouveau dans la plaidoirie de Lord Drayson, sauf l’annonce désormais publique que le Royaume-Uni veut un transfert important de technologies (essentiellement du software) pour assurer la “souveraineté opérationnelle ” de ses JSF, — si JSF il y a, n’est-ce pas.

Derrière le non-événement du point de vue de l’information stricto sensu, il s’agit d’un réel et important événement. Dans un univers criblé de double et triple langage, l’annonce officielle, solennelle, que les Britanniques quitteront le JSF s’ils n’ont pas satisfaction est incontestablement un grand événement politique. Désormais, l’enjeu est sur la table. Il implique le JSF, mais aussi les special relationships (Le Telegraph: « The bad-tempered row not only threatens the 150-aircraft programme, but also the intimate Anglo-American military partnership. »)

A la lecture de cette presse pour une fois abondante, nous avons eu quelques indications précises sur la position de Washington, — c’est-à-dire sur les positions à Washington. (En même temps que Lord Drayson parlait de la question du transfert de technologies, on discutait devant la commission sénatoriale de l’abandon du moteur Rolls Royce/GE par le Pentagone, qui est également un point de friction UK-USA ; c’était d’ailleurs le véritable thème de l’audition de la commission puisqu’il est aujourd’hui évident qu’il y a de fortes résistances au Congrès contre cet abandon.)

Ce que nous avons appris hier ? L’imbroglio washingtonien est plus labyrinthique que jamais.

• D’abord, tout va très bien avec l’administration GW Bush : « Lord Drayson said that talks with the Bush administration were going well. But the problem has little to do with America's government, which has been trying for five years to exempt Britain from stringent technology transfer rules. » Ainsi apprenons-nous que, depuis 5 ans, la Maison-Blanche tente de faire appliquer une décision sans aucun doute importante, de réaliser un transfert de technologie en toute confiance en faveur de l’allié privilégié, dans un programme fondateur de la puissance américaniste et transatlantique. Sans le moindre succès. Cela en dit long sur la réalité du pouvoir à Washington.

• Par conséquent, haro sur le Congrès, puisque tout serait de la faute du Congrès… « Henry Hyde, the Republican chairman of the House of Representatives International Relations Committee, is among those who have made it plain that the US should give the UK nothing. The White House is said to be sympathetic to Britain, but it is powerless to secure the transfer deal this year without approval from Congress. [… Lord Drayson] emphasised that negotiations had been going “pretty well” with the US Administration — but pointedly failed to say the same of Congress. »

• Mais le Congrès n’est pas vraiment d’accord avec cette façon de voir les choses… D’ailleurs, « [a] Republican congressional source said that the problem lay with the Pentagon, not with Congress » Et encore ceci: « At yesterday’s hearing [Drayson] also received some support from Joe Lieberman, the influential Democrat Senator, who said that he felt “very sympathetic” to Britain’s position on the technology transfer. »

• D’ailleurs, lorsqu’on en vient au moteur Rolls/GE abandonné par le Pentagone, le “méchant” semblerait effectivement le Pentagone et le “gentil” du côté du Congrès: « John Warner, the committee chairman, […] suggested the decision needs to be reviewed because of UK co-operation with the US in Iraq. » Enfin, pas tout à fait, puisque le même Lieberman, qui juge les exigences des Britanniques si sympathiques, les juge nettement antipathiques lorsqu’il s’agit du moteur (N.B.: Pratt & Whitney est, avec son moteur, concurrent du moteur Rolls/GE.): « Sen. Joe Lieberman, who represents Connecticut, the home state of Pratt & Whitney, defended the Bush administration's stance. The Democrat said Pratt & Whitney has won the competition to make the engine, and a second engine no longer would offer competitive advantages. »

• A propos du moteur, un rappel: la Maison-Blanche est plutôt d’accord avec les Britanniques mais elle s’estime sans réel pouvoir… etc.

• Au-dessus, ou à côté de cet imbroglio, la voix de Lord Drayson, osant des avertissements sérieux, au-delà du JSF : « The row, said Lord Drayson, could affect future co-operation on military deals such as a replacement of Trident as Britain’s independent nuclear deterrent. »

Conclusion ? Deux points doivent être mis en avant.

D’une part, les Britanniques ont franchi leur Rubicon. Ils ont posé publiquement le problème du JSF en des termes politiques fondamentaux, et sous forme d’un ultimatum, rien de moins. (Drayson a pris date. Il a précisé que l’accord américain doit être obtenu le 6 décembre au plus tard pour que les britanniques restent dans le JSF.) Certes, les Anglais savent nager mais c’est le Rubicon, et sur l’autre rive se trouvent les Américains. C’est une situation sans précédent depuis qu’existent les special relationships. Situation intéressante.

Quelle chance ont les Britanniques d’obtenir gain de cause? Objectivement, on doit observer qu’ils se trouvent devant la pire situation possible : impossible de distinguer l’adversaire. Ils sont devant une sorte de méduse géante dont chaque tentacule proclame : “ce n’est pas moi qui bloque, c’est l’autre”, tout cela dans une atmosphère cotonneuse et gélatineuse, où les encouragements ne manquent pas, pas plus que les chausse trappes et les faux semblants. Non seulement la partie est loin d’être gagnée mais elle est largement compromise.

En Post Scriptum, cette dernière précision, type cerise amère sur le gâteau : du côté des coopérants non-US du JSF, qui parlaient également hier au Sénat, c’est du chacun pour soi. Sur la question du moteur, personne n’a levé le petit doigt pour aider les Britanniques, avec la palme pour la position berlusconesque des Italiens : « Australian military officials testified Tuesday that they supported a second engine so long as it did not raise the cost or lower the capabilities of the aircraft. Italian Lt. Gen. Giuseppe Bernardis, who heads procurement for Italy's armament programs, told the hearing, “This should be a U.S. decision only, and Italy will adhere to it.” »