Leur guerre sans fin, signe de leur pathologie incurable

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Leur guerre sans fin, signe de leur pathologie incurable

Il a été porté à notre attention un texte déjà ancien du 28 août 2013, de Brandon O’Neill, sur son site Skiped (O’Neill collabore aussi au Daily Telegraph). Bien que datant (à cause de la rapidité des choses) par rapport aux événements de la phase paroxystique actuelle de la crise syrienne, le texte garde tout son intérêt parce qu’il aborde un sujet qui ne dépend pas de l’actualité pressante de l’heure en cours mais plutôt de la tendance du bloc BAO à ces guerres d’agression présentant comme principal argument la nécessité de défendre la vertu morale de ceux qui attaquent ; et qu’il aborde le sujet de la Syrie, bien entendu, comme exemple archétypique, car plus l’on avance dans cette sorte d’activité guerrière plus le modèle se raffine dans toute son absurdité et tout son nihilisme, et donc chaque nouveau cas crée en quelque sorte un nouveau modèle archétypique. O’Neill présente cette sorte de guerre comme “une thérapie” («Bombing Syria: war as therapy») : la guerre comme “poursuite de la thérapie par d’autres moyens” au lieu de comme “poursuite de la politique par d’autres moyens”.

Cette thérapie est nécessairement singulière. Il s’agit non pas de traiter ceux qu’on agresse mais bien soi-même en pratiquant ces agressions. Ceux qu’on attaque, ceux qui sont en-dessous (les agressions sont le plus souvent aériennes), sont finalement et objectivement des victimes, pour que les agresseurs puissent voir leur valeur morale rehaussées parce qu’ils ont porté secours aux victimes qu’ils ont bombardées. Il s’agit de “porter secours” à une catégorie d’être humains en les bombardant pour pouvoir mieux se soigner soi-même ; c’est la fameuse formule appliquée au Vietnam où l’on détruisait des villages pour “mieux les protéger”, mais élargie et explicitée décisivement dans sa réelle nature par la pathologie qui doit être traitée de celui qui “détruit pour protéger” ; de “détruire pour protéger celui qu’on tue” à “détruire pour soigner celui qui tue”.

Ci-dessous, quelques extraits du texte de Brandon O’Neill (le souligné en gras est de l’auteur lui-même).

«War used to be the pursuit of politics by other means. Today, if the statements made by the Western politicos and observers who want to bomb Syria are anything to go by, it’s the pursuit of therapy by other means. The most startling and unsettling thing about the clamour among some Westerners for a quick, violent punishment of the Assad regime is its nakedly narcissistic nature. Gone is realpolitik and geostrategy, gone is the PC gloss that was smeared over other recent disastrous Western interventions to make them seem substantial, from claims about spreading human rights to declarations about facing down terrorism, and all we’re left with is the essence of modern-day Western interventionism: a desire to offset moral disarray at home by staging a fleeting, bombastic moral showdown with ‘evil’ in a far-off field.

»Easily the most notable thing in the debate about bombing Syria in response to Assad’s alleged use of chemical weapons against civilians is the absence of geopolitical considerations, or of any semi-serious thought about what the regional or international consequences of dropping bombs into an already hellish warzone might be. Instead, all the talk is of making a quick moral gesture about ourselves by firing a few missiles at wickedness. In the words of a Democratic member of the US Foreign Affairs Committee, there might be ‘very complex issues’ in Syria, but ‘we, as Americans, have a moral obligation to step in without delay’. Who cares about complexity when there’s an opportunity to show off our own moral decency?

»All the discussion so far has focused, not on the potential moral consequences of bombing Syria, but on the moral needs of those who would do the bombing. US secretary of state John Kerry says failing to take action on Syria would call into question the West’s ‘own moral compass’. Others talk about Syria as a ‘test for Europe’, as if this rubble-strewn country is little more than a stage for the working-out of our values. [...] One pro-bombing commentator says the situation in Syria ‘holds a mirror up to Britain’, asking ‘what sort of country are we?’. Like Narcissus, the beaters of the drum for war on Assad are concerned only with their own image, their own reflection, and the question of whether they’ll be able to look at themselves in the mirror if they fail to Do Something. [...]

