Le Pentagone : maman, bobo…

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Le Pentagone : maman, bobo…

Combien ?! $100 milliards en moins en 2013 ? Le bruit affreux s’est répandu comme une traînée de poudre à Washington. Colin Clark, de AOL.Defense.com le classe, prudemment, dans la catégorie “Rumeurs”… Il n’empêche, le bruit est partout dans les salons et dans les messageries de Washington D.C. Clark reprend une information de Mackenzie Eaglen, analyste à Heritage Foundation, annonçant que l’Office and Mangement & Budget (OMB) a demandé au Pentagone de faire des calculs pour un budget FY2013 alternatif à celui qui est prévu, amputé de $100 milliards. Il s’agit de l’hypothèse, qui est donc sérieusement envisagée, que le “Super Congrès” (la commission bipartisane issue de l’accord sur la dette, pour répartir des réductions budgétaires de $1.500 milliards) n’aboutisse pas à un accord d’ici décembre, et déclenche ainsi la réduction automatique de $750 milliards pour 10 ans pour le Pentagone.

Clark écrit (le 19 août 2011), après avoir annoncé que Eaglen a confirmé les informations venues de ses sources, que le mémorandum de l’OMB aux agences et départements est ainsi rédigé :

«In light of the tight limits on discretionary spending starting in 2012, your 2013 budget submission to OMB should provide options to support the President's commitment to cut waste and reorder priorities to achieve deficit reduction while investing in those areas critical to job creation and economic growth. Unless your agency has been given explicit direction otherwise by OMB, your overall agency request for 2013 should be at least 5 percent below your 2011 enacted discretionary appropriation. As discussed at the recent Cabinet meetings, your 2013 budget submission should also identify additional discretionary funding reductions that would bring your request to a level that is at least 10 percent below your 2011 enacted discretionary appropriation.»

Colin Clark ajoute cette précision, qui a une petite charge de menace, au moins bureaucratique, sous-entendant qu’on pourrait envisager un mouvement de “révolte”, du côté des généraux, si une telle mesure était prise. (Notre souligné en gras.)

«It's interesting that Eaglen, who has consistently opposed large spending cuts along with many of her GOP colleagues, called on the Joint Chiefs to “push back.” This seems to assume that the cuts would have immediate and harmful operational consequences. It also seems to assume that the service chiefs would not salute smartly and plan away.»

…Cela pour la vision, disons bureaucratico-dramatique. Maintenant, pour la vérité des choses, qui transparaît beaucoup mieux d’un article de Winslow Wheeler, également sur AOL.Defense.com, le 19 août 2011. On connaît le mauvais esprit de Wheeler, réformiste dans l’âme, et critique irrespectueux du Pentagone. Wheeler a assisté à une soi-disant “conversation” entre, d’une part, le secrétaire à la défense Leon Panetta et la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, d’autre part un modérateur et l’audience, le 16 août à la “prestigieuse” National Defense University de Washington.

«The “conversation,” it turns out, was with Frank Sesno, the former CNN personality and currently director of George Washington University's School of Media and Public Affairs. Sesno took the “conversation” assignment seriously; although he boldly said that it was important to “ask the tough questions” – just like a journalist – he did no such thing. Lofting over shallow dinner-talk queries, Sesno chummed it up with Panetta and Clinton and permitted them to say anything they wanted without fear of challenge.»

…D’où il ressort que la secrétaire d’Etat fut, comme d’habitude, une super-hawk et ne dit rien d’intéressant, sous la forme d'une objurgation à soutenir le maximum possible de dépenses militaires. Panetta fut plus intéressant, simplement parce que c’était l’occasion de le découvrir pour la première fois en public, comme secrétaire à la défense. Conclusion de Wheeler : tout en rondeur, Panetta, certes, et en habiletés diverses, mais absolument aligné sur la cause du maximum de dépense pour le Pentagone. «The bureaucratic moguls at the Pentagon, who currently preside over the largest defense or non-defense agency budget since the end of World War II, must have been delighted. After four years of sometime tough-guy Robert Gates, who fired senior officials for not toeing his line, DoD's high spenders must be elated to have at the top someone who has leaped so quickly and with such eagerness to defending their agenda…»

Suit une longue description de ce qu’il pourrait advenir, en termes comptables, du budget de la défense avec les réductions qui s’annoncent. (Notamment, celles dont Colin Clark parle plus haut.) Puis Wheeler continue justement en remarquant : “Ce n’est pas une question d’argent”… Il rappelle fort justement que la crise du Pentagone ne dépend en rien du montant de son budget, – sinon en l’abaissant, seule façon de tenter de contenir la crise.

«The problem is not money. Under this so-called worst case scenario, the Pentagon would be left quite flush with money, plenty of it in historical terms. The problem is that the Pentagon, as it exists under its current leadership, is incapable of surviving with less money. They quite literally do not understand how to face a future where the DoD budget exceeds any and all potential enemies by a multiple of only two.

