Les quatre vérités de Barak

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Le ministre israélien de la défense Ehud Barak a eu quelques remarques intéressantes lors d’une interview, lors du Charlie Rose show de la station US de télévision PBS le 17 novembre, aux USA. Ces remarques ont amené des réactions plutôt courroucées dans les relais des milieux gouvernementaux israéliens, pour leur “candeur”, pour leur réalisme, pour la façon dont elles interfèrent gravement sur la narrative selon laquelle l’Iran poursuit une quête irrationnelle et monstrueuse de développer l’arme nucléaire pour détruire Israël (“rayer Israël de la carte”, selon une traduction faussaire d’un discours du président iranien de 2007), renouvelant ainsi, toujours selon la narrative, le cauchemar de l’Holocauste.

Le 18 novembre 2011, Antiwar.com rapportait la “gaffe” de Barak (lire : la déclaration pleine de franchise) et la façon dont il a été obligé précipitamment de “rétropédaler”.

«Israeli Defense Minister Ehud Barak has had to back down from statements he made on U.S. television on Tuesday that made him seem to empathize with Iran’s alleged quest for nuclear weapons.

»On PBS’s Charlie Rose show, when asked if he would “want a nuclear weapon” were he a member of Iran’s government, Barak said ”Probably, probably. I don’t delude myself that they are doing it just because of Israel. They look around, they see the Indians are nuclear, the Chinese are nuclear, Pakistan is nuclear … not to mention the Russians.” When asked by Charlie Rose whether Israel’s possession of nuclear weapons also might compel Iran towards seeking nuclear weapons capability, Barak said “Yeah. Israel…Allegedly.”

»Barak has caught flak in Israel for assigning a rationale to Iran’s as yet unproven weapons program. It seemed an accidental slip from typical U.S.-Israeli propaganda, that the Iranian government wants a nuclear weapon because they are irrational religious fanatics who want to destroy Israel and everyone living in it.»

Parallèlement, DEBKAFiles donnait, le 17 novembre 2011 des précisions plus substantielles sur l’interview, qui éclairaient largement le propos de Barak, sans référence à cette notion de “gaffe”. Au contraire, les déclarations étaient considérées fort sérieusement et, d’une certaines façon, acceptées comme justifiées dans leur logique.

«Barak offered the opinion that if the late Libyan leader Muammar Qaddafi had not relinquished his nuclear program in 2003 but attained a nuclear bomb instead, the March 2011 NATO operation against him would not have been ordered either by French President Nicolas Sarkozy, former Italian Prime Minister Silvio Berlusconi or British Prime Minister David Cameron.

»As to Iraq's Saddam Hussain: Had he possessed “a few crude nuclear devices when he invaded Kuwait in 1990,” said Barak, the US-led coalition could not have pushed him out of the emirate in the first Gulf War.

»In the interview, Barak warned that a nuclear-armed Iran would touch off a Middle East nuclear arms race drawing in Egypt and less responsible regimes headed by the Muslim Brotherhood. “You could wake up one morning,” he said, “to find Iran had occupied Bahrain or Qatar. Who then would come and liberate them?”»

Malgré le “rétropédalage” de Barak, ses déclarations restent du plus grand intérêt, notamment par leur netteté. L’argument général qu’il donne est sans surprise et manque, lui, d’un complet intérêt parce qu’il est marqué par l’aspect obsessionnel de la direction de sécurité nationale d’Israël concernant les intentions expansionnistes de l’Iran. («You could wake up one morning to find Iran had occupied Bahrain or Qatar. Who then would come and liberate them?», interroge Barack. Il pourrait poser la même question, en un peu plus nuancée, sans besoin du nucléaire, à propos de l’Arabie qui a occupé Bahrain avec ses forces, cette fois avec le consentement d’une direction du Bahrain dont l’illégitimité est notoire. Il pourrait poser la même question à propos de Gaza, qu’Israël envahit régulièrement, avec la douceur qu’on sait, et ainsi de suite…)

Barak accrédite complètement la thèse en faveur de la prolifération des armes nucléaires, notamment en ce qui concerne l’Iran et en général comme tous les pays susceptibles d’être menacés d’agression du bloc BAO, mais plus précisément avec le cas récent de la Libye dont il parle explicitement. (Les Israéliens savent quelque chose de cette thèse, eux qui ont fait leur propre arsenal nucléaire de près de 300 bombes, dont on ne parle que si rarement, dans le même but de dissuasion.) Personne n’aurait envahi la Libye si Kadhafi avait disposé de quelque chose approchant une arme nucléaire, dont il avait abandonné la fabrication à la suite de son rapprochement avec l’Ouest, – ce qui permet d'apprécier une fois de plus, pure routine du constat, l’ironie sinistre et la valeur “morale” des politiques du bloc BAO. Par contre, bien entendu, qui songe à envahir la Corée du Nord, dont on sait les innombrables vices selon les jugements humanistes, et qui possède l’une et l’autre armes nucléaires bricolées, et qui reste ainsi intouchable ? Première chose incontestablement et quasi officiellement authentifiée par le ministre israélien : pour éviter les spasmes pseudo néocolonialistes du Système en phase d’effondrement, bricolez quelque chose qui ressemble à du nucléaire… On peut même dire que ces considérations renforcent magistralement d’éventuelles intentions iraniennes de produire du nucléaire, et la même chose, sans aucun doute, pour l’Egypte où cette idée ne cesse de se renforcer en marge des troubles que connaît ce pays, et peut-être, même, à cause de ces troubles.

Mais plus encore, bien plus encore… En admettant que les dirigeants iraniens peuvent avoir de ces considérations rationnelles (faire du nucléaire pour éviter une invasion ou une attaque unilatérale du bloc BAO, attaque évoquée tous les trois jours), Barak admet que ces dirigeants ont un comportement rationnel, qui est basé sur des calculs de rapports de puissance et sur une analyse raisonnable de la situation stratégique et de la politique du bloc BAO. Dans ce cas, que devient l’argument principal, complètement fantasmagorique et basé sur l’irrationalité hystérique des dirigeants iraniens dont l’obsession est un second Holocauste avec une attaque nucléaire d’Israël ? L’on comprend que beaucoup en Israël soient mécontents de ces déclarations car Barak s’est dangereusement découvert, et a découvert l’aspect mensonger de la polititique-narrative officielle d’Israël, et surtout son aspect pathologique et obsessionnel. Le même Barak, qui fait cette analyse pondérée des attitudes des dirigeants iraniens, est celui qui dénonce l’hystérie anti-israélienne et antisémite de ces mêmes dirigeants. Le plus remarquable, selon notre conviction, est que ces deux aspects cohabitent dans la même conviction (la leur) chez cette sorte de dirigeants israéliens. L’hystérie et l’obsession, dans cette partie, sont absolument du côté israélien, et c’est bien pourquoi l’accusation de ces mêmes tares chez les Iraniens leur vient si naturellement à l’esprit, – sauf, dans ce cas, au détour d’une interview mal contrôlée.


Mis en ligne le 21 novembre 2011 à 06H38