Le D-Day de la Fed

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L’extraordinaire impudence des chroniqueurs économistes, ultra-libéraux et pro-américanistes de type “anglosphère”, dans ce cas du quotidien Daily Telegraph, éclate dans leurs commentaires sur l’intervention des banques centrales extérieures, dont principalement, sinon essentiellement, la Federal Reserve, pour “sauver l’Europe”. Les deux chroniqueurs sont Jeremy Warner et Ambrose Evans-Pritchard qui peuvent, au moins pour un jour, déverser leur bile sur tout ce qui n’est pas anglo-saxon dans le bloc BAO, alors que tout ce qui est anglo-saxon dans le bloc BAO, de Wall Street à la City en passant par la Fed, porte à peu près 125% de la responsabilité technique de la catastrophe générale et que l’esprit même du monde anglo-saxon est le grand générateur, plutôt inconscient que diaboliquement machiavélique, de la forme et du rythme de cette crise générale et terminale du Système. En attendant, l’Europe étant ce qu’on sait, un clone des USA pour la doctrine, avec en surplus une Allemagne qui a décidé de ne rien permettre à la Banque Centrale Européenne hors de l’austère rigueur de la doctrine de l’équilibre budgétaire, hors des folies des divers tirages d’argent frais, type “Quantitative Easings” de la Fed, la nouvelle a été effectivement pour deux ou trois jours que c’était effectivement la Fed qui débarquait à Omaha Beach, $trillions en bandouillère, pour sauver l’Europe, – “une fois de plus”, merci… Nous sommes dans ce cas, bien entendu, dans le domaine de l’imagerie mentale qui gouverne les “réflexions” de nos experts, et c’est bien à cette imagerie et nullement à la situation technique de la chose que s’adresse ce commentaire.

Le titre et le sous-titre de Jeremy Warner, le 1er décembre 2011, nous disent tout du mépris effectivement exprimé pour cette situation abracadabrantesque où s’est mise l’Europe, jusqu’à réclamer l’aide de la non moins abracadabrantesque Federal Reserve… (Ici et là, nous soulignons les mots ou expressions qui nous semblent illustrer l’esprit dont nous parlons.) «Debt Crisis: US rescue act is a sign of the mess we’re in – For the eurozone, it was another humiliating turn of events. Faced with Europe’s abject failure to sort out its own mess, the US Federal Reserve has been forced to come riding to the rescue instead.». Les premières phrases expédient effectivement ce nouveau débarquement de Normandie pour sauver, “une fois de plus”, cette inconséquente Europe.

«It wasn’t quite D-Day – Europe is going to require much bigger solutions than the quite limited band aid offered yesterday by the world’s most powerful central bank – but it was the first bit of positive news the single currency has had for some time. What’s essentially happened is that the Federal Reserve has agreed to step in and provide the cut-price dollar funding to eurozone banks which markets, fearing the worst about the future of the euro, have been refusing…»

Du péremptoire Ambrose Evans-Pritchard , toujours du Daily Telegraph du 30 novembre 2011, le sous-titre également suffira : «Stripped to essentials, America is once again having to rescue Europe from itself.»

Pendant ce temps, en Amérique, on n’en finit plus de découvrir les diverses horreurs et turpitudes de la Federal Reserve, acclamée à Londres comme le furent les forces libératrices du général Eisenhower, en mieux. L’article de Bloomberg.News du 28 novembre 2011 a fait grand bruit, ajoutant quelques autres chiffres atmosphériques des interventions secrètes de la Fed. On en sait de moins en moins clairement sur le détail de ces interventions secrètes tant les révélations se croisent et interfèrent les unes dans les autres, mais bien entendu on sait de plus en plus qu’elles ont existé, qu’elles ont été secrètes, non autorisées, illégales dans l’esprit de la chose, et évidemment colossales.

Cette intervention de Mary Bottari, directrice du Real Economy Project, une des branches du Center for Media and Democracy, le 30 novembre 2011 sur PressTV.com, résume bien le sentiment général des observateurs critiques de la Federal Reserve aux USA : après avoir “sauvé” les banques US dans un mode catastrophique qui a aggravé la situation, la Federal Reserve s’apprête à faire de même avec les banques européennes. Le D-Day peut être donc apprécié de façons bien différentes, puisque, dans ce cas, la perspective implicite de cette interprétation est que l’intervention de la Federal Reserve, en étendant les pratiques déjà expérimentées aux USA, ne va faire qu’étendre la forme de la crise générale US à l’Europe, en homogénéisant et en intégrant les deux situations. Encore une fois, peu importe l'interprétation technique ici, car seul nous importe le constat de l'accélération constante de cette tendance à l'homogénéisation et à l'intégration de la crise au sein du bloc BAO (comme elle existe à l’intérieur du bloc européen, où la seule issue structurelle à la crise est vue dans une fédéralisation fortement accentuée, une intégration plus grande de tous les pays de l’UE).

