Loi martiale et “American Gorbatchev”

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Considérons la situation politique générale des USA, autant celle du pouvoir et de sa paralysie, celle de l'affrontement politique, celle de l’économie et de la dette, celle du chômage réel (autour de 20% et non pas entre 9% et 10%). Considérons également les perspectives qui sont de plus en plus celles d’une nouvelle grave récession, ou Great Recession.02, que l’économiste désormais fameux Nouriel Roubini, l’homme qui avait annoncé l’effondrement de 2008, annonce comme étant en réalité la Great Depression.02. (Sur Aljazeera.com, le 18 août 2011, sous le titre sympathique de «Is capitalism doomed?» : «The recent [US] credit rating downgrade and Eurozone debt crises are slowly showing signs of The Great Depression 2.0…») Considérons tout cela et faisons alors figurer trois articles/déclarations très récentes.

• Le premier est un article de E.J. Dionne, chroniqueur libéral (progressiste) modéré, publiant à la fois dans la presse-Système (Washington Post), et sur des sites alternatifs ou “dissidents”, comme Truthdig.com, d’où est extrait l’article qu’on cite ici. Dionne est un partisan inconditionnel d’Obama, jusqu’ici très prudent et très mesuré dans ses appréciations, jusqu’ici tenant que la politique d’Obama, malgré toutes les critiques progressistes, étaient à la fois réaliste et efficace… Le voilà qui, soudain, publie un article beaucoup plus dramatique (le 21 août 2011, sur Truthdig.com) : « How Obama Can Save His Presidency». La première phrase nous rappelle, avec l’image, le ton, etc., ce que nous nommions in illo tempore, l’option “American Gorgatchev” : «President Obama has only one option as he ponders a world economy teetering on the edge: He needs to go big, go long and go global.»

Suivent diverses propositions économiques et financières radicales par rapport au climat-Système actuel et au blocage du pouvoir. Dionne recommande notamment un interventionnisme massif de la puissance publique, quitte à augmenter notablement la dette, et diverses mesures radicales dans ce sens. Il fait certaines remarques qui peuvent paraître prudentes, mais qui tendent en fait à élargir sa position radicale vers d’autres forces que celles qu’il représente, pour donner à ses recommandations une plus grande légitimité. («Note well: It’s not only liberals in the United States and social democrats in Europe who are pushing to stimulate the economy. Calls to do so are also coming from the heart of the capitalist system.») Il recommande enfin que BHO passe au niveau mondial en mobilisant les autres chefs d’Etat et de gouvernement pour cette contre-offensive massive qui, paradoxalement, affronte aussi bien le Système (le capitalisme pur et dur) que certains systèmes antiSystème involontaires, par le biais de leur opposition au centre washingtonien (Tea Party, qui joue un rôle central dans le blocage du pouvoir).

Peu ou prou, par rapport à l’esprit dominant et les conditions politiques à Washington, il s’agit bien d’une tentative qui va vers l’idée d’“American Gorgatchev”, en s’appuyant sur le concept d’un New Deal au ton très rooseveltien et avec un volet mondial. Bien qu’il ne s’agisse en rien et en aucune façon d’un appel à l’insurrection d’un côté, ou d’un autre côté d'un appel à la loi martiale, ce peut être ceci ou/et cela si l’on considère les formidables situations de blocage à Washington. D’où cette exhortation de Dionne, pour conclure, qui recommande à BHO de ne pas s'occuper de l’opposition du Congrès, – en principe certaine, – de lancer son plan en tentant de l’imposer, en mobilisant autour de lui le plus possible de dirigeants de tous les domaines, sans passer par les voies classiques du Système. Ce n’est pas un appel à la révolte du président mais, si l’on adopte un certain point de vue en tenant compte de toutes les caractéristiques de la situation, on n’en plus vraiment très loin.

«Ah, but won’t congressional Republicans block as much of this program as they can? That’s the wrong question. The point is to insist on a rational plan and to challenge the political system to act rationally. Most economists and business people not blinded by ideology believe we need short-term stimulus and long-term fiscal balance. Obama should explain what needs to be done and then fight for it. It’s the only way it will have any chance of happening.»

