Le cas polonais et la Russie

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Le cas polonais et la Russie

Nous revenons sur les déclarations, toujours aussi confuses, du président polonais Koromowski (voir par ailleurs, ce même 6 août 2012). Pour rappel, ces déclarations sont notamment rapportées par Novosti (le 4 août 2012), répétées ici.

«La Pologne doit développer son propre système de défense antimissile qui fasse partie du bouclier de l'Otan, quant à la participation au projet américain – c'est une “erreur politique”, a déclaré le président polonais Bronislaw Komorowski dans une interview au magazine Wrpost. “Nous devons posséder cet élément de défense. Il est absurde de dépenser d'énormes sommes d'argent pour le matériel militaire si ce dernier n'a pas protégé contre les attaques les plus typiques et les plus dangereuses – attaques aériennes et de missiles", a-t-il déclaré.

»Selon M. Komorowski, le système antimissile polonais devra faire partie du bouclier de l'Otan, quant à la participation aux projets américains, c'est “une grande erreur politique”. “En acceptant la proposition américaine, nous n'avons pas pris en compte le risque politique lié au changement de président. Nous avons payé un prix très élevé et ne devons pas répéter la même erreur”, a conclu le chef de l'Etat polonais.»

Cette fois, il s’agit de considérer ces déclarations en se tournant vers l’Est (et non plus vers l’Ouest, comme dans le précédent Bloc Notes). Il faut se référer, par exemple, à un récent événement, une visite du Premier ministre Medvedev à Kaliningrad pour examiner le déploiement des missiles sol-sol SS-26 Iskander ainsi que l’annonce du développement de nouvelles versions, améliorées. Ces missiles, d’une portée allant jusqu’à 500 kilomètres selon les versions, sont déployés en réponse (“en représailles”) politiques au déploiement des missiles du système BMDE (antimissiles), notamment et essentiellement en Pologne, pour la zone considérées. D’un point de vue opérationnel, militaire, ces systèmes, avec leur portée, constituent une menace directe contre la Pologne.

Les Polonais sont de plus en plus isolés dans leur perception de la tension en train de s’établir, de “s’empiler”, entre la Russie et le bloc BAO, au travers de diverses crises et points de tension dont certains sont éloignés de la zone européenne qui concerne la Pologne, – essentiellement, certes, la crise syrienne. Indirectement, pour leur cas et celui de l’Europe (surtout à l’Est), les Polonais sont très fortement affectés par la crise syrienne, et ils sont de ceux qui, dans l’UE, ne se montrent nullement satisfaits de la position maximaliste antirusse prise par le bloc BAO en l’occurrence. Ils le seront sans aucun doute bien plus directement si la crise syrienne s’aggrave encore et finit par interférer dans toutes les relations politiques et stratégiques entre le bloc BAO et la Russie. Il s’agit de l’idée, que nous avons déjà évoquée très précisément (voir le 5 mars 2012), où l’antagonisme Russie-BAO en Syrie ferait sentir ses effets sur la situation en Europe ; l’existence du dossier des antimissiles BMDE, sur lequel les Russes sont intransigeants, rendraient évident un élargissement de cette tension Russie-BAO à l’Europe (le dossier BMDE est un lien entre les deux zones de tension, puisque la Turquie, impliquée dans la crise syrienne ô combien, a elle-même accepté des bases du réseau antimissile sur son sol).

Les Polonais sont de plus en plus persuadés qu’ils ne peuvent et ne pourront en aucun cas compter sérieusement sur les Américains en cas de tension et de menace de heurts, entre l’OTAN (le bloc BAO) et la Russie, – donc qu’ils ne pourront pas vraiment compter sur l’OTAN en tant que telle, puisque l’OTAN et les USA c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Ils retrouvent leur isolement historique face à la Russie, observant d’autre part que l’Allemagne s’isole de plus en plus dans son rôle autoproclamé de tutrice de l’Europe, qui implique le désintérêt pour les nations en tant que telles et de bonnes relations directes avec la Russie, passant “par-dessus” la Pologne et ne lui donnant aucune garantie sérieuse de sécurité ; observant d’autre part, encore, la France plongée dans un magmas stratégique sans la moindre signification, qui barbote dans une diplomatie châtrée de toute disposition d’indépendance et de souveraineté, qui a perdu toute légitimité pour envisager d’avoir quelque poids stratégique et politique que ce soit dans la situation européenne… (Inutile de rien dire du Royaume-Uni, affaibli jusqu'à l'os et plus fourbe que jamais dans ses relations continentales.) Solitude polonaise, donc.

On notera qu’en disant que la Pologne devait développer son propre réseau antimissiles, ce qui représente effectivement une absurdité logistique, technologique, etc., le président polonais a pris bien soin de ne pas désigner l’azimut (son Est ?) que ce réseau devrait défendre, mais bien la Pologne elle-même. Il s’agit d’une définition très franco-gaullienne, du temps où la France existait, avec sa force de frappe tous azimuts des années 1960. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un message stratégique et militaire de la Pologne à la Russie, puisque ces considérations sont absurdes par rapport aux capacités polonaises dans le domaine, mais d’un message politique de la Pologne à la Russie. La Pologne se juge certes de plus en plus isolée mais elle a évolué concernant la position de la Russie et n’a plus ce réflexe d’hostilité et de crainte viscérales vis-à-vis de la puissance voisine. (Voir le 19 avril 2010.)

Il ne faut donc pas considérer l’intervention du président polonais sur les plans opérationnel, militaire et stratégique, mais sur un plan politique témoignant d’abord et avant tout d’une évolution psychologique remarquable. Cette évolution peut accélérer, selon l’évolution elle-même très rapide des crises, et l’évolution de plus en plus accentuée des constats qu’on peut faire sur la position des USA, celle de l’OTAN, la situation en Europe, etc., selon les observations qu’on a développées ci-dessus. Si de graves tensions devaient avoir lieu en Europe, toujours dans le contexte général de l’absurde politique marquée d’affectivité du bloc BAO, et avec le formidable relais entre les crises que constitue le dossier des antimissiles BMDE, on pourrait retrouver la Pologne, vis-à-vis de la Russie, dans une position bien différente de celle de l’OTAN et des autres “amis” du bloc BAO.


Mis en ligne le 6 août 2012 à 08H26

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