La crise d'en-dessus

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La crise d'en-dessus

9 septembre 2013 – Les commentaires généraux de la presse-Système, surtout et principalement en France, montrent une orientation faussaire et une déformation à mesure qui tiennent du prodige, mais du prodige inverti tant l’orientation est systématiquement à la réduction et à l’ignorance des événements. Notre conviction est, plus que jamais pour certes sorte de cas, qu’il s’agit d’une déformation de type autiste générée par une psychologie à mesure, même si les consignes prodiguées à eux-mêmes par les mêmes figurants de cette piètre pièce sont clairement affirmées dans le même sens. La nécessité de ces consignes est accessoire tant le penchant psychologique est affirmé, comme une prison de l’esprit sans la moindre possibilité d’évasion, – prison de l’esprit imposée par l’aliment principal de l’esprit qu’est la psychologie. Ainsi la situation washingtonienne après l’épisode de l’appel de BHO au Congrès (voir le 2 septembre 2013), dans le cadre de la crise syrienne, est-elle expédiée en général par un “lorsque le Congrès aura voté” qui se traduit implicitement, sans besoin d’explicitation, par un “lorsque le Congrès aura approuvé le Président” à peine dissimulé entre les lignes.

Cette paresse et cet asservissement mêlés de l’esprit se heurtent à une vérité exubérante et furieuse, soudaine et sortant de l’ordinaire qui s’est imposée à Washington. La fausse habileté d’un Obama tortueux et manœuvrier faisait appel au Congrès s’est brusquement transformée en un avatar, également très vite transformé en une crise per se, séparé de la crise syrienne. Avec des conditions inattendues aussitôt apparues, cette nouvelle crise a pris le pas sur la crise syrienne proprement dite et elle pourrait dépasser l’instantanéité de la transition qu’elle prétend être, et durer, et atteindre une tension considérable. La phase paroxystique de la crise syrienne est ainsi transmutée par l’apparition de ce nouvel épisode paroxystique de la crise du pouvoir washingtonien, qui est d'une extrême gravité potentielle. C’est une situation, comme l’écrit Jason Ditz dans Antiwar.com le 6 septembre 2013, qui pourrait être symbolisée, dans son potentiel indubitable, par ce constat qui en appelle justement à une image théâtrale convenant à la tragédie eschatologique que nous vivons : «Setting the stage for what may literally be the biggest constitutional crisis in American history».

Par contraste, les commentateurs anglo-saxons, et britanniques pour ce cas, sont beaucoup plus lucides que leurs compères français de plusieurs classes en-dessous, là où les seconds ne voient rien par lâcheté de jugement et ignorance des situations. Depuis la fin de la semaine dernière, ils ont saisi l’essence de ce formidable shift selon le mot significatif pour décrire le mouvement, comme un bouleversant déplacement tectonique, du centre et de la nature de la crise. «Beyond doubt, these next few days will be the most crucial of the Obama presidency», écrit Rupert Cornwell en amorce de son texte de The Independent, ce 8 septembre 2013 ; pour terminer par où il avait commencé, martelant cette vérité nouvelle d’une crise qui embrase le bloc BAO bien autant que le Moyen-Orient et le reste, s’avérant comme l’extension irrésistible de la crise haute, dans son déplacement vers Washington selon ce phénomène caractéristique renvoyant vers l’initiateur, chez lui, les conditions de la crise qu’il a créée chez l’adversaire (voir le 4 septembre 2013) : «Whatever happens, however, a presidency is on the line this week.» La rapidité du phénomène ne peut que nous confondre, ainsi que son exceptionnalité. Pour cela, bien entendu, il s’agit d’en saisir et d’en bien comprendre les composants, y compris ceux qui sont en apparence les plus circonstanciels.