»Many - including Obama's bipartisan 2010 National Commission on Fiscal Responsibility and Reform, a task force put together by congressmen Barney Frank (D-Mass.) and Ron Paul (R-Texas), yet another commission headed by former budget leaders Sen. Pete Domenici (R-NM) and OMB Director Alice Rivlin, and two alternative budget proposals from Sen. Tom Coburn (R-Okla.) – have itemized how to save about $900 billion from the national defense budget. The political landscape is littered with competent recommendations to remove many of the thick layers of hydrogenated fat from the Pentagon.

»These proposals hit on many of the same soft spots in the DoD budget, such as the unaffordable, underperforming, years behind schedule F-35 Joint Strike Fighter. The implied consensus on such ideas and on the approximate amount (roughly $900 billion) suggest that the slightly lesser $850 billion in Pentagon savings is not “doomsday” (Panetta's word) but quite endurable-and would actually leave DoD quite flush with cash.

»But, it is unthinkable to Secretary Panetta, as it is to those who perform the enabling chitchat.»

Du coup et en un seul coup, nous avons une bonne appréciation générale de l’appareil de sécurité nationale US aujourd’hui, autant que de la crise que cet appareil pourrait avoir à affronter à partir de décembre 2011, si le “Super Congrès” ne parvient pas à un accord satisfaisant. Le nouveau secrétaire à la défense a été prestement absorbé et digéré par le monstre et sa bureaucratie. Panetta n’a pas le dixième des capacités de Gates de résister à ces pressions du Système, il n’a aucune appréciation arrêtée, aucune conviction, rien qui indique la moindre essence d’une vision où il saurait séparer la dignité de ce qui ne l’est pas ; son “instinct” de bureaucrate maître en arrangements indique que seul l’arrangement lui importe, qu’il ne lèvera pas le petit doigt pour empêcher le Pentagone de filer comme le Pentagone entend le faire. En passant et selon l’appréciation de Wheeler, on voit combien Hillary Clinton a totalement réintégré sa cuirasse de “libérale belliciste” et s’est figée dans une posture quasiment néoconservatrice, retrouvant ainsi une sorte d’égalité avec elle-même comme sa paresse de caractère et l’épuisement de sa psychologie l’invitent à être. Elle retrouve l’orientation désormais affirmée et confirmée de Barack Obama, autre personnalité emportée par la chute, et bien caractérisé, par exemple, par son portrait de néoconservateur néophyte mais zélé qu’en fait Neal B. Freeman. Avec Panetta désormais installé à la défense, l’administration Obama est devenue une clique, sans aucune capacité de résister au Système. Très heureusement, ce piètre aboutissement s’inscrit dans un moment clef où la même machine qui absorbe cette clique au nom du Système, intervient par ailleurs pour éventuellement imposer à cette même clique et au reste des mécanismes qui peuvent conduire à des réductions budgétaires déjà présentées comme apocalyptiques.

Tant pis si cette caractérisation (“apocalyptiques”) est absurde, – et tant mieux d’ailleurs puisqu’elle emprisonne le Pentagone dans l’éventuelle nécessité d’une réaction à mesure, ce qui est une bonne voie pour accentuer le désordre. Une évocation (par Eaglen, via Clark) d’une réaction ferme des chefs d’état-major est amusante. Certains pourraient évoquer, pour le fun selon nous et pour se faire peur encore une fois, l’ombre d’un coup d’Etat ; cela serait investir ces pâles bureaucrates maquillés en généraux et formatés à mesure, d’un esprit d’aventurier qu’il ne connaissent même pas, et d’une stature de guerriers qu’ils ne sont évidemment pas puisqu’ils ne l’ont jamais été. L’essentiel, en l’occurrence, c’est le désordre qui serait encore accentué par la colère bureaucratique et comptable de ces chefs militaires, en même temps que les positions contradictoires des civils, – autant Obama que les républicains classiques, tous super-bellicistes à l’image d’Hillary et pourtant obligés de cautionner en cas de blocage du “Super-Congrès” des réductions automatiques qui les ont engagés, qui auraient la vertu de faire peur à tout le monde.

Le mémo de l’OMB, qui est une mesure tout à fait naturelle (préparer une administration à une réduction imposée par la loi) apparaît dans ce climat, presque comme une provocation, du moins dans l’habillage qu’en a déjà fait le système de la communication, sinon “la preuve” par avance, pour des esprits d’un tel niveau, que l’administration Obama, derrière ses allures guerrières, est prêter à vendre la sécurité des Etats-Unis au premier terroriste venu. Là encore, désordre accentué, contradictions mises à nu et ainsi de suite ; et, bien entendu, la possibilité bien réelle de prises de position à venir de plus en plus radicalisées, notamment au sein de la commission “Super-Congrès”, ce qui pourrait effectivement jouer le rôle de la “provocation” qui enclenche le processus fatal.

Comme écrit avec une certaine prudence Colin Clark : «We will see…»


Mis en ligne le 20 août 2011 à 05H22