• La seconde vient de Ron Paul, dans une interview à l’emporte-pièce de Infowars.com, figurant également sur DVD, le 21 août 2011. (L’information a été communiquée par un lecteur [voir Pour information, Mr. Justin Grégoire Dubois], sur le Forum à la date du 22 août 2011. Nous l’en remercions.) Ron Paul fait allusion, dans sa réponse à une question sur la possibilité de l’imposition de la loi martiale, à une législation spécifique. Il s’agit de la loi dite The National Emergency Centers Act (HR 645), activée en janvier 2009. (Selon la même nouvelle : «In December 2008, the Washington Post reported on plans to station 20,000 more U.S. troops inside America for purposes of “domestic security” from September 2011 onwards, an expansion of the militarization of the country in preparation for potential civil unrest following a total economic collapse or a mass terror attack.») L’interview de Ron Paul, en réalité très rapide et nullement formelle, donnant l’impression d’une déclaration qui serait plutôt une confidence rapidement dite… Mais laquelle confidence n'est pas dite pour la première fois, et cette fois répétée avec beaucoup plus de conviction.

«Ron Paul has recently said that H.R. 645 (The National Emergency Centers Establishment Act) could lead to Americans being incarcerated in detention camps during a time of martial law, Infowars reported on August 20. “Yeah, that's their goal, they're setting up the stage for violence in this country, no doubt about it,” responded Paul. […] Congressman Paul has warned about preparations for martial law before, telling the Alex Jones Show, “They're putting their back up against the wall and saying, if need be we're going to have martial law”.»

(HR 645 donne des pouvoirs extraordinaires au Homeland Security Department, notamment celui d’arrêter arbitrairement qui il juge nécessaire de le faire, d’interner cette ou ces personne(s) pour un temps illimité, sans inculpation ni condamnation, d'organiser des camps d'internement spéciaux, etc.)

• Un troisième article paraît justement (?) aujourd’hui, ce 22 août 2011. C’est la chronique d’Antiwar.com de Justin Raimondo, et c’est intitulé «The FBI vs. Antiwar.com.» Raimondo rapporte l’existence et la communication d’un document détaillant l’action de renseignement et de surveillance du FBI contre le site Antiwar.com, contre lui-même, Justin Raimondo, et contre le Webmaster du site, Eric Garris. Il s’agit de documents obtenus grâce au Freedom Information Act, dont la genèse remonte au moins à 2004… Peu importent d’ailleurs cette genèse et la date exacte, qui pourrait être samedi dernier (20 août), où Raimondo fut avisé de la chose. Il importe que l’article soit publiée aujourd’hui, qu’il fasse état d’informations officielles, que l’action du FBI concerne Antiwar.com, qui est certainement l’un des plus puissants et des plus fameux sites alternatifs engagés dans la lutte contre le War Party, le gouvernement, l’establishment washingtonien, – en un mot, contre le Système. Voici le début de l’article de Raimondo.

«It was a beautiful Saturday afternoon and it was my day off. Sitting in my rather neglected garden, as the late afternoon light sparkled golden on the tops of the plum trees, I put down my book – the 1995 edition of The Year’s Best Science Fiction, edited by Gardner Dozois – with more than a little annoyance. I was smack dab in the middle of a short story, “Asylum,” by Katharine Kerr, a tale about a future military coup in the US, written from the point of view of a particularly earnest liberal with faintly radical leanings. The main character is a woman writer who is abroad when the generals take over, and is marked as an enemy of the state on account of her book, Christian Fascism: Its Roots and Rise. Her San Francisco office is raided and her files carted away. She gets a call from a friend before the coup plotters cut off all communications with the outside world: “It’s seven days in May – stay where you are!” She stays, but is tortured by the prospect of her daughter being in harm’s way: when communications with America are finally restored, she wrestles with the question of whether to pick up the phone and make a call that might endanger her daughter. After all, what if the Christian Fascists are listening?

»The phone kept ringing. I picked it up with annoyance: it was our webmaster, Eric Garris, telling me about this – FBI documents recovered through the Freedom of Information Act that detail surveillance of Antiwar.com, the staff, and specifically yours truly.

»A word about the authenticity of the documents and their provenance: they were posted on a public website, Scribd.com: their form, including the extensive redactions, the acronymic bureaucratese, and the lunk-headed cluelessness which dominates the FBI’s corporate culture, so to speak, combine to verify their authenticity.