• La première observation s’attache à un tel événement de circonstance, qui ne touche pas le cœur et le fondement de la crise washingtonienne mais qui participe à lui donner une intensité particulière, où l’on voit que les forces les plus actives de l’affrontement de communication ne sont pas systématiquement du côté de la partie qui a provoqué la crise et entend mener à bien ses projets d’agression, mais qui sont effectivement partagées. On voit également que la répartition des forces-Système et antiSystème est très fluctuante et peut en être bouleversée dans un sens ou l’autre, selon les circonstances ... L’introduction d’un élément de dramatisation accordé au système de la communication, et du fait paradoxal du mondialement influent New York Times figurant effectivement dans cet instant comme totalement antiSystème, est la référence illustrée faite à une vidéo montrant l’exécution barbare, tortures faites, d’une poignée de soldats syriens ligotés, humiliés, mis à genoux, par des rebelles écoutant d’abord un sermon religieux improvisé qui les assure de la justesse de leur acte. Une énorme photo en couleur sur la première page du New York Times du 5 septembre constitue un tel élément de dramatisation, sans besoin d’appréciation rationnelle, par l’émotion elle-même pour cette fois utilisée à bon escient, pour redresser des tonnes et des tonnes de propagande, narrative, montages et autres des divers centres-Système. (L’un des premiers commentaires de Daily Beast, le 6 septembre 2013 : «The raw video was so grisly, and so barbaric, that the New York Times staffers who watched and edited it for online publication were made “physically ill,” according to the newspaper’s spokeswoman.»)

Rupert Cornwell, déjà cité plus haut, commence son texte de commentaire, justement sur cet événement ... «A good picture, as everybody knows, is worth a thousand words. The one that appeared on the front page of The New York Times last Thursday could also be worth a hundred congressional votes.

»Extracted from a video smuggled out of Syria, the frame showed gunmen about to kill seven prostrate and terrified army soldiers, their backs bared and beaten, their hands tied behind their backs, as a rebel commander ranted a bloody oath of revenge. Such are the Islamist extremists that the US would in effect be supporting, the picture declared with a starkness no words could match, if the Obama administration went ahead with its threatened military strikes against the Assad regime. Who knows: could this be what tips the balance in the upcoming congressional debates, the image that undermines not just Barack Obama's foreign policy during the rest of his term, but America's very role in the existing world order?

»An exaggeration? Not really...»

• A l’inverse, il faut attendre cette semaine une énorme poussée de lobbying, essentiellement de la part de l’AIPAC pro-israélien (qui a mis 250 agents lobbyiste sur le cas), et des courroies de transmission du complexe militaro-industriel (CMI), qui espère dans ce conflit possible une occasion de rattraper les pertes qu’il subit du fait de la séquestration. Pour ces forces de pression du Système aussi, c’est un enjeu vital. Si elles ne parviennent pas à renverser la tendance actuelle du côté des parlementaires, leurs puissances ainsi mises en échec, ces forces se trouveraient catapultées dans une époque nouvelle, pleine d’incertitude. Il va sans dire que tous les moyens de corruption habituels sont déployés.

• La question centrale, cette fois sur l’événement fondamental de cette crise washingtonienne, est de savoir si la très forte tendance négative du vote du Congrès, dans tous les cas de la Chambre des Représentants, est devenue inarrêtable ou si elle peut-être renversée. Jason Ditz, de Antiwar.com, écrit le 6 septembre 2013 : «As broad as the opposition is, it is hard to envision the administration turning the tables and getting Congress back on the side of aggressive warfare.» Le mouvement est d’une telle force qu’il touche le Sénat, tenu jusqu’ici pour aisément acquis au président. Le décompte des votes des parlementaires par “sondages” permanent est une pratique couramment développée sur nombre de sites et médias, avec des résultats donnant le “non” quasiment vainqueur actuellement à la Chambre (par exemple, le décompte permanent de Huffington Post, ce matin, était de 233 députés sur 434 ayant décidé ou tendant à décider de voter “non”, et 39 pour le “oui” dans les mêmes conditions, le reste toujours indécis, – alors que les chiffres d’hier étaient de 225 “non” et 41 “oui”). Beaucoup plus surprenant et encore plus révélateur, le même décompte d’HuffingtonPost donnait, ce matin pour le Sénat, 28 “oui” et 32 “non” (28 “oui” et 31 “non” hier).

Plusieurs facteurs conjoncturels contribuent à cette évolution, dont deux particulièrement : d’une part, la remobilisation de la coalition progressiste-populiste (gauche des démocrates) et libertariens (droite des républicains) dont nous avons déjà beaucoup parlé, extrêmement efficace et structurée, et qui s’est encore élargie depuis le vote du 24 juillet (voir le 26 juillet 2013, et le 6 septembre 2013 pour la situation présente). D’autre part, l’intervention du public par une pression constante des citoyens en général, et des électeurs des différents parlementaires vers leurs représentants, ce qui implique un véritable vote populaire lui aussi constant, par les moyens nouveaux habituels du courrier électronique, tweeters, etc. Cette intervention est à une formidable majorité (autour de 90%-95%) contre l’attaque en Syrie.

