La crise iranienne de plus en plus intégrée dans la crise générale

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Parallèlement à sa posture militaire affirmée dans le Golfe au nom de l’esprit de la souveraineté régionale, l’Iran travaille beaucoup en ce moment à rassembler le plus possible de réaffirmations de liens amicaux avec d’autres pays, d’une façon directe ou indirecte. Il s’agit d’une offensive diplomatique ou autre, mais qui se situe essentiellement au sein du système de la communication qui est sans aucun doute le champ privilégié de l’“action”, aujourd’hui dans la crise iranienne. Il est évident que les interventions des uns et des autres dans cette période de grande tension constituent des actes politiques, toujours dans le champ du système de la communication.

• Il nous semble que la position de la Turquie est à nouveau un point important, avec une réaffirmation sans ambigüité des liens entre ce pays et l’Iran. La semaine dernière, le ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoglu, l’homme le plus important du cabinet turc après Erdogan, était à Téhéran où il a eu diverses conversations pour réaffirmer les liens entre les deux pays. Samedi, Davutoglu a réaffirmé cette atmosphère amicale au cours d’une interview télévisée, en trouvant une formule-choc qui porte tout le crédit venu de ses conceptions d’universitaire et d’intellectuel du monde musulman : «Les liens entre l’Iran et la Turquie sont à leurs meilleurs niveaux depuis 400 ans». (Ci-dessous, selon PressTV.com, le 8 janvier 2012.)

«Turkish Foreign Minister Ahmet Davutoglu has emphasized that Iran-Turkey ties are at the highest level in the past 400 years. Davutoglu made the remarks in an interview with a Turkish TV network on Saturday. He hailed the maintenance of warm relations between Tehran and Ankara and called for further expansion of interactions between the two neighboring nations…»

• La Chine a officiellement une prise de position qui, selon la prudence coutumière de sa diplomatie, constitue un soutien officiel indirect à l’Iran. La Chine signale notamment qu’elle poursuivra normalement ses liens commerciaux avec l’Iran, notamment concernant la livraison du pétrole. (Sur PresTV.com, le 7 janvier 2012.)

«China has dismissed the new US sanction against Iran's oil sector, saying that the commercial ties with Iran are totally legitimate and should not be subject to any punishment. “China maintains normal and transparent energy and economic cooperation with Iran which does not violate UN Security Council resolutions and these interactions should not be affected,” Chinese Foreign Ministry spokesman Hong Lei told a daily news briefing on Thursday. “China opposes the placing of one's domestic law above international law and imposing unilateral sanctions on other countries,” he added.

»Hong went on to say that sanctions are not the correct approach to easing what the US calls tensions over Iran's nuclear program, adding that, “Dialogue and negotiation is the right way out.”»

• La Russie n’est indirectement pas en reste sur cette ligne, au travers d’une déclaration de l’ambassadeur d’Iran en Russie (PressTV.com, le 8 janvier 2012), annonçant que la Russie et l’Iran s’étaient mis d’accord, depuis un projet lancé dans ce sens en marge du sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai, en juin 2011, pour négocier et régler leurs échanges commerciaux dans leurs deux monnaies nationales (rial et rouble), au lieu du dollar. Cette annonce est clairement inscrite, par les Iraniens, comme une mesure commune du même esprit que les déclarations russes hostiles aux nouvelles sanctions décidées par les USA et les pays du bloc BAO (les Européens ayant enchaîné sur l’embargo pétrolier décidé par les USA, selon une ligne politique dont personne, dans les milieux européens, n’est capable d’en définir ni le sens profond, ni le but, ni la justification opérationnelle, – tout cela conformément aux normes de la politique européenne, – sans surprise, tout cela).

«Iranian Ambassador to Moscow Seyyed Reza Sajjadi […] said Tehran and Moscow switched to their national currencies in preference after the meeting between their presidents. Sajjadi also pointed to Russia' strong opposition to sanctions against Iran over its nuclear program, saying Russians have clearly announced that they will not accept fresh anti-Iran bids that target the country's Central Bank and financial institutions.»

• De son côté, l’Inde travaille activement, actuellement, pour mettre en place un dispositif financier qui lui permettra de payer ses importations de pétrole iranien en roupies plutôt qu’en dollar. (L’Iran est le deuxième fournisseur de pétrole de l’Inde après l’Arabie et reçoit chaque mois pour ce commerce l’équivalent d’un milliard de dollars.) Là encore, il s’agit d’une mesure qui, dans l’esprit autant que dans les actes, s’oppose aux sanctions contre l’Iran décidées par le bloc BAO. Le caractère technique de la décision a cette dimension politique, en plus, comme dans le cas russe, d’une décision commerciale et monétaire qui contribue à affaiblir le rôle du dollar et à rejeter son statut de monnaie internationale d’échange. (Dans PressTV.com, le 8 janvier 2011.)

«In the wake of the US decision to impose fresh sanctions against the Islamic Republic that would target its oil exports, India announces plans to pay for the Iranian crude it imports in rupees. A senior Indian government official, speaking on condition of anonymity, said the issue will be addressed when a multi- disciplinary team visits Tehran on January 16 to discuss uninterrupted supply from the major oil producer, the Press Trust of India reported on Sunday…»

• Il y a également le voyage d’Ahmadinejad en Amérique du Sud, auprès d’amis sûrs, évidemment vilipendés par les USA. Dans la même dépêche Russia Today du 8 janvier 2012, qui présente ce voyage, il y a des détails sur l’intention affichée de l’Iran de faire commerce de combustible nucléaire.

