La flotte dans le Golfe et la “psychologie de nasse”

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La flotte dans le Golfe et la “psychologie de nasse”

C’est un exercice multidimensionnel : il s’agit à la fois de la réalisation d’une situation stratégique évidente (la situation de la flotte US dans le Golfe Persique), et de la diffusion instantanée de l’analyse venue d’une source. Cet exercice montrant d’abord l’incontrôlabilité de la communication et la négligence stratégique découvre plusieurs évidences, sur la situation stratégique et sur sa dépendance de la puissance du système de la communication.

Au départ, il y a cet article du Washington Post (WP) daté du 27 juillet 2012, mais mis en ligne dès le 26 juillet (comme c’est la coutume avec les sites de la presse-Système, surtout aux USA). L’article est instantanément repris sur divers sites, souvent sous une forme édulcorée, abrégée, etc., avec citation du Washington Post ou pas, de toutes les façons d’une façon sous une forme incertaine qui empêche de conclure si le texte présenté est une reprise intégrale de l’article, une reprise d’extraits de l’article, une présentation originale de l’article avec d’éventuelles citations, un texte complètement différent… (Par exemple, YNetNews.com le 27 juillet 2012, Teheran Times le 27 juillet 2012, TVPress.com le 27 juillet 2012.)

La perception est alors d’une série d’articles différents, créant, par cet aspect quantitatif, l’impression d’une véritable alarme reflétant éventuellement le sentiment général du Pentagone, mais, surtout, installant la perception d’une situation dangereuse, – bouclant ainsi la boucle, d’une perception l’autre.

Au reste, l’article du WP développe divers aspects de la situation dans le Golfe, axés sur deux points : la concentration dangereuse de la flotte US dans ce qui est une “nasse” navale évidente, avec le Golfe fermé par l’étroit passage du détroit d’Ormouz ; la reprise et le développement de divers rapports et évaluations, notamment du Pentagone, sur l’amélioration des capacités iraniennes dans une guerre navale, caractérisée par une grande variété de moyens extrêmement diversifiés et la recherche d’engagement asymétriques et réalisés dans un désordre volontaire, notamment pour ce qui est des axes d’attaque. (La phrase de l’article décrivant la flotte comme faisant face à “une menace venue des 360°” est marquante pour les esprits, même si elle est sommaire, et elle est souvent mise en exergue comme parfaitement symbolique du cul-de-sac stratégique que représente l’actuelle situation de l’US Navy dans le Golfe.)

«The likelihood that Iran would risk an all-out attack on a vastly superior U.S. fleet is judged to be small. But Iranian leaders could decide to launch a limited strike if Israel or the United States bombed the country’s nuclear facilities. Analysts also cautioned that a conflict could be sparked by an Iranian attempt to close the Strait of Hormuz — the narrow passage through which about 20 percent of the world’s oil passes from the Persian Gulf into open seas — in retaliation for international economic sanctions.

»In either scenario, Iran’s ability to inflict significant damage is substantially greater than it was a decade ago. A Pentagon study in April warned that Iran had made gains in the “lethality and effectiveness” of its arsenal. The Pentagon declined to comment for this article. Iran’s increased power to retaliate has led some military experts to questsion the wisdom of deploying aircraft carriers and other expensive warships to the gulf if a conflict appears imminent… […]

»…Iran has added defensive and offensive capabilities. Some of them have been on display in recent months in a succession of military drills, including a missile exercise in early July dubbed Great Prophet 7. The exercise included a demonstration of Iran’s newly deployed Khalid Farzh anti-ship missile, which has an internal guidance system, a powerful 1,400-pound warhead and a range of 180 miles. Iran’s arsenal already included a variety of anti-ship missiles such as the Chinese-made Silkworm. More recently, Iran has boasted of progress in developing high-speed torpedoes based on Russian designs. Such claims are often exaggerated, but the April Pentagon assessment noted that Iran’s arsenal now includes ballistic missiles with “seekers” that enable them to maneuver toward ships during flight.

»Modern U.S. warships are equipped with multiple defense systems, such as the ship-based Aegis missile shield. But Iran has sought to neutralize the U.S. technological advantage by honing an ability to strike from multiple directions at once. The emerging strategy relies not only on mobile missile launchers but also on new mini-submarines, helicopters and hundreds of heavily armed small boats known as fast-attack craft. These highly maneuverable small boats, some barely as long as a subway car, have become a cornerstone of Iran’s strategy for defending the gulf against a much larger adversary. The vessels can rapidly deploy Iran’s estimated 2,000 anti-ship mines or mass in groups to strike large warships from multiple sides at once, like a cloud of wasps attacking much larger prey.

»A Middle Eastern intelligence official who helps coordinate strategy for the gulf with U.S. counterparts said some Navy ships could find themselves in a “360-degree threat environment,” simultaneously in the cross hairs of adversaries on land, in the air, at sea and even underwater. “This is the scenario that is giving people nightmares,” said the official, who spoke on the condition of anonymity in discussing strategy for defending against a possible Iranian attack.»

