La Hongrie face à Pravy Sektor

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La Hongrie face à Pravy Sektor

Depuis plus de deux semaines avec une intensité paroxystique, l’agitation est grande en Ukraine-Kiev, notamment et essentiellement entre l’establishment oligarchique dirigeant le pays et la fraction d’extrême-droite/néonazie (essentiellement Pravy Sektor) qui constitue (constituait ?) une des forces importantes du nouveau “régime”. D’une certaine façon, cette évolution est logique dans la mesure où la situation entre Kiev et les séparatistes de l’Est tend à se stabiliser de facto, avec le Donbass s’installant dans une partition de fait plus ou moins acceptée par Kiev qui n’a d’autre option pour l’instant, et qui aura sans doute de moins en moins “d’autre option”. Bien évidemment, les deux tendances (stabilisation à l’Est, fragmentation et agitation en Ukraine-Kiev) se nourrissent l’une l’autre puisque la situation interne de l’Ukraine-Kiev va vers l‘affaiblissement de ce qui prétend représenter l’autorité, sans qu’on sache laquelle de ces tendances a engendré l’autre, et même s’il n’y a pas là simplement l’effet normal du désordre qui caractérise de plus en plus la situation. On ajoutera le désintérêt grandissant du bloc BAO pour la situation ukrainienne, en même temps que la reconnaissance de la présence d’une forte composante néo-nazie par la communication-BAO, impliquant que la narrative-BAO à propos de l’Ukraine est obligée de froncer les sourcils et de prendre quelque distance.

L’agitation de Pravy Sektor a pris ces deux dernières semaines un tour plus vif, si bien qu’on a commencé à relever des rumeurs de coup de force, de tentatives de putsch, etc. Il semble pourtant que Pravy Sektor, même s’il s’agit d’une force importante, ne soit pas assez organisé pour cela, et même tende de plus en plus à être désorganisé. Sur FortRuss, JJ Hawk observe le 19 juillet 2015, à propos de menaces sans effet et de rassemblements ratés de Pravy Sektor (désigné Right Sector, ou RS) :

«The Right Sector appears to be in a downward spiral. [...] Now, collectively, the volunteer formations do represent a significant force. They are also one of the most important pillars of the regime, which is why even the wayward RS tends to be treated with kid gloves (the Transcarpathia operations are aimed at RS “bad apples”, as if the barrel itself was full of wholesome ones). But they are internally divided. No single leaders controls all of them. Biletsky's power is limited to Azov, Yarosh's to the RS, and then there are 40 or so individual battalion fiefdoms with the respect to which Kiev is pursuing a pretty effective campaign of “divide and rule” simply by designating certain areas of criminal activity off which these battalions may profit. [...] And the eagerness with which National Guard volunteer battalions moved into Transcarpathia suggests they are there to carry out a “corporate take-over” of RS smuggling operations. How long can Kiev count on the loyalty of the volunteer battalions? For as long as there are spoils it can deliver, even at the expense of Ukraine's own population. But not a minute longer.»

Comme l’on voit, Hawk nous dit que pour “diviser (Pravy Sektor) et régner”, Kiev a assigné aux divers bataillons des zones à l’Ouest du pays, notamment pour lutter contre la contrebande et le crime organisé. On retiendra ce “lutter contre” pour la suite, pour passer aux suites des incidents de Moukatchevo du 11 juillet, dans une région de l’Ouest proche de la Hongrie, et leurs conséquences sur la minorité hongroise. Cela conduit à une réaction officielle hongroise que détaille Sputnik-français le 19 juillet 2015.

«Budapest suit attentivement l'évolution de la situation dans la région ukrainienne de Transcarpatie frontalière avec la Hongrie, a déclaré le chef du cabinet du premier ministre hongrois Janos Lazar. Selon le responsable, la Hongrie est disposée à accueillir ses ressortissants résidant en Transcarpatie si la situation s'aggrave davantage à Moukatchevo, théâtre de confrontation entre les autorités locales et les ultranationalistes de Pravy Sektor (Secteur droit). “Si les Hongrois se voient persécutés en Transcarpatie et s'ils sont contraints de fuir, nous les aiderons et les accueillerons tous”, a promis M.Lazar.

»... Budapest développe actuellement des programmes de soutien adressés aux Hongrois ukrainiens. [...L]es médias ont rapporté que la Hongrie avait renforcé la protection de sa frontière ukrainienne suite aux affrontements meurtriers à Moukatchevo.