«Meanwhile, Iranian President Mahmoud Ahmadinejad has left for a five-day Latin America trip. It will take in Venezuela, Cuba, Ecuador and Nicaragua, countries which, “resist the oppression” of the United States and share “an anti-colonialist view,” he said just before flying out on Sunday, according to the country’s Fars news agency.

»Commenting on Ahmadinejad’s trip, the US State Department said that “as the regime feels increasing pressure, it is desperate for friends – and is flailing around in interesting places to find,” them.»

• Ce voyage d’Ahmadinejad est donc considéré par les USA, comme on le voit ci-dessus, avec une ironie méprisante. Il y a aussi une certaine générosité et un libéralisme d’esprit remarquables dans l’observation américaniste de la chose, puisque, comme le rapporte le Washington Times le 8 janvier 2011, les USA semblent autoriser le reste du monde à avoir des contacts diplomatiques avec l’Iran sans nécessairement provoquer une attaque de destruction massive et de punition des USA dans les 24 heures : «[O]ne State Department official telling The Washington Times that “merely hosting Iran in a diplomatic visit does not violate the sanctions regime.”»… Nous sommes rassurés de ce côté, mais la philosophique psychologie américaniste, montrant une charmante manifestation de sa maniaco-dépression courante, passe de la dérision et de la générosité à l’angoisse pure et simple lorsqu’il s’agit du Guatemala, où le président élu Otto Perez Molina doit recevoir le 14 janvier les invités internationaux pour son inauguration. Ahmadinejad, qui est donc dans la région, en sera-t-il ? Le Guatemala examine la question et n’a pas catégoriquement rejeté l’idée, ce qui plonge Washington dans cette angoisse signalée plus haut, d’autant que ce même Washington considère que Molina, ancien officier de l’armée sans doute formé par les instructeurs US de Fort Bragg, est l’“un des siens” («one of the region's few emerging U.S. allies», précise obligeamment le Washington Times).

Mises à part les billevesées américanistes (sauf pour l’étude de la pathologie de la psycvhologie), ce tableau général est intéressant. Il montre comment s’organise la riposte face aux embargos divers et draconiens imposés par le bloc BAO, sous la direction de Washington. D’une certaine façon, il s’agit d’une illustration supplémentaire de la situation particulière de la crise iranienne et de la nouvelle forme qu’elle a prise. Nous ne sommes pas dans un état de guerre, ni même de volonté de guerre affichée (comme dans les six années précédente où le but affirmé implicitement mais violemment était une attaque contre l’Iran), mais dans un état de tension extrême avec des risques divers (dans le Golfe et alentour), avec comme facteur fondamental de cette tension ces mesures d’embargo. Même si l’embargo à ce degré peut légitimement être considéré comme “un acte de guerre”, il n’empêche qu’il ne s’agit pas d’une guerre ou d’une menace précise de guerre dans sa brutalité et dans les regroupements forcés et urgents auxquels cela contraint. Il reste bien assez de place pour les manœuvres diplomatiques, directes ou indirectes, et il semble qu’on ne s’en prive pas, et que l’Iran, contrairement aux affirmations sarcastiques d’une porte-parole énervée du département d’État, est loin d’être isolé. (Cela serait sans doute différent, justement, s’il y avait une marche assurée vers la guerre, justement à cause du facteur de brutalité qui invite à la prudence, voire à la couardise, et contrecarre cette sorte de manœuvres.)

Un autre facteur intéressant, qui montre également l’évolution de la situation, est que ce “regroupement”, plutôt en faveur de l’Iran puisque les adversaires de l’Iran sont en mode automatique de regroupement-Système depuis longtemps, s’effectue sous la forme indirecte d’actes commerciaux et d’échange ; l’intérêt de la chose est alors que cette forme d’évolution signifie non seulement un refus de l’embargo mais conduit à une situation plus générale et plus importante de l’abandon de la devise US pour les échanges. Cela donne une dimension générale qui dépasse la seule crise iranienne et met en cause la politique générale des USA, en intégrant d’une façon intéressante la crise iranienne dans la crise générale. Cela rejoint d’une façon également intéressante et, en plus, révélatrice, cette remarque du général israélien Dan Halutz, cité ce 9 janvier 2012 dans un autre contexte, et sans aucun doute dans un autre sens : «…but Iran is a global problem – not just Israel's problem.» Certes, Halutz parle du “problème iranien”, et l’on comprend pourquoi, mais l’intérêt de sa remarque est le fait de l’“internationalisation” du “problème”, c’est-à-dire de son intégration dans les problèmes généraux, ce qui revient effectivement et objectivement, quoi qu’on en veuille, à l’intégration de la crise iranienne dans la crise générale. Un tel processus est une défaite fondamentale pour le bloc BAO qui a toujours joué sur la spécificité iranienne pour soutenir sa politique extrémiste et maniaque ; si la crise iranienne s’intègre dans la crise générale, on est aussitôt conduit à observer cette évidence qu’il n’y a plus de spécificité iranienne, donc plus de responsabilité exclusive de l’Iran (selon la thèse du bloc BAO), donc un élargissement de la crise du nucléaire au reste et ainsi de suite… Nous entrons alors dans le vaste territoire de la crise générale où les responsabilités sont plus que partagées et où l’on sait bien que la cause première revient évidemment au Système lui-même. Le processus déjà identifié au niveau stratégique se poursuit donc et s’élargit à tous les domaines.


Mis en ligne le 9 janvier 2012 à 07H33