• Quelles sont les alternatives du vote du Congrès, en tenant comte des variables qu’on a vues ? Dans tous les cas, il ne s’agit que d’options envisagées, et, même conduites à leurs termes, elles ne préjugent en rien (sauf la dernière, par définition) du comportement de l’administration Obama concernant l’attaque en Syrie. Aucun ne met donc un terme à la crise washingtonienne liée à la crise syrienne, notamment parce que les pressions qui se sont déjà exercées, les antagonismes manifestés, sont trop forts pour ne pas susciter une suite importante...

La première option est un vote de soutien du Congrès. On a vu que cette option est passée en neuf jours du statut d’“acquis” au statut de “possible”, pas loin pour nombre de commentateurs d’être l’“option-miracle”, dépendant d’un événement nouveau décisif. A cet égard, les seules inconnues certaines restent dans les effets de l’intervention télévisée de BHO mardi et surtout de l’énorme campagne de lobbying en faveur de l’attaque qui devrait atteindre son rendement maximum cette semaine. (D’autres hypothèses, évidemment moins assurées, concernent par exemple une provocation de plus, type false flag selon l’habitude routinière, sur le théâtre lui-même, en Syrie ou autour de la Syrie, comme un montage d’un incident contre une unité navale US, – ce dernier cas étant celui envisagé par l’ancien analyste de la CIA Ray McGovern, source en général sérieuse, évoqué le 8 septembre 2013 sur PressTV.ir.)

La deuxième option est un vote négatif, soit de la seule Chambre des Représentants, soit de la Chambre et du Sénat. On a vu la popularité actuelle de cette option. On parle de la possibilité d’une manœuvre pour repousser le vote de la Chambre le plus possible, pour permettre au lobbying de faire ce qu’on espère être son effet.

La troisième option est l’annulation du vote de la Chambre si le Sénat vote “oui”, pour ne pas imposer une impasse constitutionnelle qui ébranlerait le Système. La direction de la Chambre favoriserait cette idée, qui a est considérée d'une façon générale, par les commentateurs, comme tout à fait possible. Cette option s'affiche évidemment comme une manœuvre pour étouffer dans l’œuf la révolte parlementaire qui constitue la menace principale actuelle pour le Système.

La quatrième option est une option-surprise, une sorte de “coup de force” d’Obama, consistant à faire voter le Sénat (favorablement, espère-t-on), puis à décider aussitôt l’attaque, avant que la Chambre ait voté ... C’est Pat Lang, ancien officier de la DIA et historien, qui a diffusé cette version, à partir de ses propres sources, sur son site Sic Semper Tyrannis, le 5 septembre 2013,

On voit que nous sommes chronologiquement loin de l’option de la mise en accusation/procédure de destitution déjà évoquée (voir le 6 septembre 2013). Cette perspective hypothétique est chronologiquement plus éloignée, puisque résultant d’une attaque lancée par le Président malgré un vote négatif du Congrès ... On ne peut raisonnablement s’aventurer d'une façon affirmée dans de telles prévisions alors que l’on attend l’explosion des premières éruptions chronologique, dans quelque sens que ce soit (le vote ou pas du Congrès, l’attaque de la Syrie, et dans quelles conditions), et que ces éruptions doivent nécessairement bousculer bien des choses et modifier les conditions de la prospective.

Comme on l’a vu et comme on le comprend aisément jusque dans la marche des événements, c’est BHO lui-même qui s’est mis dans ce piège syrien, avec sa tactique sophistiquée, sinueuse, à partir d’une situation de complète déconnexion avec l’esprit du temps et l’esprit de l’opinion publique, et jusqu’à l’état d’esprit des parlementaires ... On irait plus loin dans la responsabilité de ce président, selon notre thèse émise in in illo tempore (fin 2008), rappelée encore le 6 septembre 2013, et résumé par ce propos évoquant notre symbole de l’ “American Gorbatchev”)  : «BHO a raté son destin ... Il aurait pu être tout (“American Gorbatchev”), il n’est rien et en train de devenir la dissolution de lui-même, au-delà de la déconstruction...» La chose est joliment évoquée par Jon Rappoport sur son site JonRappoport.wordpress.com, le 6 septembre 2013, sous l’expression de “président transcendant”, – il aurait fallu que BHO devienne un “président transcendant” pour éviter (transcender, justement) son destin courant d’accessoire-Système : «The only kind of transcendent President, in these times, would be one who, after a year or so in office, would hold a press conference and say, “I’ve learned I’m being run. Men are controlling the office of President. I’m supposed to take their orders. Here is what I know about them. Here are their names. Here is what they told me. Here is how they’re trying to coerce me. This is the story, the real story about what has happened to this country…”»

