Le cas Villepin

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Le cas Villepin

1er février 2010 — D’abord, il y a le jugement “qui lave plus blanc que blanc” de Dominique de Villepin dans l’affaire Clearstream; cela, suivi de l’appel, sans se presser, du Procureur de Paris qui prend aussitôt l’apparence, avec bien des clins d'yeux pour la réalité des choses derrière l’apparence, d’une vindicte du Président de la République Française. Un Président n’a pas le droit d’avoir de vindicte personnelle, à moins d’avoir l’habileté, ou la chance, que cette vindicte soit aussi et d’abord une vindicte de la France. Avec Villepin, ce n’est pas nécessairement le cas.

Jean-François Kahn fait sur son nouveau blog (Tourner la page) un résumé polémique de l’affaire. Clearstream en soi ne nous intéresse guère, mais il est intéressant que la justice ait complètement blanchi Villepin (ce qui était une complète évidence, proclame le pétulant JFK, qui n’a jamais lui-même cessé de la répéter); il est encore plus intéressant que le Procureur ait fait appel après un curieux temps de réflexion; etc, etc.. On connaît la musique et l’on sait désormais qu’il nous est né un candidat à la présidence de la République, adversaire direct de Sarko.

Jean-François Kahn de conclure sobrement:

«Résultat des courses ? Il y a un nouveau candidat à la présidence de la République. Que ce verdict rend soudain totalement crédible.

»L’instrumentalisation de l’affaire était destiné à l’exclure, elle le conforte.

»Depuis ce jeudi 28 janvier quelque chose a changé dans la carte politique française.»

Trois jours plus tard, le 31 janvier 2010, le même JFK nous précise que Sarko et sa bande préparent des coups fourrés dévastateurs contre Villepin. La bataille sera rude, nul n’en doute… Mais laissons là l’aspect franco-français ou, disons, de coupe-gorge parisien, et venons-en à l’essentiel. Il s’agit d’apprécier cet événement dans le contexte d’une situation française qui reflète la situation d’une époque et la crise d’une civilisation.

@PAYANT D’abord, première partie du propos, ceci: où en est Sarkozy? Il semble bien qu’il soit arrivé à ses limites. Même l’étincelant discours anti-capitaliste (pas de lui, bien entendu) qu’il a prononcé à Davos n’a soulevé que des haussements d’épaule, alors qu’il aurait dû constituer, dans un autre climat imposé par l’orateur et selon une autre dynamique de l’orateur, s’il avait su imposer l’un et l’autre, un cri de ralliement pour tous ceux qui s’opposent à l’épouvantable situation où nous nous agitons, et à l’épouvantable système qui en est la cause. Le fait qu’il n’arrive plus à susciter une telle adhésion (alors qu’il y avait réussi, par exemple, le 24 septembre 2008, avec un discours de la même veine, à Toulon) montre bien les limites du personnage et l’absence de capacités créatrices de son énergie. Sarkozy aurait pu faire quelque chose de grand s’il avait appris (cela s’apprend) à comprendre ce qui importe dans ce qu’il dit depuis presque trois ans, et à le séparer de ce qui n’importe pas. En plus de lire les discours que les autres écrivent pour lui, il aurait dû s’attacher à leur signification. C’est d’usage et c’est l’usage.

Sa seule période glorieuse fut sa présidence européenne parce que les événements le conduisirent à ne dire et ne faire, pour l’essentiel, que des choses importantes, campé sur une position nationale de grande force et de réelle vertu dont il avait compris l’intérêt politique pour lui et qui, occurrence remarquable, rencontrait effectivement la substance de la crise. Mais il semble bien que Sarko, en cette même occurrence, n’ait compris que “l’intérêt” et ne se soit guère attardé à “la substance”. De la phrase qui devrait être fameuse du général de Gaulle (des Mémoires de Guerre), Sarkozy n’est donc capable de distinguer que le “bon placement politique”: «Tout peut, un jour, arriver, même ceci qu’un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique»; de compréhension de “l’honneur et [de] l’honnêteté”, point du tout. Il n’a même pas su retourner la phrase et admettre qu’un “bon placement politique” peut être également “un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté” – et que c’est, pour poursuivre dans le mode comptable et statistique électoraliste, “tout bénéfice”.

