La singulière position de la Turquie

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La singulière position de la Turquie

Après tout, la Turquie est proche des épicentres de violence et de déstabilisation: proche de l’Irak, proche de l’Iran, pas si loin de la Géorgie et de la Russie… Proche des Etats-Unis, par le portefeuille sinon par le cœur et, après tout, membre de l’OTAN autant que candidate controversée à l’entrée dans l’UE. Pour compléter ce tableau objectif plein d’ambiguïté, il y a la position de la Turquie durant cette crise de la Géorgie.

• Le 13 août, alors que la crise russo-géorgienne entrait dans sa phase d’élargissement, le Premier ministre Erdogan était en visite à Moscou et prodiguait à la direction russe des paroles de solidarité. Selon Novosti du 13 août:

«M.Erdogan a dit que son pays était solidaire de la Russie dans la situation autour de l'Ossétie du Sud, alors que M.Medvedev a estimé que “les pays aussi proches que la Russie et la Turquie” devaient “faire le point de leurs relations en cas de problèmes”. “Malheureusement, il y a assez de problèmes, notamment la récente agression géorgienne contre l'Ossétie du Sud”, a ajouté le président russe.»

• Le 14 août, il apparaissait que l’annonce, faite le 11 août par Bush, de l’arrivée d’unités de l’U.S. Navy en Mer Noire était pour le moins prématurée. L’article de McClatchy Newspapers référencé décrit une situation assez confuse, où les Américains semblent avoir des difficultés à bien comprendre la situation, et où les Turcs s’appuient sur la Convention de Montreux réglementant le passage de navires de guerre par le Bosphore pour tenir en suspens ce qui semblerait être une demande US pour un passage dans les détroits. Ce passage de l’analyse de McClatchy Newspapers paraît révélatrice de l’état d’esprit des Turcs: «U.S. officials said the Turks hadn't cleared U.S. naval vessels to transit the Bosporus and the Dardanelles. “The Turks haven't been helpful,” said a State Department official. “They are being sluggish and unresponsive.”»

• Le 16 août, le nouveau président turc, l’ancien Premier ministre et ancien ministre des affaires étrangères Abdullah Gül, donnait une interview assez remarquable au Guardian, – sa première interview à un journal étranger depuis son accession à la présidence le 28 août 2007. Cette initiative n’est pas un hasard, du point de vue de la direction turque. Si Gül parle essentiellement de la candidature de la Turquie à l’UE, il dit aussi quelques mots qui ne sont pas sans intérêt sur la situation du monde avec et après la crise russo-géorgienne et sur l’Iran (il allait rencontrer le Président iranien en visite en Turquie peu après son interview).

«Days after Russia scored a stunning geopolitical victory in the Caucasus, President Abdullah Gül of Turkey said he saw a new multipolar world emerging from the wreckage of war. The conflict in Georgia, Gül asserted, showed that the United States could no longer shape global politics on its own, and should begin sharing power with other countries.

»“I don't think you can control all the world from one centre,” Gül told the Guardian. “There are big nations. There are huge populations. There is unbelievable economic development in some parts of the world. So what we have to do is, instead of unilateral actions, act all together, make common decisions and have consultations with the world. A new world order, if I can say it, should emerge.”

»Gül, relaxing in a hotel suite with a spectacular view of the glistening Bosphorus, spoke just hours before meeting with the visiting president of Iran, Mahmoud Ahmadinejad.

»He rejected the idea, promoted by the United States and Israel, that the best way to deal with Iran was to isolate, sanction and punish it. “There are so many important issues, like the nuclear issue, Iraq, the Caucasus, Afghanistan,” he said. “Iran is definitely having some influence of these issues, so we are talking.” Gül said Iran had a right to develop nuclear energy but not nuclear weapons. “We don't want to see weapons of mass destruction in this region,” he said. “If it's in our neighbourhood, we definitely don't want to see it.”

»Asked about the possibility of an American attack on Iran, Gül replied: “I don't want to think about that. Everybody should take a lesson from what happened in Iraq,” he said. “Diplomatic solutions are always better than hard solutions.”»

L’appréciation de Gür sur la crise russo-géorgienne est intéressante parce qu’elle constitue l’une des premières appréciations globales des conséquences de cette crise, d'un dirigeant politique de ce niveau de responsabilité. Venant du président d’un pays qui a toujours été considéré comme un allié stratégique central des USA dans la région du Moyen-Orient, cette appréciation est, plus encore qu’intéressante, remarquable. Elle tend à entériner ce qui devrait être désormais considéré comme une défaite politique globale de la politique américaniste qui conduit les affaires du monde surtout depuis 9/11, et comme un tournant dans l’évolution politique générale. Les déclarations du président Gür marquent combien la Turquie, avec la position-clef rappelée plus haut, a l’intention de jouer un rôle d’importance dans “le nouvel ordre mondial” qu’il évoque dans l’interview. La Turquie est certes dans l’OTAN (pour rajouter un peu de sel à la circonstance) mais elle a, avant beaucoup d’autres, un pied dans ce qu’elle juge être une nouvelle époque.

 

Mis en ligne le 18 août 2008 à 12H55