L’article cite le capitaine de corvette Colin Boynton, de l’U.S. Navy, examinant en 2009, au Naval War College, le déploiement stratégique de la flotte. «If the U.S. chooses to station warships in the Strait of Hormuz during the buildup to conflict, it cedes the decision of when to fight and allows the fight to begin in the most advantageous place for Iran. This could lead to a devastating first salvo on U.S. Navy warships, which would most likely be operating under restrictive rules of engagement.» La réponse à cette préoccupation évidemment justifiée est donnée à la fin de l’article du WP, par un anonyme Middle Eastern intelligence official, dont nul ne doit douter de l’existence, dont la conclusion vient à point pour résumer d’une façon expressive beaucoup d’avis ampoulés et d’analyses complexes aboutissant effectivement à une situation relativement simple telle qu’exprimée ici, sous forme d’une alternative dont aucun des termes n’est satisfaisant, plutôt une situation de type lose-lose que de type win-win... «It is a dilemma. When the Navy ships are in the strait, they are vulnerable to attack. But if you were to take them away, the gulf countries would feel more vulnerable. And already they feel very, very vulnerable.»

…Bien entendu, l’utilisation par nous du mot “nasse”, notamment dans le titre, rappelle à dessein notre F&C du 23 juillet 2012Voyage au bout de la nasse»). Dans le même article, nous rappelions (voir notre texte du 4 janvier 2012) que, dès la période décembre 2011-janvier 2012, à l’occasion de l’entrée en vigueur de l’embargo contre le pétrole iranien (donc sur une initiative du bloc BAO), un “renversement stratégique” avait eu lieu, installant l’Iran à la fonction de manipulateur de la situation stratégique de la zone, à la place du bloc BAO. On jugera de l’habileté du bloc : un embargo qui, depuis, a montré ses multiples facettes, dont nombre sont contre-productives, contre la perte de la maîtrise stratégique. Il y ajoute désormais, le bloc BAO, la protection des “amis” (Arabie, Qatar), dont la zèle aventuriste et déstructurant (en Syrie) est payé d’une trouille absolument indescriptible, notamment dans le chef absolument chamarré des innombrables princes-cheikhs d’Arabie, déchirés entre leur zèle salafiste et leurs comptes en banques dans les îles Caymans. On admettra que les facteurs qui déterminent cette stratégie ont de quoi faire rugir de fureur tout amiral normalement constitué.

Encore n’apparaît-il pas, dans ces diverses considérations, la connexion, qui nous paraît tout aussi évidente, entre la situation de la flotte et la crise syrienne expressément liée à la crise iranienne, avec l’engagement irakien par-dessus le marché. Il semble qu’il n’y ait pas encore un seul esprit stratégique, dans le sérail du Système, aux USA et en Europe, qui ait réalisé qu’il ne serait pas inutile de développer une connexion entre d'une part la crise syrienne et ses propres ramifications, d'autre part la crise du Golfe et la crise iranienne avec leurs propres ramifications, pour vérifier si ces diverses ramifications de ces diverses crises ne s’avèrent pas, dans nombre de cas, être les mêmes, ce qui impliquerait un mécanisme stratégique liant toutes ces crises. Pour ce qui concerne notre sujet, cela chargerait d’encore plus d’incertitudes la flotte US dans le Golfe, en ajoutant aux 360° opérationnels, les 360° du harcèlement politique et du bruit continuel de la communication et de ses gesticulations.

Un autre aspect de cette agitation de la communication, par ses alarmes soudaines autant que par ses oublis considérables et significatifs, c’est de faire dépendre cette situation stratégique qu’on juge si fragile, si vulnérable et si peu avisée, de considérations qui n’ont rien à voir avec la stratégie. Il s’agit alors du facteur que nous nommerions, avec le goût de la litote, le facteur de “la psychologie de nasse” : comment y entrer et n’en pas pouvoir sortir. Cet empilement de puissance navale US dans le Golfe et alentour, répondant à ce qui est nécessairement perçu comme un défi de l’Iran (peut-on imaginer autre chose de la part de l’Iran ?), mis en place pour affirmer la prépondérance US, ne peut être réduit significativement, – si l’un des avisés dirigeants politiques du bloc BAO s’avisait qu’il s’agit d’une nasse, – sans perdre irrémédiablement la face, c’est-à-dire la grande bataille de la communication dont notre époque a fait le facteur prépondérant de toute stratégie. A propos d’un précédent, le renforcement de l’empilement US dans le Golfe par l’arrivée du USS Ponce spécialisé dans la lutte anti-mines, Walter Russell Mead observait, dans The American Interest, le 12 juillet 2012 : «This latest deployment, as well as last week’s report of a steadily increasing U.S. military presence, may have unintended consequences for U.S. policy. Every step forward makes it more difficult for the Obama administration to back down. There’s not a lot of news in the very slow running contest between the United States and Iran, but the fuse on this bomb is lit, and at some point either Iran is going to back down, the United States is going to back down, or there is going to be war.»


Mis en ligne le 28 juillet 2012 à 13H49