Aujourd’hui, les échos qui nous parviennent des possibilités (pour Sarko et la France) de lancer des choses importantes avec la Russie, dans le cadre de l’Europe, comme nous en avons évoqué l'éventualité, apparaissent d'une couleur moins éclatante. Un certain désenchantement se fait jour, qui n’est pas favorisé certes par le comportement fantasque et stalinien des Kazakhs (qui président l’OSCE et doivent permettre de donner un cadre important à de telles initiatives européennes), et par un certain désintérêt des Russes, à mesure, qui sembleraient plutôt tentés de se replier sur leurs seuls intérêts. De ce haut fonctionnaire européen (et français) qui faisait ce constat nouveau et à qui était adressé officieusement la question “Et Sarkozy?”, il y eut cette réponse désabusée: «Avec lui, c’est toujours la même chose, il fait un coup et puis il passe à autre chose, il oublie, et rien ne suit…» Peut-être vendra-t-il tout de même le Mistral aux Russes, ce qui nous vaudra quelques vagues.

C’est dans ce paysage général, européen certes, voire un peu plus large, mais avec les conséquences en France même, où le déclin du président français devient palpable, que réapparaît Villepin. Nous l’avons vu l’autre jour (vendredi soir, sur le Grand Journal de Canal Plus), montrant une certaine sérénité, plus calme qu’à l’habitude, moins volubile, moins fébrile, moins inutilement flamboyant et plus heureusement gagné par ce qu’on nommerait presque une sagesse ironique… Certains diraient, JFK en tête : “présidentiable”. D’ailleurs, les journalistes en cause, abandonnant leur strict sarkozysme de rigueur (Apathie en tête quoique par la bande), marquait une déférence nouvelle pour l’homme. Bref, on ne sait jamais.

La voie de la “dissidence”

L’existence de Villepin en-dehors des voies courantes de la politique, sans soutien solide d’un parti, a longtemps été perçue comme un handicap. On se rappelle qu’il était désigné par certains, à la fin de la présidence Chirac, comme un Premier ministre “sans légitimité” puisque non élu; dans les provinces postmodernistes de la démocratie idéale, ces choses-là – mettre un rapport de cause à effet entre “leur” démocratie et la “légitimité” – se disent encore parce que l’impudence n’a pas froid aux yeux. Dans les circonstances présente, et avec un agent électoral comme Sarkozy qui le poursuit d’une haine corse, ou napoléonienne, le ci-devant handicap peut devenir avantage. Ce serait l’avantage du “dissident”, de l’homme sans parti.

L’expression est de convenance mais elle a de la substance, et il faut en garder l’esprit après l’avoir pesé. Villepin doit être un “homme sans parti” comme, avant lui, Michel Jobert et Philippe Séguin furent des “hommes sans parti”, même s’ils en étaient, même s’ils en fondèrent (Jobert – d’ailleurs sans grand succès, qui se proclamait d’“ailleurs”). Il y a une filiation entre ces trois hommes; il y en avait une entre Jobert et Séguin; il y en a une entre Séguin et Villepin, simplement parce que Villepin réapparaît au moment où Séguin disparaît.

La mort de Séguin fut saluée par certains comme la disparition du seul homme en France, aujourd’hui, qui aurait mérité d’être président. A Villepin de rattraper l’injustice faite à Séguin en 1995, en se faisant ainsi pardonner la part qu’il y prit, avec la préférence de Chirac pour Juppé alors que Séguin l’avait fait élire sur un de ces thèmes qu’on qualifie en général de “mobilisateur de l’énergie nationale”. La tactique s’impose, comme la réparation de l’injustice: Villepin doit mener pour son compte la campagne que Séguin inspira à Chirac, signifiant qu’il comprend, lui, la phrase de De Gaulle («Tout peut, un jour, arriver, même ceci qu’un acte conforme à l’honneur et à l’honnêteté apparaisse, en fin de compte, comme un bon placement politique»). Ainsi Villepin recueillerait-il l’héritage d’outre-tombe de Séguin, qui remonte au-delà de Séguin.

