Le TPP face au Congrès (et à la Chine)

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Le TPP face au Congrès (et à la Chine)

Obama, bien dans la tradition des présidents démocrates qui trahissent régulièrement leurs mandats en sacrifiant le social à la libéralisation commerciale favorisant le corporate power, a fait des mégas-traités de libre-échange TPP (Trans-Pacifique/Asie) et TTIP (transatlantique/Europe) un de ses objectifs ultimes pour tenter de sauver sa présidence d’une déroute totale devant l’histoire. Bien que les oppositions aux traités des autres parties concernées (l’Asie et surtout l’Europe) y voient autant de menace d’investissement et d’hégémonie de l’américanisme, la vérité de situation montre que ces traités sont vus également comme une menace par des parties non négligeables des pouvoirs aux USA.

... Ainsi en est-il du TPP qui passe un premier test devant le Congrès demain. Il y aura un vote sur la Fast-Track Authority (FTA), qui est cette disposition donnant tous les pouvoirs au président de négocier le traité en engageant le Congrès à ne voter que par “oui” ou “non” lorsque le traité lui sera présenté pour la ratification. (L’absence de FTA implique que le Congrès pourrait imposer autant d’amendements qu’il veut au texte du traité avant de le voter, jusqu’à le dénaturer complètement. Nombre des partenaires des USA pour le TPP refusent de poursuivre les négociations si cette FTA n’est pas votée, estimant que l’action du Congrès dénaturerait effectivement le texte original, à l’avantage des USA.) L’atmosphère est extrêmement tendue, comme le signale Sputnik.News, ce 11 mai 2015, avec des adversaires au TPP qui se révèlent aussi bien chez les démocrates (c’était annoncé) que chez les républicains (c’était beaucoup moins prévu) :

«President Barak Obama is pushing hard to get lawmakers to support a bill that would allow him to finalize a monumental trade accord with 11 countries spanning the Pacific Rim. The president's lobbying efforts have included giving legislatures free rides on Air Force One and pledging political support in exchange for backing the bill. He’s even been pitching points of the bill at individual meetings in the West Wing, and he’s publically attacked opponents of the bill in his own party.

»The bill, which is scheduled for a vote on Tuesday, would grant the president Trade Promotion Authority or “fast track.” If Congress gives Obama this power, lawmakers can vote up or down on a final trade agreement, but they lose the right to amend the deal or filibuster it. This bill adds another dimension: If legislatures think a final trade accord doesn’t meet their standards, Congress can vote to revoke the president’s authority, and then try to amend the deal.

»The Trans-Pacific Accord would reduce tariffs on many goods and services and affect about 40 percent of U.S. imports and exports. Obama has called it “the most progressive trade agreement in history.” But, not everyone is buying. Many opponents in the Democratic Party, who are aligned to labor unions against the bill, have vowed to oppose it. Obama is turning to Republicans for support, but some, whose collogues are aligned with the Tea Party are having trouble giving Obama the win...»

... Où l’on voit que le vote de demain, même s’il était favorable à la FTA, ne donnerait pas une véritable FTA, – manœuvre bien dans la manière du tacticien politique à courte vue qu’est Obama, cherchant à obtenir une apparence d’accord pour repousser dans le temps les inévitables difficultés. En effet, si l’on observe cette réserve (“Si les législateurs pensent que la version finale du traité ne correspond pas à leurs standards, le Congrès peut voter pour annuler le FTA et, alors, tenter d’amender le traité”), on comprend que la FTA en débat demain n’en est pas vraiment une et que, dans des circonstances données, si l’opposition-grognon persiste, voire augmente, – et pourquoi pas en période électorale ? – la situation déboucherait sur un blocage du traité par le Congrès et un affrontement majeur entre le Congrès et la présidence, avec en prime un affrontement majeur entre les USA et les amis asiatiques et du Pacifique cosignataires du TPP. Le premier effet serait d’accentuer les divisions internes aux USA, non plus entre démocrates et républicains, mais à l’intérieur des deux partis, entre démocrates “progressistes” et démocrates réalistes, entre républicains issus des tendances populistes et isolationnistes de type-Tea Party et républicains interventionnistes et globalistes. (Même la caste des 1% où règne le corporate power pour lequel les traités sont taillés sur mesure n’est pas unie sur le TPP, comme on l’a entendu le 9 mai 2015 au Freedom Summit de Greenville, en Caroline du Sud, avec les vociférations du milliardaire Donald Trump, qui envisage d’être candidat à la nomination républicaine pour les présidentielles [«Le nouvel accord commercial est un désastre ... On n’a pas dit un mot des manipulations monétaires, alors que c’est l’arme que ces pays utilisent contre nous ... Tant de nations n’ont aucun respect pour nous, nos dirigeants sont incompétents, ce sont des enfants»].)

Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin ... Là-dessus, surgit une autre interprétation du TPP. Elle vient de l’excellent Alastair Crooke, de Conflicts Forum, dans son dernier Weekly Comments du 8 mai 2015, à la lumière d’une importante étude qui vient d’être rendue publique du Council of Foreign Relations (CFR) datée de mars 2015 et préfacée par le président du CFR, Richard Haas. L’étude juge que le développement de la Chine est une menace contre l’hégémonie des USA, qui doit être bloquée à tout prix... Crooke examine la question des sanctions contre l’Iran à la lumière de l’aspect légal de ces sanctions, et des sanctions en général interprétées comme une politique hégémonique des USA. Le document du CFR est présenté au début du texte, pour conduire à l’analyse du régime des sanctions contre l’Iran, avant d’en revenir, en conclusion, à ce même document, et de conclure que, dans l’esprit du préfacier et président du CFR Richard Haas, le traité TPP revient, dans le chef des USA, à imposer un régime de sanctions contre la Chine...

«The Council on Foreign Relations (CFR) has just released a remarkably frank policy document which, given the Council’s links to what may be termed the American ‘deep state’, gives us a window into the thinking of a preeminent US constituency: that of Wall Street. It makes no bones about its aims, but rather it says it flatly: China must be defeated, since it threatens US global hegemony: “Since its founding, the United States has consistently pursued a grand strategy focused on acquiring and maintaining preeminent power over various rivals, first on the North American continent, then in the Western hemisphere, and finally globally.” It goes on to praise the George H.W. Bush administration for presciently contended that its ‘strategy must now refocus on precluding the emergence of any potential future global competitor’. “China’s sustained economic success over the past thirty-odd years has enabled it to aggregate formidable power, making it the nation most capable of dominating the Asian continent and thus undermining the traditional U.S. geopolitical objective of ensuring that this arena remains free of hegemonic control.” [It is clear that the authors here do not see ‘precluding the emergence of any potential competitor’, itself to amount to a demand for ‘hegemonic control’.] [...]

»... And this is where Richard Haass and the CFR enter the picture: Russia is already under US and EU sanctions (like Iran). And the CFR report extolls the TPP (Trans-Pacific Partnership) as an essential economic counter to China’s growing influence in Asia – i.e. the CFR argues the TPP as form of economic sanctions on China (China is excluded from the TPP)...»

On commence ainsi à mesure l’extraordinaire complexité des simples orientations extérieures impliquées par le traité TPP (comme pour le traité TTIP d’ailleurs), en plus des imbroglios bureaucratiques qu’on a déjà signalés (voir le 20 avril 2015). La monstruosité globalisante de ces entreprises visant à détruire d’un coup tous les principes de souveraineté et de légitimité du politique au profit du corporate power conduit à des affrontements internes, y compris aux USA comme nous ne cessons de la répéter. Quoique la chose soit partout affirmée, il ne s’agit pas d’une entreprise d’hégémonie mondiale (des USA), même si l’allure y est, même si cette hégémonie existe déjà et qu’elle est dans un état de déliquescence avancée, même si les principaux penseurs politiques ne cessent de surenchérir comme des robots sur cette imagerie de l’hégémonie qui est la représentation illustrative du pouvoir fascinatoire de l’hybris nourrissant l’idéal de puissance.

D’une façon plus concrète et selon un mode bureaucratique et mécanique désormais classique, il s’agit de la marche en avant de la machinerie du Système dont la meilleure définition rationnelle serait alors “impunité monopolistique du corporate power” (“impunité hégémonique” par conséquent, plutôt que la notion d’hégémonie trop marquée politiquement) ; cette marche en avant s’opérationnalisant par un nivellement général au niveau global, avec l’accouchement successifs de “monstres” qui s’auto-paralysent et se détruisent de l’intérieur, – qui ne verrait cette analogie évidente entre ce qu’est l’ensemble TPP/TTIP pour le commerce mondial, et le programme JSF pour l’aviation militaire considérée d’un point de vue global ? L’élément nouveau, la cerise sur le gâteau, est bien que l’exclusion du traité TPP de la Chine, d’abord perçue comme une mesure commerciale classique, devient, grâce au système de la communication qui porte des interprétations différentes venues de la communauté de sécurité nationale et de ses obsessions effectivement hégémoniques (Haas et le CFR), ce que nous en dit Alastair Crooke : une sorte de régime de sanctions (antichinoises) qui ne dit pas son nom mais qui se dissimule de moins en moins, et donc avec un passage probable au niveau géopolitique de l’affrontement, – puisqu’effectivement, aujourd’hui, la géopolitique, comme la guerre elle-même, dépend complètement du système de la communication et de la perception que ce système impose. On imagine les effets de cette perception-là de la situation lorsqu’elle sera réalisée, sur les relations de la Chine avec ses nouveaux amis (la Russie et le reste) et sur la dynamique objectivement antiSystème (quelle que soit la position des uns et des autres dans le Système) qui en résultera d’une façon naturelle et logique.

Quel sera, à notre sens, le résultat global, et même le résultat globalisé de tout cela ? Bien plus que la mise en place d’un système global au profit du corporate power, nous pencherions pour une formule du type “du désordre, encore du désordre, toujours du désordre”, avec aggravation des situations d’affrontement internes et dramatisation des évolutions extérieures, avec la formidable puissance du système de la communication pour participer à l’extension de ces contradictions, de ses mésententes, de ces hostilités par la perception qu’il véhicule... L’ensemble TPP/TTIP n’est pas tant un pas de plus de l’expansion surpuissante du Système qu’un pas de plus vers la production de son autodestruction par cette expansion surpuissante.


Mis en ligne le 11 mai 2015 à 17H35

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