»... All that matters is that we in the West add physical weight – in the shape of bombs – to our ‘moral impulse’. Such blasé barbarism was taken to its logical conclusion by Norman Geras, co-author of the pro-war Euston Manifesto, when he wrote: ‘Since it is urgent that we respond somehow, out of solidarity, of our “common human heritage” with the victims, action must be taken even if it means meeting chaos with chaos and (by implication) that the chaos we cause turns out to be worse than the chaos we’re trying to bring to an end.’

»This is extraordinary stuff. It exposes what lies at the heart of modern Western interventionism – a desire to make a massive, fiery display of our own ‘moral impulse’, of the West’s flagging sense of ‘common human heritage’, regardless of the consequences on the ground or around the world. In our era, Western intervention is increasingly demanded and pursued, not as a specific, targeted thing that might change the shape of a conflict or further the geopolitical interests of Western nations, but as a kind of bloody amplifier of the presumed probity of the Western political class. At a time when both politics and morality at home are in a profound state of disarray, when there’s little of substance that can unite Western elites or populations, we’re seeing a desperate turn to foreign fields in search of the sort of black-and-white clarity and sense of mission that eludes our rulers domestically... [...]

»What we have today is a form of purely moralistic warfare, self-consciously detached from anything so tangible as geopolitics, national interests or regional stability. Such showboating interventionism is more lethally unpredictable than anything which existed in earlier imperialistic or colonial eras. At least those old warmongers tended to be guided by clear political or territorial ambitions, meaning their interventions had some logic, and potentially some endpoint. Today, when war is fuelled by narcissism rather than politics, and the aim is emotional fulfilment rather than territorial gain, there are no natural limits or rules to the warmongers’ behaviour.»

O’Neill cite à la fin de son texte l’auteur et essayiste devenu politicien, le Canadien Michael Ignatieff, exposant effectivement, dans les années 1990, cette idée du “narcissisme” à propos du courant en Occident en faveur du bombardement des Serbes bosniaques, et des attaques effectivement effectuées (l’originalité du propos étant qu’Ignatieff lui-même était partisan de ces attaques, donc partie prenante de ce “narcissisme” qu’il identifiait) : «We intervened not to save others, but to save ourselves, or rather an image of ourselves as defenders of universal decencies...» Ignatieff était un précurseur car, depuis, comme l’on sait, la formule s’est généralisée. Selon les critères avancés, on peut faire entrer les guerres d’Irak et d’Afghanistan dans ces catégories “humanitaires-narcissiques” puisque le but affiché est également l’apport de nos ”valeurs” à ces populations, selon la thèse du narcissisme développée par O’Neill.

Cela n’écarte pas d’autres buts greffés sur ce motif fondamental, concernant les intérêts, les montages hégémoniques, etc., mais dans l’esprit de la démonstration ces buts sont accessoires et secondaires, ou bien de simple opportunité (puisque l’intervention humanitaire a lieu, adjoignons-lui des buts lucratifs et autres du même genre). L’ensemble de cette campagne depuis les années 1990, qui montre une certaine incohérence dans les axes pseudo-stratégiques considérés, dans la façon dont les interventions ont lieu, dans la faiblesse sinon la contre-productivité des résultats obtenus (le bloc BAO est infiniment plus faible dans sa position relative aujourd’hui qu’il ne l’était au début des années 1990), substantive largement l’explication de O’Neill. La durée (pas loin de vingt ans) permet effectivement de tirer des conclusions concernant une tendance générale et systématique, et l’explication du “narcissisme” est tout à fait acceptable.

