Le Texas contre l’ONU, – non, contre l’OSCE…

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Le Texas contre l’ONU, – non, contre l’OSCE…

Il y a une polémique en développement autour du Texas, des élections présidentielles US (celles qui auront lieu au Texas également, puisque le Texas y consent), de l’OSCE, accessoirement de l’ONU quand le gouverneur du Texas Perry se trompe de cible, et des Russes qui proposent à l’UE d’interdire le territoire européen aux législateurs du Texas refusant les observateurs internationaux. Cette affaire à la fois grotesque, surréaliste et archétypique, représente également une plongée dans une planète éloignée d’un nombre respectable d’années-lumière de la nôtre, – cette planète étant les USA, et singulièrement le Texas qui se situe également aux USA.

Les Russes, qui ont été l’objet de diverses pressions, attaques de communication, diffamations et insultes lors de l’élection présidentielle du début mars, de ratent pas l’occasion d’observer le comportement des USA, face au processus démocratique et aux vérifications internationales qui accompagnent ce processus. Ils ne ratent pas cette occasion d’en faire le procès, même s’ils ont peu d’espoir d’obtenir quelque écho que ce soit de la part de la partie européenne du bloc BAO.

• Le site CourtHouseNews.com rendait compte, le 25 octobre 2012 de la réaction extrêmement fâchée de l’OSCE (Organisation de la Sécurité et de la Coopération en Europe), dont les USA sont signataires, par le fait même de la conférence d’Helsinki de 1975, et d’une façon conceptuelle puisqu’ils estiment être “une puissance européenne”, et la plus puissante de toutes bien entendu (observations de Richard Holbrooke en 1997, dans un article de Foreign Affairs). L’OSCE venait de recevoir une lettre de l’Attorney General (AG) du Texas Greg Abbott, déclarant que tout observateur de l’OSCE approchant à moins de 100 pieds (30 mètres) d’un bureau de vote au Texas serait immédiatement arrêté et traduit en justice (il n’est pas question d’exécution capitale ni de lynch). En tant que signataires, les USA doivent évidemment se soumettre au processus de contrôle du système électoral chez eux, lorsqu’ont lieu des élections dites démocratiques.

«The Organization for Security and Co-operation in Europe on Wednesday expressed “grave concern” over the Texas attorney general's threat to arrest and criminally prosecute OSCE election observers if they come within 100 feet of polling places on Election Day. The OSCE said Texas's threat “is at odds with the established good co-operation between OSCE/ODIHR [Office for Democratic Institutions and Human Rights] observers and state authorities across the United States, including Texas.”

»Ambassador Janez Lenarcic, director of the OSCE Office for Democratic Institutions and Human Rights in Warsaw, wrote to Secretary of State Hillary Clinton about his concerns on Wednesday. “The threat of criminal sanctions against OSCE/ODIHR observers is unacceptable,” Lenarcic wrote. “The United States, like all countries in the OSCE, has an obligation to invite ODIHR observers to observe its elections.”»

• Mardi 30 octobre, le gouverneur du Texas Perry “tweetait” ce message : «No UN monitors/inspectors will be part of any TX election process; I commend TX secofstate [Texas secretary of state] for swift action to clarify issue.» Parallèlement, le gouverneur de l’Ohio annonçait également qu’il ne permettrait pas à des “observateurs de l’ONU” d’intervenir dans les opérations électorales dans l’Ohio… Pour ce qui est de l’Ohio, on comprend aisément la réaction du gouverneur en tant que tel (voir plus bas). Pour les deux hommes, par contre, on comprend moins qu’ils nous parlent de l’ONU alors que le débat porte sur des délégations de l’OSCE, à qui l’AG du Texas s’est évidemment adressé. Une hypothèse est qu’aucun des deux gouverneurs ne sait ce que c’est que l’OSCE et que les deux concluent qu’il s’agit d’une succursale de l’ONU ; une autre hypothèse est qu’ils s’en foutent, du moment qu’ils font savoir leur opposition à tout contrôle des élections démocratiques dans leurs États respectifs qui ne soit pas le fait de leur organisation politique… La seconde est notre favorite.

• Une première réaction russe, sous forme d’initiative recommandée au Parlement Européen (PE), est celle du parlementaire russe Sergey Zheleznyak, président de la Douma et membre du parti du président Poutine, Russie Unie. Zheleznyak recommande que le PE prenne une mesure d’interdiction d’entrée et de séjour en Europe contre l’Attorney General du Texas. L’initiative de Zheleznyak tend évidemment à mettre éventuellement en évidence le “double standard” du PE, si aucune mesure n’était prise contre le Texas, alors que le PE saisit toutes les occasions possibles de mettre en cause et d’attaquer le processus électoral en Russie. (De Russia Today, le 30 octobre 2012.)

