Le “terrorisme” entre-t-il dans une nouvelle époque ?

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Le “terrorisme” entre-t-il dans une nouvelle époque ?

Le site israélien DEBKAFiles publie une importante analyse à partir de ses “sources contre-terroristes”, sans autres précisions comme à l’habitude. Cette analyse fait partie du domaine payant du site (le 21 septembre 2012) et, comme tel, impose une limite radicale à toute citation. Nous allons essayer d’en tirer les principaux points qui nous paraissent d’un réel intérêt, en fonction du fait que nous jugeons cette analyse elle-même d’un réel intérêt. On doit la prendre comme une hypothèse, bien entendu, mais le fait est qu’elle est basée sur des faits, justement, et constitue par conséquent une spéculation complètement acceptable. Le fait est, également, qu’elle s’attache à une situation en état d’évolution dynamique extrêmement rapide, qui se trouve à un point de déséquilibre, de plus en plus nettement dans des conditions de possibilité d’un très rapide retournement de conjoncture, une situation à la fois d’une très puissance dynamique, à la fois d’une très grande fragilité d’orientation de cette puissance dynamique, – entre la poussée offensive et la retraite précipitée, sinon la déroute.

Le premier point est le constat d’un changement radical de tactique de la part de ce qui est désigné comme “le terrorisme” en général, cela indiquant une certaine coordination entre des groupes spécifiques, parfois de tendances politiques ou opérationnelles antagonistes mais jugeant désormais bénéfique une coopération conjoncturelle. Il y a notamment l’affirmation d’une “coopération” entre al Qaïda nouvelle(s) version(s) et des éléments de certains régimes arabes abattus, eux-mêmes alors ennemis d’al Qaïda, comme le régime libyen de Kadhafi. Ce changement implique deux choses : que “le concept” al Qaïda existe bel et bien, sans qu’il soit pourtant nécessaire d’en préciser ni la structure, ni les ramifications et les “alliances conjoncturelles”, ni l’orientation, mais en actant son renouvellement adapté aux nouvelles circonstances ; que l’on peut classer cette nouvelle orientation comme une sorte de “nouvelle époque”, impliquant un changement conceptuel radical, et une époque qu’on qualifierait, pour la facilité de la chose, de “post-ben Laden”.

DEBKAFiles relie entre eux, du point de vue du concept et de la tactique, trois évènements récents : la mort de l’ambassadeur des USA en Libye, réalisée comme une opération “terroriste” très bien coordonnée, utilisant les évènements et les foules à son avantage, réalisée selon des interventions précises de petits groupes de type “commando”, bien armés, bien préparés et disposant de renseignements précis. Certains de ces aspects techniques se retrouvent dans l’attaque, très efficace, de Camp Bastion, en Afghanistan, le 14 septembre. La même tactique est utilisée, selon DEBKAFiles, dans les attaques actuellement en cours de groupes salafistes dans le Sinaï. L’hypothèse observe que la coïncidence opérationnelle de ces trois évènements dans l’exposé d’une nouvelle tactique démontre qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence conjoncturelle. Nous dirions que l’idée est la transformation du concept de “terrorisme” (attaques massives de terreur) en un concept de “guérilla par commandos ponctuels”. DEBKAFiles attribue ce changement à l’apparition et l’influence de certaines personnalités plus ou moins d’al Qaïda.

L’hypothèse rencontre de façon significative une orientation de relations publiques de l’administration Obama, qui explique l’embarras et le flou des versions officielles US de l’attaque contre l’ambassadeur Stevens. Obama ne veut plus qu’on utilise le terme “terrorisme” ni qu’on privilégie des interprétations ou des narrative s’en rapprochant parce que, électoralement et pour son prestige, la narrative officielle est que le “terrorisme” est mort avec la narrative de la mort de ben Laden, dans l’opération, “militaire” dont il a fait sa plus grande gloire, – narrative pour narrative, ou la démonstration de devoir suivre la logique fabriquée de la description du monde sous forme virtualiste de narrative successives, qui doivent être logiquement liées entre elles… Un autre aspect de l’interprétation de la mort de l’ambassadeur Stevens est que DEBKAFiles prend à son compte la mort par lynchage, qui fut une des premières versions données, qui n’a jamais été complètement démentie et que certaines images du cadavre de Stevens immédiatement diffusées ont semblé accréditer. Cela signifierait, selon l’hypothèse développée, que des partisans de Kadhafi auraient collaboré à l’opération et auraient voulu faire de la mort de Stevens une revanche politique et symbolique de la mort de Kadhafi, c’est-à-dire dans les mêmes conditions barbares. Il est à noter que certaines autres interprétations des évènements de Benghazi attribuent effectivement un rôle important à une “résistance kadhafiste” qui s’organise et devient très efficace. (Voir Finigan Cunningham et Mark Robertson, le 21 septembre 2012, sur PressTV.com.)