»Le 11 juillet dernier, des militants de Pravy Sektor ont provoqué un échange de tirs avec les policiers et gardes du corps d'un député à Moukatchevo, non loin de la frontière avec la Hongrie et la Slovaquie. Selon le parquet local, la fusillade a fait trois morts et 11 blessés. Pravy Sektor a expliqué ses actions par la lutte contre la contrebande. Le parquet a qualifié la fusillade d'attentat terroriste. Kiev a réagi à l'incident en lançant une opération spéciale contre les combattants de Pravy Sektor dans la région. Le groupe nationaliste a ensuite organisé des actions de protestation dans plusieurs villes ukrainiennes dont Kiev, Lvov, Ivano-Frankovsk, Kharkov, Dniepropetrovsk et Tchernovtsy.»

En réunissant tous ces éléments, on observe l’évolution vers une situation nouvelle qui peut être tendue sinon confrontationnelle et explosive, et qui menace d’affecter directement désormais le “territoire de l’UE”. On a ici le cas hongrois mais des situations similaires peuvent se développer avec la Pologne ou avec la Slovaquie, ou encore la Roumanie. En fait, moins que le cas d’une pression ou d’une agression directe contre une communauté (ici la communauté d’origine hongroise), il s’agit bien du développement d’un désordre caractéristique de notre époque.

Envoyée ici et là par Kiev pour “lutter contre” la contrebande et le crime organisée dans l’Ouest du pays (et ainsi perdre leur caractère menaçant contre Kiev), l’organisation Pravy Sektor se morcelle certes, mais surtout se reconstitue en une nébuleuse d’un type nouveau : en fait d’affronter et d’éliminer le crime organisé, Pravy Sektor reprend à son compte le crime organisé et devient une nébuleuse qui garde sa puissance armée mais y ajoute désormais la disposition de puissants moyens financiers. Le niveau général des membres et des dirigeants de Pravy Sektor est connu, et il est primaire : brutalité, illégalité, conception politique primaire et déstructurée (néonazisme réduit au symbolisme et au fanatisme primaire, à la brutalité voire à la sauvagerie, mais sans organisation structurée ni reprise de la doctrine dans sa sophistication). Le passage au banditisme organisé est, pour Pravy Sektor mis dans ces nouvelles conditions, une pente évidente et fructueuse. Le résultat est d’abord cette fragmentation qui soulage les oligarques de Kiev, mais aussi un renforcement sous une forme nouvelle, très postmoderne, à l’image des groupes islamistes où la cohabitation dans leur constitution même du fanatisme brutal et primaire et de l’activité lucrative du crime organisé est complète. La réaction hongroise montre que cette évolution commence à avoir des effets politiques qui dépassent l’Ukraine, mais non plus vers l’Est et la Russie comme jusqu’à maintenant, mais vers l’Ouest et l’UE. L’Ukraine-Frankenstein créé par le bloc BAO, et essentiellement l’UE à l’origine, poursuit donc son développement. Les géopoliticiens, qui aiment à nous décrire les grands desseins et les Grands Jeux où ils plaçaient avec délice la crise ukrainienne, peuvent commencer à travailler sur une hypothèse exaltante : la possibilité du développement au cœur de l’Europe d’une sorte d'adaptation européenne du “modèle IS/Daesh”, fondé sur le néonazisme type-ukrainien comme l'autre sur l’islamisme car on n’abandonne pas une étiquette politique vous permettant de disposer d’un statut qui vous fait prendre au sérieux par les directions politiques en place.

L’extension continue du domaine du désordre se poursuit, comme son qualificatif l’indique, et il faut admirer la multitude de voies d’infiltration, d’influence, de pression, de transformation, qu’il (le désordre) suit pour s’imposer. Désormais, l’UE, dont la situation intérieure est si parfaitement catastrophique “dans l’ordre du désordre”, peut envisager de compléter cette réalisation par l’élément extérieur directement déstabilisant. Quant à la Hongrie, on comprend que, dans ces circonstances, le rapprochement avec la Russie puisse devenir la priorité n°1 de sa politique. La Russie est effectivement “isolée” aujourd’hui, mais elle l’est parce qu’elle tend à devenir le seul élément stable du continent européen, – notamment par dissolution accélérée du reste dans le désordre.


Mis en ligne le 20 juillet 2015 à 06H22