Cet esprit d’une candidature Villepin ainsi suggéré dans sa tactique comme une manœuvre répondant à une conception noble de la politique, il faut maintenant envisager à quoi pourrait correspondre une telle candidature. En d’autres mots, quel serait l’esprit de la substance d’une telle candidature? Puisqu’il s’agit d’une candidature de dissidence, ce ne peut être qu’une stratégie de crise. Assez curieusement, la campagne d’un candidat Villepin devrait suivre une partie d’un brouillon déjà tracé, justement par son adversaire, le président actuel – lequel a fait de cette partie du “brouillon” une caricature. Samedi dernier, dans l’émission Ca se dispute (sur I-Télé), Eric Zemmour faisait remarquer en évoquant l’hypothèse d’une bagarre Sarko-Villepin, que si Villepin a son thème déjà écrit, en face Sarko a Henri Guaino qui écrit pour lui sur le même thème. Question intéressante dans cette hypothèse: Guaino restera-t-il jusqu’au bout avec Sarkozy, lui qu’on dit désenchanté de cette chose étrange qu’on nomme “sarkozysme”?

Effectivement, le thème est évident. Nous n’échapperions pas à la question de la France, à la question de la nation. La voie naturelle tracée à Villepin, c’est le lien qu’il peut faire, lui, entre la question de la nation qui obsède la France parce que le concept de “nation”, en tant que vertu structurante, est au cœur de la crise du monde – et ce “monde” justement, les affaires du monde, marquées dans la mémoire du même Villepin par le discours de février 2003 aux Nations Unies. Le lien est d’autant plus évident que, partout, éclate l’évidence de l’infamie que fut l’attaque de l’Irak par les bandits anglo-saxons pour lesquels Sarkozy, lui, ne peut s’empêcher d’avoir une tendresse.

Assez curieusement, en envisageant cette bataille qui aura lieu – qui n’aura pas lieu, qui sait et qu’importe puisque seule importe pour l’instant la réalité des tensions existantes que fait naître cette hypothèse – on en oublierait qu’il y aurait d’autres candidats, d’ici ou là, de gauche et d’ailleurs. La curiosité de la chose est qu’à côté d’une bataille Sarko-Villepin, parce que leur bataille mettrait nécessairement au premier plan les questions essentielles de la crise du monde, le reste fait dépassé, démodé, sans véritable intérêt.

Ne parlons pas politique, programmes, desseins cachés et arrière-pensées, par simple pitié pour le chroniqueur. Il est évident que des palanqués d’observateurs attentifs ont déjà dans leurs tiroirs autant de tonnes de dossiers pour vous démontrer l’infamie, le complot, la manœuvre, la manipulation de l’un ou de l’autre, de l’un et pas de l’autre, de l’un et de l’autre. Il est évident que d’innombrables péripéties nous attendent, à commencer par une bataille personnelle dont la férocité n’aura d’égale que l’intensité des sentiments hostiles qu’éprouvent les deux hommes l’un pour l’autre. Ce qui est en jeu également, comme tout ce qui concerne les choses d’une certaine importance dans la crise du monde, c’est une affaire de destin. C’est cela qui doit être l’objet de notre attention.

Nous ne croyons certainement pas à l’“homme providentiel”. Cela s’applique à Villepin comme à de Gaulle, comme à Guy Mollet ou à Edouard Balladur – comme à Sarko lui-même, puisque nous y sommes. Nous pensons plutôt qu’il existe un destin de l’Histoire qui, aujourd’hui, s’affirme avec des grondements terribles, avec une force inimaginable qui est à la mesure de la crise dont il est lui-même la matrice. La grandeur d’un homme qui prétend à la grandeur, c’est de saisir la force de ce destin de l’Histoire et de s’y couler, de s’y soumettre, en acceptant les orientations qu’offre ce destin – en dépit des sondages, des directives de la Commission européenne, de l’amitié bicentenaire entre la France et l’Amérique et des éditoriaux de Bernard-Henri Lévy. Quelques hommes en sont capables. De Gaulle fut l’un de ceux-là, jusqu’à oser affirmer qu’il était l’incarnation de la France, non par orgueil démesuré mais par humilité extraordinaire et paradoxale – l’homme s’effaçant derrière un destin qui lui est supérieur. Aujourd’hui, dans le fracas de la crise du monde, cette immense question rode partout. Disons simplement qu’une candidature Villepin, à cause du caractère et des traits divers du personnage, tout cela face à Sarko, permettrait au moins de réaliser que cette question, effectivement, est plus que jamais posée.

…Et puis, cela tomberait si bien. 2012, comme nous annonce le calendrier des Mayas, devrait être une année very sexy. Cette même année, deux hommes (Sarko et Obama) qui furent annoncés comme devant amener un changement profond seront confrontés à leur réélection. Ils sont déjà usés et fatigués. L’époque consomme vite.


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