L’idée générale de ce changement fondamental justifie effectivement l’observation technique qu’on passe de la technique du “terrorisme” à celle d’une guerre globale de “commandos de guérilla” (une sorte de modus operandi des forces spéciales du bloc BAO retourné contre le bloc). Dans ce cas, il ne s’agit plus de “créer un climat” (antiaméricaniste si l’on veut, antiSystème d’une certaine façon) mais bien de porter des coups précis, essentiellement contre les intérêts US. On observera que cette thèse s’adapte bien aux évènements, le “climat” lui-même étant largement créé et vivace, et permettant son “exploitation” d’un point de vue quasiment militaire. DEBKAFiles qualifie cela de “changement tactique” là où nous verrions, si l’hypothèse est vérifiée, un déplacement stratégique fondamental prenant effectivement un aspect antiSystème marqué. Là encore, observe DEBKAFile, Washington a du mal à prendre en compte cette évolution du “terrorisme”, puisqu’avec Obama, le président-qui-marche-sur-l’eau, le terrorisme n’existe plus.

L’élément le plus important du changement exposé par cette hypothèse concerne les régimes dits “islamistes modérés”, type Frères Musulmans (et classés, un peu vite, “proaméricanistes”). Ces régimes se trouveraient alors devant un choix de plus en plus radical : soit s’affirmer proaméricaniste et laisser toute la sphère de la contestation anti-BAO à une coalition très activiste regroupant les islamistes radicaux, divers groupes et jusqu’aux partisans des régimes abattus cherchant leur revanche ; soit abandonner leur ligne théorique et publicitaire “proaméricaniste” et entrer dans la sphère contestatrice, avec la possibilité de diviser à leur avantage la coalition ex-“terroriste” en train de se former. Cette perspective et ce dilemme concerneraient essentiellement l’Égypte et Morsi. DEBKAFile estime que la seconde option confirmerait définitivement l’échec de la politique US de “récupération” du “printemps arabe”, – et elle serait d’ores et déjà en train de se réaliser («The second course would write the closing chapter to the saga of American influence in the Arab Revolt and may already be a work in progress»).

On peut observer que nombre des initiatives et déclarations de Morsi vont dans ce sens. On note, la plus récente, ses déclarations à la télévision samedi mettant en évidence “le rôle vital” que doit jouer l’Iran dans le règlement du problème syrien (PressTV.com, le 23 septembre 2012) :

«Egyptian President Mohamed Morsi says Cairo needs to build a strong relationship with Iran in order to work out a way to end the crisis in Syria. Iran is “a main player in the region that could have an active and supportive role in solving the Syrian problem,” Morsi said in a televised interview on Saturday, Reuters reported.»

Les USA, de leur côté, semblent déjà aller à cette conclusion, dans tous les cas en ce qui concerne l’Égypte. DEBKAFiles en revient à la déclaration d’Obama selon laquelle l’Égypte “n’est ni une alliée ni une ennemie”, et à la nouvelle, récemment “fuitée” par l’administration à la presse US, selon laquelle la partie US a suspendu les négociations avec l’Égypte sur une aide financière d’urgence et une suspension de dette jusqu’à “après l’élection du 6 novembre”. On observera également que, d’un point de vue indirect, l’“avertissement” que les mêmes USA ont transmis aux Israéliens (voir le 21 septembre 2012), selon lequel, désormais “les dirigeants arabes ne contrôlent plus la rue, mais la rue contrôle les dirigeants arabes”, semble bien aller dans le même sens. Dans ce cas, en effet, le comportement de la rue dans les moments stratégiques, comme lors des premiers jours de protestation contre le film Innocence of Muslims, y compris à Benghazi lors de l’attaque contre l’ambassadeur Stevens, fait partie de l’arsenal de ce “néo-terrorisme” qu’il ne faut plus appeler “terrorisme”.

D’une façon générale, on appréciera que la thèse développée parDEBKAFiles, outre ses aspects purement opérationnels qui ont évidemment leur importance, correspond d’une façon satisfaisante au bouleversement politique qui marque sans aucun doute l’évolution du Moyen-Orient et du monde arabe dans le cadre de cette “troisième vague du printemps” qui a commencé le 11 septembre. Elle permet de conforter une perspective nouvelle qui bouleverse complètement la narrative du bloc BAO sur la “démocratisation” du monde arabe entreprise avec la Libye et poursuivie avec la Syrie, de la façon infamante et faussaire qu’on sait. De ce point de vue, le “changement de tactique” décrit dans l’hypothèse considérée représente objectivement, en observant simplement la dynamique de la situation sans considérer les motifs et les objectifs des uns et des autres, l’aile opérationnelle de ce changement, qui peut conduire à acter dans les termes militaires la situation générale de recul du bloc BAO. Le “changement de tactique” devient alors un élément, et peut-être l’élément décisif, d’une évolution stratégique fondamentale qui est en train de ramasser tout son potentiel dynamique avant de le libérer. Dans les circonstances présentes qui impliquent effectivement la formidable dynamique caractérisant la politique extérieure militariste du bloc BAO, cette libération pourrait aisément achever avec brutalité et une rapidité soudaine le complet retournement de cette dynamique militariste du bloc BAO et agir avec une force extraordinaire contre l’engagement du bloc BAO, contre toutes les forces qui animent la politique du bloc.


Mis en ligne le 24 septembre 2012 à 05H34

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