Cette déception implicite, inconsciente, devant un homme qui est le contraire absolument corrompu de ce qu’il prétendit être (la manœuvre était bien faite, mais pour le climat qu’elle suscite cela laisse à penser), implique un certain malaise du côté de ceux qui ferraillent pour la guerre dans les colonnes des journaux et dans les talk-shows. Ce ne fut pas le cas du temps des débuts de Bush, belliciste brut de fonderie, sans un gramme de duplicité dans le sentiment, montrant un grand enthousiasme qui ne trahissait pas ce qu’on savait de lui et qui suscitait, par cette franchise quasiment juvénile sinon infantile, un enthousiasme à mesure ... Le résultat pour le temps de BHO est un climat presque complètement inversé par rapport à celui qui conduisit à la guerre contre l’Irak, notamment avec une position de conviction et de maîtrise qualitative de la communication très forte du côté de ceux qui s’élèvent contre l’attaque. D’une façon symbolique, il suffit d’écouter Hillary Mann Everett dans ce segment MSNBC où elle pulvérise des partisans de l’attaque paradoxalement sur la défensive, pourtant liberal hawks bon teint mais manquant manifestement d’ardeur, elle (Everett) avec une conviction et une dialectique irrésistibles. (Voir Going To Tehran, le 3 septembre 2013, ou bien HuffingtonPost le même 3 septembre 2013 : « If you're discussing Syria, you probably want Hillary Mann Leverett in your corner. The Middle East analyst, who has ties to both the Bush and Clinton administrations, delivered an astounding verbal smackdown on MSNBC's “Up With Steve Kornacki” recently when pundits were comparing the war in Iraq to recent events in Syria...») Tout cela est d’un entrain roboratif qui manque fort aux partisans de la guerre.

... Ou bien suffit-il de lire l’argument de la prestigieuse journaliste Peggy Noonan, le 7 septembre 2013 dans le Wall Street Journal, tout cela conservateur interventionniste bon teint, comme Noonan elle-même, qui fut speechwriter de Reagan ... Noonan fait l’apologie de l’appel à la paix du Pape François et proclame à propos de l’attaque que veut lancer BHO : «Wrong time, wrong place, wrong plan, wrong man...» Justin Raimondo, ce 9 septembre 2013, est peu optimiste sur la possibilité que le Congrès (hypothèse de la Chambre bâillonnée) s’exprime suffisamment pour bloquer Obama et sa guerre, mais il est plus radical dans les perspectives puisque jugeant qu’il s’agit d’une vraie révolte populaire, et citant lui aussi Noonan dans ce sens :

«There is something going on here, a new distance between Washington and America that the Syria debate has forced into focus. The Syria debate isn’t, really, a struggle between libertarians and neoconservatives, or left and right, or Democrats and Republicans. That’s not its shape. It looks more like a fight between the country and Washington, between the broad American public and Washington’s central governing assumptions.»

Expression de la profondeur de la crise du Système

D’abord un aveu pour débuter ce commentaire : nous avons du mal à assimiler le fait indéniable de la formation de cette crise fondamentale, ou plutôt de cette nouvelle phase paroxystique, justement du fait de cette rapidité confondante. Le constat que nous pouvons en tirer est qu’il s’agit de la confirmation de l’extrême fragilité du Système, sa constante tentation de passer de la dynamique de surpuissance à la dynamique d’autodestruction, sa situation de crise d’effondrement en cours, etc. Nous avons du mal à assimiler la possibilité désormais affirmée que cette phase météorique puisse déboucher sur l’installation de la crise eschatologique par essence, sous forme d’une possible crise institutionnelle sans précédent aux USA, ou par un autre prolongement de cette sorte ; pourtant, effectivement tout cela est possible ...