«In a move to protect US voters’ rights, Russia will suggest that the EU bar the Texas Attorney General from entering its territory after he opposed European monitors’ presence at the forthcoming US presidential poll. The Texas AG’s recent statements should be probed for compatibility with the European understanding of democratic values, fairness and transparency of the elections and importance of public control over the voting process, said deputy State Duma speaker and co-chairman of the Russia-EU parliamentary Cooperation Committee. […]

»Zheleznyak, who represents Russian parliamentary majority United Russia stressed that in Russia all accredited international monitors can be present at polling stations and observe the voting process. “If European MPs really support freedom and democratic values they should express their principled position over the actions of this representative of the US authorities,” the Russian politician said. Otherwise, European parliamentarians will look especially biased, clearly demonstrating the double standards exercised by politicians from the EU, Zheleznyak stressed. “I suggest that European parliamentarians immediately put this American who fights international monitors at the US presidential poll on the list of persons who are barred from entering the European Union’s territory. Let us see if our European colleagues have enough honesty and courage to pass these decisions for democracy’s sake,” Zheleznyak told the press.»

• Un autre aspect de l’intervention russe dans cette affaire, c’est une interview de Vladimir Chourov, le président de la Commission Centrale des Elections de Russie (article dans Rossiyskaya Gazeta, présenté et commenté dans Russia Today le 31 octobre 2012). Pour Chourov, le système électoral des USA est “l’un des pires du monde”, et il va évoluer encore plus, de mal en pis, avec la généralisation des machines à voter. (Ces machines, qui sont fabriquées comme on sait par une entreprise dont la direction est proche du parti républicain, sont déjà intervenues dans l’Ohio en 2004 et 2008. En 2004, le candidat démocrate John Kerry était en tête dans l’Ohio avec 67% des voix, dans un sondage à la sortie des bureaux de vote et il fut battu finalement par GW Bush, avec 38% des voix…La journaliste US Victoria Coller, citée dans l'extrait d'article ci-dessous, observe  : « The odds of such an unexpected outcome occurring only as a result of sampling error are 1 in 867,205,553» ; Lou Harris, l’un des fondateurs de la science de la statistique électorale aux USA, commente : «Ohio was as dirty an election as America has ever seen.»)

«One of the main problems with the US electoral system is the lack of transparency, Vladimir Churov argues in an article published in Wednesday’s issue of Rossiyskaya Gazeta. According to US law, international observers from the Organization for Security and Cooperation in Europe (OSCE) are only granted access to polling stations in a handful of US states, including in Missouri, South Dakota, North Dakota, New Mexico, and the District of Columbia. In the other states, US Governors have the final say over the question of allowing international observers to monitor the election process. According to Churov, however, the dark side of the American election process is that “OSCE monitors have been barred from entering polling stations even in the states where they may do so under US law.” This lack of transparency opens the door to numerous possibilities for corruption and manipulation of the system, he added.

»Churov then discussed a perennial problem with American elections: electronic voting machines that do not provide voters with a receipt for their vote, and which are highly vulnerable to manipulation. "American voting machines have not been designed to provide any documentary evidence of citizen participation in the electoral process,” the Russian observer noted. “Moreover, operators [of the machinery] are technically capable of adding or dropping votes in favor of one candidate or another, leaving behind no evidence of violations.”

»In October’s issue of Harper’s Magazine, Victoria Collier shows that with the advent of modern technology, “a brave new world of election rigging emerged,” which emerged with the “mass adoption of computerized voting technology and the outsourcing of our elections to a handful of corporations that operate in the shadows, with little oversight or accountability.” Collier called the “privatization of our elections…one of the most dangerous and least understood crisis in the history of American democracy.”

»Meanwhile, another study demonstrated that a person armed with about 10 bucks and a limited knowledge of technology could hack the vote. “Voting machines used by as many as a quarter of American voters heading to the polls in 2012 can be hacked with just $10.50 in parts and an eighth grade science education, according to computer science and security experts at the Vulnerability Assessment Team at Argonne National Laboratory in Illinois,” reported Salon. The analysts showed that the “newly developed hack” could manipulate voting results while leaving “absolutely no trace” of the crime behind.

»Computer specialists can easily break into the system and cook the results, Churov said, adding that the owners of the Diebold voting machines have openly stated in the past their support of the Republican Party.»