... Elle est même impérative pour nous, puisqu’elle rejoint évidemment, sous un autre nom, une appréciation constante de notre part depuis des années de l’activisme du bloc BAO. (Nous n’employons pas le terme “narcissisme ” que nous trouvons trop restrictif et privé de certaines dimensions essentielles, mais privilégions le champ général de la psychologie et sa pathologie.) L’explication du “narcissisme” rejoint notre explication générale fondamentale selon laquelle c’est la psychologie qui est en jeu, cela étant favorisé par l’écrasante puissance du système de la communication dans la détermination des projets pseudo-“politiques“ et de leur opérationnalisation. Les explications d’intérêts, de plan géopolitique, offertes d’une façon parcellaire et souvent contradictoire sur le long terme (la conquête de l’Irak pour en faire un État-satellite occidentalisé, devenu un allié de l’Iran, très proche d’Assad, etc., est un exemple), ne jouent qu’un rôle de rationalisation au coup par coup. Malgré l’apparence, elles participent au “comment?” de ces guerres (“comment a-t-on pu lancer cette guerre?” dans le sens de “comment a-t-on pu avoir l’inconscience, l’irresponsabilité, etc...”, en répondant “en lui adjoignant des explications-alibis de type rationnel et géostratégiques”) ; elles ne répondent nullement au “pourquoi ?” fondamental  : “pourquoi toute cette campagne chaotique, contre-productive, épuisante et affaiblissante, exaspérante finalement pour les populations du bloc BAO et même de plus en plus pour une partie de ses directions (Congrès aux USA), depuis la fin de la Guerre froide?”. L’explication psychologique, et dans le sens d’une pathologie collective dont les signes sont évidents jusqu’à l’obscénité psychiatrique chez un Fabius, un Kerry, etc., avec la cohérence de la durée qui rend impérative la logique psychiatrique, explique d’une façon très satisfaisante sinon impérative l’aspect erratique, chaotique de ces campagnes spécifiques, et de l’ensemble en général. Il suffit d’ouvrir sa raison à d’autres références que les références classiques, du type géopolitique, fortement contrôlés tout au long du XXème siècle, pour s’en convaincre ; l’ouverture de la raison à la recherche de la vérité d’une situation du monde qui pulvérise tous les standards en vigueur jusqu’ici ne doit pas être considérée comme une erreur, une naïveté ou une extravagance effrayante, sinon à participer complètement de la logique psychiatrique en cours .... Encore une fois, depuis qu’il s’est affirmé hégémonique et complètement conquérant (selon l’interprétation classique, géostratégique), le bloc BAO n’a fait que s’affaiblir, reculer partout, remporter des victoires tactiques poussives et coûteuses aboutissant à des désastres stratégiques selon la fameuse “formule de la Marne”. Cela demande une explication hors des références-Système, alors qu’on couvre cet ensemble de tous les attributs de la puissance conquérante.

Pour nous, l’interprétation d’O’Neill est une manière de nous confirmer dans le sens de notre analyse psychologique du phénomène (tout comme, bien entendu, l’“incompréhension” des Russes du comportement du bloc BAO [voir le dernier constat en date de la chose, le 7 septembre 2013]). Bien entendu, ce que ne fait pas O’Neill, c’est d’explorer la cause de ce qu’il nomme “narcissisme”, cause allant bien au-delà de la période de ces “guerres narcissique”. (Sans aller plus avant dans une tentative d’explication, O’Neill implique cela lorsqu’il écrit : «War used to be the pursuit of politics by other means. Today, if the statements made by the Western politicos and observers who want to bomb Syria are anything to go by, it’s the pursuit of therapy by other means.» Cela signifie que la thérapie était en cours avant la guerre, – sans succès comme on le comprend, – donc que la pathologie existait déjà. C’est cela qui est essentiel.)

C’est un point que nous explorons constamment, et que nous situons dans la logique écrasante du malaise aigu d’une “contre-civilisation” (bloc BAO) dépendante d’un Système qui est né du “déchaînement de la Matière“ et qui est en cours d'effondrement. Cette prépondérance absolue de forces supérieures, à tendance autodestructrice à partir de leur dynamique de surpuissance, explique largement, et peut-être exclusivement à notre sens, ce comportement “narcissique” ou autre. La pathologie collective infestant la psychologie ne peut être laissée à une seule analogie médicale qui se contente de décrire le “comment?” sans s’intéresser vraiment au “pourquoi?”, par impuissance d’ailleurs, comme dans le cas des sciences modernes qui en restent toujours, à leur terme de l’analyse, aux causes opérationnelles (un faux-“pourquoi?”, en réalité partie ultime du “comment?”). Dans tous les cas, cette approche, qui est complètement la nôtre, ne laisse aucun espoir que le bloc BAO puisse changer son orientation chaotique, et affirme comme un destin inéluctable la chute du bloc BAO suivant, ou accompagnant celle du Système. Leur “guerre sans fin” a une fin, et c'est leur chute. Seules les modalités de cette chute, sa chronologie, sa “méthodologie” restent inconnues. Quant à la situation lorsque cette chute sera accomplie, c’est l’inconnue centrale et totale, avec une seule assurance : aucun précédent historique de notre histoire, des plus contrôlés aux plus catastrophiques, ne peut figurer comme référence. Il s’agit d’une terra incognita.


Mis en ligne le 11 septembre 2013 à 09H23

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