Le système contre Assange : une vindicte staliniennne

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D’une façon générale, on pourrait observer que le Système, vis-à-vis des divers acteurs dans l’affaire Cablegate, se conduit à peu près comme le régime stalinien. Pas de surprise à avoir, la parenté entre les bureaucraties (la stalinienne et l’américaniste) étant patente. On dira simplement que la méthode stalinienne était plus rude et moins sophistiquée, et prenait moins de ces gants blancs médicaux en caoutchouc dont ne manquent pas, conformément au règlement, de se parer les “interrogateurs” du système de l’américanisme. Par contre, la version américaniste pèche par son incroyable vanité camouflée sous le nom un peu plus chic d’hubris. A part cela, on est en famille.

Notamment, on sent dans le Système US la même volonté d’acharnement contre Assange qu’on sentait, par exemple, chez Staline contre Trotsky (assassiné par le NKVD aux Mexique en 1940). Il y avait chez Staline une vindicte personnelle, mais aussi la crainte fondée, d’ailleurs depuis le départ de Trotsky d’URSS en 1929, que Trotsky réalise effectivement un rassemblement anti-stalinien qui aurait pu contrecarrer les projets dudit Staline. Il n’y a rien de semblable dans la vindicte contre Assange déployé par le Système, lequel Système s’est montré totalement inefficace et incompétent, face aux diverses opérations de WikiLeaks. Il y a d’abord l’ivresse de la puissance du Système, laquelle explique cette inertie face à WikiLeaks, suivie de cette fureur de la vanité blessée devant l’effet mondial produit par Cablegate. Le Système n’a ni la rouerie impitoyable, ni l’habileté cynique du régime stalinien. Il est impitoyable et cynique sans état d’âme, mais il est aussi d’une incompétence remarquable.

Actuellement, les pressions sont très fortes aux USA pour tenter de mettre sur pied un cas qui pourrait justifier la demande d’extradition d’Assange. C’est Assange lui-même qui en a informé la presse, comme le Guardian le rapporte ce 17 décembre 2010.

«WikiLeaks faces a “very agressive” and secretive investigation by US authorities stung by a perceived loss of face following the release of thousands of secret American diplomatic cables, the organisation's founder, Julian Assange, said today. Speaking to reporters outside Ellingham Hall, the Norfolk house at which he is staying on bail following his release from prison, Assange said WikiLeaks faced “what appears to be an illegal investigation ... certain people who are alleged to be affiliated to us have been detained, followed around, had their computers seized and so on”.

»He said he believed it was “80% likely” that the US authorities were seeking to prepare an attempt to have him extradited there to face charges of espionage. He added that he was reliant on public opinion to rein in “a superpower that does not appear to be following the rule of law”.

»“I would say that there is a very aggressive investigation, that a lot of face has been lost by some people, and some people have careers to make by pursuing famous cases, but that is actually something that needs monitoring,” he said. […] [“I]n the United States, what appears to be a secret grand jury investigation against me, or our organisation – not a single comment about what is actually going on.”»

Un autre point d’attention pour mesurer la vindicte du Système, c’est le sort du soldat Manning, détenu depuis 200 jours dans un isolement complet à la base des Marines de Quantico, dans des conditions qui s’apparentent à un traitement de torture psychologique. (Le site Daily Beast donne, le 17 décembre 2010 des précisions sur les conditions de détention de Manning, d’après des informations de l’avocat du soldat emprisonné.)

Aujourd’hui, 18 décembre 2010, Kim Sengupta donne dans The Independent de nombreux détails sur la façon dont le Système entendrait “utiliser” Manning, essentiellement en en faisant un témoin à charge contre Assange, de façon à renforcer décisivement le dossier de demande d’extradition. Là aussi, on retrouve les méthodes staliniennes pour les montages de procès comme le régime était coutumier.

«Yesterday US sources revealed that prosecutors are awaiting a decision from the American Attorney-General, Eric Holder, on what form of plea bargaining they should offer to Manning in return for him incriminating Mr Assange as a fellow conspirator in disseminating the classified information.

»Officials at the US Justice Department, who are under acute pressure to prosecute, privately acknowledge that a conviction against Mr Assange would be extremely difficult if he was simply the passive recipient of the material disseminated by Private Manning. Any evidence that he had actively facilitated the leak, however, would make extradition and a successful case much more feasible.

»Friends of Private Manning stress that so far he has refused to co-operate with the prosecutors. However, they also say that after seven months of solitary confinement in at the Quantico Marine Base in Virginia he is in an increasingly fragile condition… […]

»Robert Feldman, a US lawyer specialising on security issues, said: “We kind of have a picture of a troubled young man with obvious problems. Yet no one in the Army system picked this up and he was allowed access to secret information. And we also see security around the place was pretty loose.

»“So a trial would be embarrassing to the DoD [Department of Defence] whatever happens. But, if they can prove complicity in the part of Assange in organising the leaks, then a picture can be drawn of an Assange, an older man, who manipulated an emotionally disturbed younger man. But to do this they obviously need evidence of complicity.” […]

»And, in what is seen as the determination of the authorities to pursue a prosecution, a number of hackers have claimed they have been offered financial inducements in return for associating with WikiLeaks and gathering evidence of wrongdoing.

»One computer specialist told the Washington Post said the US Army offered him money to “infiltrate” the website, but he turned it down because “ I don’t’ want anything to do with cloak and dagger stuff.” An Army criminal investigation division spokesman told the newspaper “We’ve got an ongoing investigation.We don't discuss our techniques and tactics.”»

L’acharnement est manifeste et tient manifestement à des motifs encore plus passionnels que tactiques ou manipulatoires. Comme le remarque Assange, «a lot of face has been lost by some people», et l’on pourrait dire que ces gens sont en fait, dans leurs cas, des représentants du Système qui a lui-même perdu la face dans cette affaire. Dans ces occurrences, on ne peut que répéter et amplifier diverses remarques que nous avons déjà faites, sur le jeu extrêmement risqué que joue le Système, pour des gains qui restent à démontrer. D’une certaine façon, en réagissant comme il le fait, le Système montre plus sa vulnérabilité que sa puissance, et il fait l’aveu implicite que l’action d’Assange l’a touché durement, dans tous les cas dans son extrême “vanité de puissance” (version systémique de la “volonté de puissance"). Son action n’est pas d’une rapidité et d’une efficacité telles qu’elles pourraient servir d’exemple propre à décourager d’autres Assange, mais au contraire encalminée dans le juridisme, la manipulation voyante, le manque d’imagination, – autant d’aspects qui donnent à la fois le temps et l’idée à des émules d’Assange de se manifester ou d’entrer “sur le sentier de la guerre”.

Enfin, on ne peut que répéter que la longueur que sont en train de prendre les diverses batailles juridiques, les polémiques, les interférences légales, etc., alimente l’idée d’une persécution contre Assange, en même temps que le sort illégal et détestable fait au soldat Manning met en évidence les méthodes totalitaires du Système. Ce sont autant de circonstances pour que la mobilisation en faveur d’Assange et de Manning se renforce et grandisse encore. Curieusement et contre son propre intérêt, emporté et aveuglé par la passion de la vanité blessée, le Système “fixe” la crise Cablegate dans un mécanisme de constant rappel de l’existence de cette affaire, de constant appel à la mobilisation de contestation.


Mis en ligne le 18 décembre 2010 à 12H20