Ces divers échanges nous conduisent à considérer avec faveur l’avis de Chourov sur la valeur du système et du processus démocratique US (“l’un des pires du monde”), notamment avec l’avènement de l’ère électronique (voir le 24 octobre 2012), mais surtout, enfin, à cause de cette extraordinaire mesure de la privatisation du processus de vote. (Par contraste, on appréciera d’autant plus, et d’autant plus à sa juste valeur, l’avis de Jimmy Carter, qui mène des contrôles réguliers des opérations électorales dans le monde, selon lequel le régime démocratique du Venezuela est “le meilleur du monde”. L’avis de Jimmy Carter sur le système démocratique US, circa 2012, ne nous est pas encore parvenu.) Cette simple idée de “privatiser” le processus démocratique en remettant ce processus dans les mains d’une entreprise dont le propriétaire et directeur est un ami des républicains et un proche de Romney, permet de se faire une idée du niveau de désordre et, au-delà, d’incontrôlabilité où se trouve le processus électoral US. Nous ne parlerons certainement pas de sa valeur démocratique, selon la simple remarque d’expérience qu’il nous paraît complètement extraordinaire de croire que ce processus US ait jamais eu une réelle qualité démocratique, – si ces deux mots, “qualité” et “démocratique” ont une seule chance de s’accorder.

Quoi qu’il en soit, cette évolution (la “privatisation”, notamment) dénote, au-delà du simple fait de la volonté de contrôler les élections par tous les moyens possibles, une véritable attitude hypomaniaque de la psychologie, avec le penchant de l’imposture qui va de soi s'intégrant dans une conception quasiment religieuse de l’idéologie du néolibéralisme en tant que haine complète de tout ce qui est bien public, c’est-à-dire tout ce qui peut se rapprocher, de près ou de loin (ou de très loin), d’un principe structurant de la situation politique. A cet égard, les USA, en pleine évolution jusqu’à l’extrême du domaine, sont d’une façon avérée et constante dans le domaine de l’hystérie… Le point intéressant est paradoxal est que cette privatisation et l’intervention du secteur privé peuvent comporter des risques considérables, où la situation de contrôle des urnes par des forces données (ploutocratiques, ou du corporate power) risque de dégénérer en situation d’une complète incontrôlabilité. On observera en effet, comme le fait remarquer l’étude citée par le Vulnerability Assessment Team de l’Argonne National Laboratory de l’Illinois, qu’il suffit de $10,50 et d’une certaine expertise en informatique pour disposer éventuellement de la capacité d’interférer sur les machines à voter et sur leurs résultats. Cette possibilité fait évoluer la perception du constat d’un système complètement faussaire au bénéfice d’une force puissante et de sa capacité de contrôle, vers un système ouvert au désordre le plus complet.

On le voit, nous sommes bien au-delà de la controverse idéologique pour savoir si les USA sont une démocratie. La réponse négative évidente ne suffit plus, notamment pour mesurer l’ampleur du problème auquel fait face ce pays qui s’assimile de plus en plus profondément à la crise terminale et d’effondrement du Système, et la controverse idéologique se charge d’une dimension technologique extrêmement délicate. D’autre part, notre appréciation est qu’il n’y a aucune chance, face à ces certitudes quasi religieuses où se trouvent les esprits des dirigeants politiques, notamment concernant l’idéologie hyperlibérale, que le moindre changement ait lieu, que la moindre nuance de la pensée permette d’apprécier l’extraordinaire dangerosité de la situation telle qu’elle est exposée par ces diverses précisions. Il est vrai que ces directions politiques sont, dans leur esprit, dans leur intelligence des situations lorsqu’il y a une référence à l’idéologie néolibérale, au niveau du robot.

Les messages des gouverneurs du Texas et de l’Ohio, prenant l’OSCE pour l’ONU parce qu’un esprit politicien US moyen n’est pas capable d’élargir le cercle de son intérêt intellectuel au-delà de l’ONU (dont le siège se trouve à new York, – au moins, soupir rassuré pour cela), manifeste le caractère brutal et abrupt lorsqu’il s’agit de l’opposition intransigeante et aveugle, de caractère mécanique, à tout ce qui échappe au contrôle de l’américanisme et qui est classé sous la rubrique “globalisation”… Nous n’avons bien entendu aucun penchant pour la globalisation, bien au contraire, mais lorsque cette position est exprimée par de tels esprits, le débat passe à un autre niveau. La fermeture des esprits américanistes, les bornes impitoyables qui enserrent les intelligences des directions, permettent de penser que rien, absolument rien, ne freinera une seule seconde la course des USA vers l’abîme ; le débat ainsi décrit figure alors, simplement, comme une illustration de cette évolution… Pour alléger le commentaire, on peut ajouter, en forme de rappel, que le gouverneur Perry fut, pendant quelques semaines, favori à la désignation du parti républicain, et qu’il aurait pu, dès lors, se trouver à la place de Romney.


Mis en ligne le 2 novembre 2012 à 06H02