«“What the new Bloomberg information shows is a couple of things. First, it shows these enormous sums that were taken by the big bank from the Federal Reserves discount window. They counted as 7.7trillion dollars to rescue the financial system that was flowing out of the Fed which is more than half the value of everything produced in the U.S. that year,” Bottari said. She added that what the article showed was that “Congress, the policy makers, the people who are supposedly running this government had absolutely no idea this was going on and it could have shifted the terms of the debate.”

»Bottari continued that “this new report out of Bloomberg really advances our understanding of how the Federal Reserve works and we are entering a new time of crisis with the European Debt Crisis, the Federal Reserve may in fact get involved and start buying European, Spanish and Italian debt.”»

On retire donc de tout cela l’appréciation générale que nous vivons sous le régime général de la globalisation catastrophique du bloc BAO, et pour cet instant la Federal Reserve a semblé mener de manière ouverte la danse, ou la course, sur cette voie à résultante évidemment catastrophique. (“Sembler”, disons-nous, car il nous paraît plus que jamais manifeste que les acteurs qui apparaissent par périodes ne sont que les exécutants d’une force métahistorique qui, évidemment, les dépassent et, en un sens, les manipulent, – ou bien, dit différemment, la fable et la farce des manipulateurs manipulés.) L’Europe est paralysée dans ses divisions, dans le diktat allemand, dans sa rigidité idéologique qui n’a sans douter aucun équivalent au monde, dans son désordre et son ignorance des règles de souveraineté et de légitimité qui conduisent à croire ce contresens de pure inversion que ces valeurs qualitatives fondamentales que sont la souveraineté et la légitimité se renforcent par un projet de forme quantitative du type “plus nous sommes grands et nombreux, plus nous sommes souverains et légitimes” (projet de transformation des traités, développé hier par Sarkozy). L’Europe est responsable mais trop faible, trop inexistante, pour être vraiment coupable ; la Federal Reserve n’est responsable de rien, jusqu’à la sortie récente de divers documents, mais, techniquement, originellement coupable de l’essentiel. Les Britanniques, qui ricanent en observant ce désordre d’impuissances européennes, le font confortablement installés sur une nation qui s’effondre et qui s’effrite à vue d’œil, jusqu’à ce qu’il ne reste que la City posée sur des ruines. L’édito d’Ambrose Evans-Pritchard aura ce jour-là des accents churchilliens.

Tout cela ne permet pourtant pas de trancher en quoi que ce soit sur le sens, la valeur générale, les orientations de ce qui tend à devenir une “politique globale” de type catastrophiste du bloc BAO, toutes nationalités et tendances confondues. On en conclut qu’il est en vérité impossible, arrivés à ce stade des activités intellectuellement irresponsables si complètement imbriquées et partagées, de porter un jugement sélectif quelconque. L’intervention de la Fed n’est pas un signe de plus de la prépondérance des USA sur l’Europe, sinon pour les âmes sensibles qui vous parlent de démocratie et de fascisme, mais le signe qu’effectivement le bloc BAO est aujourd’hui parfaitement intégré dans sa course catastrophique, les uns réagissant aux avatars des autres, et vice-versa selon les circonstances, la somme du tout étant une aggravation générale puisque les “remèdes” apportées sont ceux qui ont précisément déclenché tous les maux. On observera un phénomène tout à fait semblable au niveau de la politique étrangère (voir nos “transversales de l’autodestruction”), si l’on peut parler de “politique”. Il s’agit finalement d’une homogénéisation et d’une intégration générales d’une tendance irrésistible, aussi bien catastrophique (en elle-même) que catastrophiste (dans ce qu’elle provoque), avec, pour stimuler le commentaire du jour, des nuances exotiques et excitantes dans les détails, les circonstances, les engagements.

Tout cela conduit à l’observation d’une accentuation sans cesse grandissante de l’intégration de toutes les crises, et des “politiques” qui vont avec, en un seul phénomène crisique global et général caractérisant l’activité du bloc BAO. Il y a de moins en moins d’issues possibles par domaines de crise, et la crise générale s’amplifiant et absorbant toutes les crises en elle-même conduit à une situation où la seule issue est l’effondrement du Système. La vertu de cette intégration sous la poussée de la dynamique catastrophique et catastrophiste est effectivement de regrouper tous les maux du Système jusqu’à parvenir à sa représentation parfaite et complété, et ainsi arriver aux conditions de son effondrement complet.


Mis en ligne le 2 décembre 2011 à 04H35