En effet, deux éléments fondamentaux solidement installés, ou qui le semblent dans tous les cas, semblent dominer, ressortant de tous les domaines : d’une part ce qui apparaît comme la détermination d’Obama, au nom de la sauvegarde de sa “crédibilité” plus qu’au nom d’une “grande stratégie” (chose manifestement inconnue au bataillon), de déclencher une attaque contre la Syrie. D’autre part, la puissance qui semble avoir atteint un degré difficilement suppressible d’organisation au niveau institutionnel de la résistance à cette attaque, qui se transformerait en hostilité déclaré contre l’administration si l’attaque avait lieu (quand l’attaque aura lieu ?) à moins d’une réussite complète, chirurgicale, sans la moindre bavure de l’attaque, et sans conséquences de riposte et de désordre, ce qui semble une possibilité pour le moins réduite. Il existe donc désormais une structuration quasi-institutionnelle de l’opposition, nécessairement antiSystème.

Maintenant, examinons les conditions profondes de cette phase crisique, qui est tout de même caractérisée jusqu’ici par l’événement extraordinaire d’une révolte extrêmement structurée, et qui prend déjà des allures d’un schéma installé, venant du cœur même du Système (la Chambre des Représentants, faisant partie de la branche législative du gouvernement américaniste). A notre sens, son importance ne s’explique pas par les conditions de l’événement initial dont elle est née (la Syrie), ni même à propos de l’événement à propos duquel elle gronde (les intentions d’attaque d’Obama). Il y a d’autres cas où l’exécutif a lancé des aventures militaires, soit sans se préoccuper de l’accord du Congrès, soit en le sollicitant et en obtenant un alignement impeccable. L’explication la “fatigue de la guerre” ne nous convainc pas, dans tous les cas pour l’essentiel. La “fatigue de la guerre” existait déjà lors de l’affaire libyenne et le Congrès vota. La Chambre des Représentants eut le même comportement que celui qu’on pourrait avoir dans le cas syrien actuel (voir le 26 juin 2011), montrant qu’une tendance antiguerre existait déjà, mais cela s’était manifesté sans aucun éclat ni soutien de communication et cela resta sans effet ni lendemain. Aujourd’hui, deux ans plus tard, le même cas, favorisé dans le sens de la dramatisation par le comportement d’Obama, débouche au contraire sur un épisode d’ores et déjà majeur.

Notre appréciation est alors que l’épisode actuel, avec les circonstances favorables qu’on a vues, met soudain à nu un climat souterrain extraordinairement volatile aux USA depuis la crise financière de 2008, la destruction de l’économie sociale US qui s’ensuit, et les élections mid-term de 2010 qui entérinèrent ces nouvelles conditions avec l’arrivée d’une cargaison de jeunes parlementaires issus du mouvement libertarien (Tea Party et le reste) de l’aile droite républicaine. Le facteur qui fait la différence est la progression de la maturation de ce “climat souterrain extraordinairement volatile”, qui s’exprime d’ailleurs aussi bien par le comportement des parlementaires que par les manœuvres d’Obama qui ont constitué le détonateur ; c’est parce qu’il se sentait affaibli par ces mêmes conditions qu’Obama a effectué la manœuvre détonatrice. Entre 2011 et 2013, les mêmes conditions existent mais leur maturation, leur organisation, leurs pressions renforcées deux ans plus tard font la différence. Quoi qu’il en soit, ce sont les conditions structurelles fondamentales de la crise qui s’expriment. Cela va bien au-delà d’une “fatigue de la guerre”, même si cet élément fait partie de l’ensemble.

On peut donc développer encore l’hypothèse et proposer l’observation que ce qui s’exprime est un climat politique né de ces diverses conditions, qui opérationnalise une époque “diluvienne” de déstructuration et de dissolution, extrêmement instable jusqu’à la possibilité d’une rupture. Un constat annexe est la confirmation de l’efficacité antiSystème d’un désordre civil endémique s’exprimant par internet et les réseaux divers du système de la communication, et plus encore son efficacité opérationnelle. (Infowars.com met justement en valeur, le rôle de la presse antiSystème, des réseaux, etc., le 1er septembre 2013.)

