La France et sa patate chaude et libyenne

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Il y a le brouhaha médiatique et virtualiste courant mis en musique par le “parti des salonnards” à Paris, qui continue à faire dire aux éditorialistes et commentateurs hébétés de la presse-Système et apparentée que l’affaire libyenne est une “guerre juste”, et donc une chose bonne et vertueuse. On entend encore le propos, dans tel ou tel débat télévisé, répété comme pour un sermon grand comme une civilisation. (Nous pensons à telle émission de notre favorissime Grand Journal, il y a une toute petite décade encore, où trois chroniqueurs du concert parisien, un du Point, un de RTL, un de Marianne, s’arrêtant net dans le cours d’une discussion polémique pour émettre à l’unisson, rangs soudain reconstitués, cette rente intellectuelle du catéchisme également parisien : “Mais il faut reconnaître à BHL qu’il a eu le mérite de lancer cette intervention”, – ils parlaient de la “guerre juste” en Libye, et l’un ou l’autre dut répéter l’expression. Puis la discussion-polémique, sur l’âge du capitaine, ou bien est-ce la question délicate d’une gifle d’un maire PS à un “jeune” dans une ville de province française, reprit sa vitesse de croisière.)

…Ce qui nous conduit à pousser un peu plus dans le sens de cette question : que pense la France de son aventure libyenne ? Nous parlons ici de milieux moins bruyants mais pas moins informés pour autant, et d’ailleurs pas moins officiels bien que discrets. Nous nous arrêtons aux officines plus discrètes des appareils diplomatiques et de sécurité nationale de cette nation française, qui produisent des documents et autres continuant à figurer, aux dernières nouvelles, au rang des analyses stratégiques au même titre, – il s’agit d’oser l’écrire, – que les bulletins officiels de la chose que constituent les articles périodiques du généralissime BHL dans Le Monde.

Les analyses officielles (mais gardées à l’abri des regards indiscrets) sur la situation libyenne et ses perspectives sont marquées par un pessimisme grinçant et désolé. Nous songeons ainsi à tel ou tel document qui communique le son de cloche de “la communauté de sécurité nationale” française officielle, sans l’imprimatur de BHL. On y apprend que la situation est considérée comme ayant atteint un point de blocage, avec la coalition qui arrive, du point de vue militaire, au bout de ses moyens et voit le rendement opérationnel de ses forces tendre vers zéro, tandis que l’entreprise diplomatique atteint elle aussi ses limites, cela au profit d’un Kadhafi qui a repris l’initiative ; tandis que les autres manœuvres internationales pour un règlement sont le fait d’acteurs extérieurs (Russie, Turquie) qui jouent leur jeu après avoir signifié leur désaccord avec l’initiative d’intervention. La situation est donc définie par ce double blocage : limites proches d’être atteintes de l’action militaire, possibilité que les effets de cette action soient manipulés par les autres acteurs (anti-Kadhafi et Kadhafi, et des extérieurs) puisque la situation politique n’a pas évolué.

Les experts français retrouvent cette vérité que Kadhafi est partie intégrante du système en place en Libye, au contraire de Ben Ali et de Moubarak qui n’en étaient que des héritiers qu’on pouvait écarter sans trop de dégâts. Cela implique que, même si Kadhafi était renversé comme le souhaitent les inspirateurs de cette aventure, l’effet serait un désordre considérable qui enfanterait une situation éventuellement pire que celle que nous avons, et pire encore que celle que nous avions, Kadhafi regnante… Ainsi, la seule issue favorable envisagée serait la disparition ou un départ en douceur de Kadhafi, presque contrôlé par lui-même, permettant presque avec son concours l’organisation de la suite. C’est une des cinq options considérées, les quatre autres étant :

• l’effondrement avec l’élimination brutale de Kadhafi, dont on a dit un mot plus haut ;

• la reprise progressive du terrain par Kadhafi, conduisant à une victoire et à une restauration du statu quo ;

• la victoire progressive des anti-Kadhafi, menant à un moment ou l’autre à une dissolution des forces de Kadhafi (l’élimination de Kadhafi s’ensuivant mais ne constituant pas le facteur central qui donnerait son orientation à la situation) ;

• la partition de facto, sinon de jure du pays, au bout d’un certain temps.

…Dans tous ces cas de figure, la prévision amère est celle d’une situation incontrôlable, confuse, ouvrant sur l’inconnu, avec des risques de déstabilisation des régions environnantes, y compris la possibilité de mise en péril grave des processus qu’on espère de libéralisation en cours en Tunisie et en Egypte. Dans tous ces cas, il s’agit sans aucun doute, selon ces analyses, d’une défaite politique pour la coalition (dito, pour la France, et comment), – un solde net, stratégique, diplomatique, voire humanitaire, profondément défavorable, avec les effets qu’on imagine pour la réputation ert l’influence françaises. On ajoutera que cette sorte de document à laquelle nous nous référons est farcie de notation suspicieuse à l’encontre des anti-Kadhafi, considérés comme divisés, incertains, soumis à des pressions et à des influences suspectes, etc.

Finalement, se demandent ces braves esprits des experts anonymes, que faudrait-il faire ? D’une part, pousser les anti-Kadhafi de base, les “Massoud de Libye” selon BHL (le CNT), à devenir un peut moins guerriers et un peu plus consensuels, en adressant des exhortations à l’union à l’ensemble des Libyens ; d’autre part, pousser ceux des Libyens qui n’ont plus d’intérêt à voir Kadhafi rester à se rassembler autour du CNT… Il s’agit donc de réinventer la roue en espérant que Kadhafi veuille bien contribuer à déblayer la route de toute la pierraille qui l’encombre. Pour le reste, il serait essentiel, car la France se sent un peu seule entre ses divers alliés naturels (UK, OTAN, USA, etc.) dont on connaît le zèle et la bienveillance, d’attirer l’UA (Union Africaine) et surtout l’ONU à s’impliquer un peu plus dans la situation. Il serait bon pour la France de disposer d’un peu de l’ombre rafraîchissante d’une légitimité onusienne renouvelée, de façon à ce qu’elle puisse transférer la patate chaude à qui de droit (dito l'ONU, cela va sans dire).

Bien entendu, ces pensées, que BHL ne manquerait pas de qualifier, d’un ton sec de sa chevelure grise, de munichoises, ont assez peu de chance d’inspirer la tête unique et pensante du Palais de l’Elysée. Il s’agit simplement du reflet des pensées qui parcourent les rangs désolés des agents de l’Etat chargés des questions de sécurité nationale.


Mis en ligne le 30 avril 2011 à 12H08

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