La grande déroute du Massachusetts

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Au début de la courte campagne pour le remplacement de Ted Kennedy (décédé) au siège de sénateur du Massachusetts, la démocrate Martha Coakley menait contre le républicain Scott Brown avec 21% d’avance. Hier, Brown l’a emporté avec 52% des voix contre 47% à Coakley (1% à l’indépendant Kennedy).

Hier, alors que l’élection était encore en cours, Coakley, jugeant la défaite certaine, avait déjà entamé indirectement sa campagne d’explication de l’événement en faisant mettre en cause la Maison-Blanche et sa politique financière et économique. Huffington.post donnait, le 19 janvier 2009, un compte-rendu d’une interview d’une des stratèges de la campagne de Coakley, Celinda Lake, qui parlait sans aucun doute pour exprimer le sentiment de la candidate démocrate, et avec son accord, considérant la défaite certaine.

«The blame game is fully underway. A top pollster to Democratic Senate candidate Martha Coakley told HuffPost on Tuesday that the White House, in attempting to blame the Coakley campaign for a potential defeat today in Massachusetts, underestimates the wave of populist fury among Massachusetts voters.

»Pollster Celinda Lake said Coakley was hampered by the failure of the White House and Congress to confront Wall Street. That failure, she said, means that Democrats are being blamed by angry independent voters worried about the state of the economy. “If Scott Brown wins tonight he'll win because he became the change-oriented candidate. Voters are still voting for the change they voted for in 2008, but they want to see it. And right now they think they've got economic policies for Washington that are delivering more for banks than Main Street.”

»Asked about reported criticism from White House Chief of Staff Rahm Emanuel, Lake said she had seen the stories. “I think it's a circling squad to protect the White House. I don't think it's very useful,” she said, mixing a metaphor while getting across a clear message.

»Lake said that the problem for Democrats is that voters are blaming them for the nation's poor economic conditions. “2010 is fast turning out to be a blame election and I think that either we are going to characterize who deserves the blame – whether that's banks and lobbyists and people who still want to hold on to national Republican economic strategies – or we're going to get the blame. And that's a very different tone than, often, the administration is comfortable with,” she said.

»The feeling among voters, said Lake, is that Washington prioritizes Wall Street over Main Street and that, despite Coakley's credentials as a state attorney general who has taken on and beaten Wall Street banks, sending her to Washington would not make a difference. “On the eve of the election, Martha Coakley had a 21-point advantage over Scott Brown on who would fight Wall Street and deliver for Main Street. But it didn't predict to the vote, because voters thought, even if they sent her down here that it wouldn't happen. ‘Fine, she had done it in Massachusetts, but no one was doing it in Washington,’” Lake said. “Voters are voting for change and we have to go back to that change message. And we have to deliver on change, especially an economic policy that serves working people."”

»Lake pointed to polling released by the Economic Policy Institute showing that 65 percent of Americans though the stimulus served banks interests, 56 percent thought it served corporations and only ten percent that it benefited them. “That is a formula for failure for the Democrats. We have to deliver on economic policies that take on Wall Street and we have to do it for five months, not just five days. We really have to deliver on the policies,” she said.»

Notre commentaire

@PAYANT On a vu (le 18 janvier 2009) l’importance que nous accordons à cette élection partielle. L’exceptionnel déplacement des intentions de vote (un quart de l’électorat) montre la non moins exceptionnelle sensibilité du public à l’argument électoral, durant la campagne, ce qui est un phénomène très inédit dans les habitudes électorales US. Le thème de l’administration agissant “aux ordres” de Wall Street est un thème à la fois évident et dévastateur, mesuré par ailleurs et par contraste par la situation économique et sociale que connaissent les électeurs US.