»As to the content of these documents, one word describes them: bizarre…»

Il est important d’observer que les sources citées ici, ou les documents signalés, représentent un apport intégralement crédible, tant par les personnalités que par la forme des documents. Le climat qui ressort de toutes ces informations, rassemblées et interprétées sans les solliciter aucunement pour faire apparaître leur convergence, est d’autre part amplement justifié par la situation sans précédent de la crise politique US. En un sens, on peut autant comprendre les accusations de ceux qui dénonceraient un “coup de force institutionnel” (la loi martiale) que ceux qui prépareraient une telle mesure, éventuellement pour lancer un programme comme celui que recommande Dionne ; pour les premiers, c’est l’évidence, nous dirions, constitutionnelle ; pour les autres, la paralysie catastrophique du pouvoir représente un argument objectivement acceptable pour justifier leur action. Cela signifie que nous ne sommes pas placés dans une situation manichéenne d’un coup de force, ou d’un complot, avec les oppositions justifiées et disposant du droit seulement de leur côté ; il s'agit plutôt, selon l'hypothèse implicitement signalée dans ces diverses considérations, d'une situation de blocage d’une telle tension que les positions des uns et des autres sont défendables à ciel ouvert, même si certaines modalités peuvent s’apparenter à une procédure de complot.

C’est bien là l’originalité de la situation. Si l’on comprend bien ce que nous disent ces diverses informations, on peut imaginer l’hypothèse du pouvoir exécutif (Obama) proclamant une loi martiale, ou suscitant une situation pouvant s’apparenter à une justification de la loi martiale (Dionne), à cause de la situation du pays et de la situation du pouvoir ; et l’argument est utilisable en sa faveur par ou l’autre parti. Il est vrai qu’un blocage du pouvoir, dans une situation économique et financière catastrophique, peut justifier du point de vue du pouvoir exécutif une procédure d’exception ; que les opposants à cette procédure peuvent, tout aussi justement, la dénoncer avec force comme un “coup de force institutionnel” qui pulvérise l’esprit de la loi de la Grande République, jusqu'à envisager de s'y opposer par tous les moyens. Bien entendu, “the devil is in the détails”, c’est-à-dire dans la façon dont serait effectuée une telle mesure d’exception et de sauvegarde, avec les aspects policiers, voire militaires, ce qui peut évidemment très, très rapidement se transformer en un incontestable coup de force mettant en péril la démocratie américaniste.

Cette ambiguïté dans l’hypothèse générale est, selon nous, non seulement une indication de l’existence d’une telle situation potentielle, mais, plus encore, une indication des effets potentiels d’une telle situation potentielle. Bien plus que l’évolution classique, qu’espéreraient les inspirateurs de mesures contraignantes pour permettre l’application d’un programme économique radical, y compris au risque d’établir un régime proche de l’autoritarisme, la conséquence pourrait être plutôt d’exacerber les tensions actuelles bien au-delà des cadres légaux et constitutionnels, notamment dans un mouvement centrifuger où les forces en présence se regrouperaient dans des entités plus sûres, comme sont les États de l’Union pour ceux qui y disposent d’une importante mobilisation activiste en leur faveur de la population. Nous restons plus que jamais persuadés que les USA ne peuvent pas être contrôlés arbitrairement comme une nation de type régalien classique, avec un centre autoritaire et fort, mais qu’une tentative de contrôle autoritaire accentuerait les tendances déstructurantes et dissolvantes (centrifuges).

Il reste, d’une façon générale, que l’idée centrale, que nous avons souvent évoquée, d’un “American Gorgatchev”, que Dionne évoque in fine, nous apparaît irrémédiablement dépassée, trop tardive, devenue aujourd’hui plus explosive que mobilisatrice, et donc susceptible de provoquer des résultats contraires à ceux qu’on pouvait espérer. L’option “American Gorgatchev”, pour Obama, c’était janvier-février 2009, et à cette époque l’appel à la mobilisation aurait certainement eu beaucoup d’écho, avec un risque d’explosion extrêmement réduit.

Quoi qu’il en soit de ces supputations, il reste que de telles déclarations (d’un Ron Paul), de tels articles (d’un E.J. Dionne), mesurent l’extrême tension souterraine qui sous-tend aujourd’hui la situation politique aux USA. On en tirera les conclusions qu’on veut, ou qu’on peut, mais aucune ne suggère une saison électorale as usual d’ici novembre 2012.


Mis en ligne le 22 août 2011 à 18H28

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