Pourquoi cette réaction antiSystème s’est-elle portée sur la politique extérieure d’agression, la politique-Système, ou “politique de l’idéologie et de l’instinct”, sorte de version darwinienne et globalisée de l’opérationnalisation de l’“idéal de puissance”, alors qu’il existe d’autres domaines qui méritent bien autant une telle réaction, – les conditions économiques depuis la crise financières de 2008, ou les conditions policières du système de surveillance type-NSA ? Il y a une réponse spécifique, mais aussi une réponse générale qui englobe les autres éléments. La réponse spécifique est que cette politique-Système agressive et belliciste est peu à peu apparue comme l’extension monstrueuse de cette “époque ‘diluvienne’ de déstructuration et de dissolution” aux USA même, faisant rentrer la politique de sécurité nationale dans la vie quotidienne des citoyens d’un pays en général indifférent à l’extérieur de lui-même. L’aspect spectaculaire de cette évolution explique le succès de communication de l’actuelle phase et la progression remarquable de la maturation de ce “climat souterrain extraordinairement volatile”.

Mais il y a une réponse générale qui dépasse ces situations conjoncturelles et les relativisent notablement. Notre idée, on le sait, est que les crises sont liées entre elles par une infrastructure crisique, qu’elles s’intègrent les unes dans les autres, notamment dans leurs effets profonds. Ainsi, les autres crises qui auraient pu être des détonateurs comme l’est la Syrie par elles-mêmes et ne l’ont pas été spécifiquement, ont tout de même participé au phénomène de détonation actuel et même continuent à y participer effectivement. C’est essentiellement le cas de la crise Snowden/NSA, toujours en plein développement et quasiment intégrée à cet épisode paroxystique de la crise washingtonienne déclenchée par l’affaire syrienne ; par son influence sur la psychologie, Snowden/NSA a substantivé et verrouillé ce sentiment des citoyens US d’être soudain concernés par des problèmes de politique extérieure en présentant une situation qui intègre une dimension extérieure (surveillance globalisée) à la dimension intérieure (surveillance interne aux USA). La NSA, élément-clef du complexe militaro-industriel, a servi à la fois d’outil de déverrouillage et de symbole d’une liaison très forte et serrée entre la politique-Système extérieure et la situation générale aux USA. La crise économique elle-même suscite évidemment des éléments extérieurs qui vont dans le même sens du fait de la globalisation. Ainsi toutes ces crises sont-elles en fait agglomérées en une seule, rejoignant l’Idée de l’infrastructure crisique et celle de la crise générale, ou crise d’effondrement du Système.

De ce point de vue, la crise actuelle à Washington était prête à jaillir et à s’enflammer, et l’allumette fautive est la crise syrienne, avec cette attaque chimique si douteuse. Tous les facteurs de montage et de manipulation la rapprochent irrésistiblement, – élément complémentaire de tension, – de l’attaque de l’Irak qui fut un des événements symboliques fondateurs de cette politique de l’idéologie et de l’instinct, mais les réactions sont comme on l’a vu très différentes dans l’esprit de la chose. Mêmes conditions, tendance des réactions exactement opposée, montrant l’évolution achevée de la crise triomphale de l’origine (surpuissance) parvenue à sa tendance catastrophique (autodestruction).

Il est évidemment hors de question de donner pour assurée quelque issue que ce soit sur le destin de cette phase paroxystique de la crise washingtonienne, et notamment du vote du Congrès. L’effort de lobbyisme va être considérable et peut donner des effets décisifs, – quoique là aussi, rien n’est assuré, et que les effets peuvent être pervers (dans le bon sens) et contre-productifs, selon la force de l’état d’esprit des parlementaires, surtout de la Chambre. (On ne sent pas les lobbyistes tout à fait à leur aise face à des événements qu’ils semblent ne guère comprendre, et qu’ils semblent n’avoir pas vus venir. Qu’ont-ils fait depuis le 31 août, jour de l’annonce du vote du Congrès ? Rien, croyant la victoire assurée  ? Beaucoup, montrant alors leur inefficacité, voire l’effet contre-productif de leur action ?) Dans tous les cas, une situation nous semble acquise : le choc de cet épisode de la crise washingtonienne et la montée institutionnelle du parti antiguerre. Bien entendu, les choses ne s’arrêteront pas avec le vote du Congrès, quel qu’il soit. Les choses ont changé, encore une fois comme à chaque épisode important, faisant progresser encore la crise d’effondrement du Système.

 

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