La puissance symbolique de l’élection partielle du Massachusetts est énorme. C’était “le siège” des Kennedy, quelque chose qui semblait inaltérable et reflétait l’orientation démocrate et libérale massive de l’Etat, quelque chose comme le cœur de l’implantation démocrate, libérale (politiquement, à tendance progressiste) et sociale aux USA. Cette orientation n’est certainement pas morte et la colère et la rancœur du public l'ont sans doute exprimée, mais cette fois contre les démocrates; colère et rancoeur ont pris le dessus, démontrant ainsi parfaitement que ces sentiments de révolte transcendent largement la classification partisane – ce qui est un autre phénomène important, et très inhabituel aux USA. On a également dit l’importance que nous accordons au mouvement Tea Party, dans cette élection d’une façon indirecte, mais aux USA d’une façon directe, parce qu’il constitue un signe très puissant de la colère de l’électorat US. L’élection du Massachusetts montre que Tea Party et ce qu’il représente ne doivent pas être enfermés et jugés selon des termes partisans. La vocation de ce mouvement populaire est désormais de s’étendre vers la gauche, sous une forme ou l’autre, sans qu’il faille nécessairement parler d’une extension ou d’une transformation de Tea Party, avec la possibilité de mouvements similaires sous une autre étiquette, etc. De ce point de vue, la situation est ouverte.

Une nouvelle période s’ouvre pour l’administration Obama. En quelque sorte, le vote du Massachusetts est le moment où Obama commence à récolter ce qu’il a semé durant l’année 2009, avec une politique chaotique, “hésitante”, déléguée à d’autres (son équipe économico-financière complètement acquise à Wall Street), etc. (Voir notre Bloc-Notes du 19 janvier 2010.) Désormais, Obama est réellement sur la défensive au niveau intérieur. Cela vaut pour l’immédiat, avec l’incertitude nouvelle concernant sa loi sur les soins de santé qui semblait acquise, qui pourrait être remise en question, à propos de laquelle on va voir des manœuvres frénétiques des démocrates pour la faire voter tout de même et tout de suite, le résultat étant de toutes les façons une rancœur renouvelée tant cette loi telle qu’elle est ne satisfait personne, et surtout pas l’électeur démocrate. Cela vaut, cette défensive, pour le terme moyen, pour les prochains mois; désormais existe la possibilité sérieuse d’une défaite des démocrates en novembre 2010, qui serait catastrophique pour le fonctionnement du pouvoir en conduisant à une quasi paralysie ce qui est déjà une situation marquée par un affrontement partisan féroce et stérile.

Il y a aussi la possibilité d’un divorce de plus en plus évident entre les élus démocrates et l’administration. Les mots sévères de Celinda Lake montrent que les candidats n’entendent pas accepter la version standard de l’administration selon laquelle ils sont responsables de leurs propres échecs. La réaction probable est effectivement une bataille à l’intérieur du parti, entre les parlementaires et l’administration, à moins qu’Obama ne change radicalement de politique (ce qui passerait nécessairement par le départ de l’un ou l’autre membre de son équipe économico-financière, Geithner ou/et Summers) – avec, dans ce cas, une réaction de Wall Street – enchaînement sans fin, comme on le voit, de réactions antagonistes en réactions antagonistes, à propos d’une politique indécise, incertaine, qui ne satisfait personne dans le champ électoral.

Dans ce paysage bouleversé, qui va encore accroître la crise du pouvoir à Washington, le facteur Tea Party et ce qu’il représente au niveau de la réaction populaire joueront un rôle déterminant. Là aussi, tout n’est pas simple, puisqu’on sait combien ce mouvement est agité de réactions très fortes contre le parti républicain qui voudrait se l’annexer. Hier, dans le Washington Times du 19 janvier 2010, l’ancien Speaker de la Chambre, Newt Gingrich, reconnaissant l’importance pour le parti républicain de Tea Party, l’enjeu colossal que représente ce mouvement, deuxième dans les sondages juste derrière les démocrates et devant les républicains, et la nécessité pour les républicains de “l’absorber”. («It's important for Republicans to recognize they can only be a majority if they find a way to absorb the Tea Party movement and absorb the anger against Washington and against big government. That's the only way the Republicans can prosper in the next few years.») Là aussi, il y aura de la bagarre, parce que Tea Party n’a aucune intention de se laisser “absorber”.

L’année 2010 est celle de l’incertitude, aux USA, dans les urnes comme dans la rue. Désormais, l’instabilité est la caractéristique de la Grande République, qui est toute entière bâtie sur le pari d’une stabilité de fer tenue par l’encadrement du “parti unique” avec ses deux ailes démocrate et républicaine.


Mis en ligne le 20 janvier 2010 à 06H47