La Crimée explosive

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La Crimée explosive

En 24 heures, il est apparu que la Russie ne resterait pas sans réagir aux événements d’Ukraine. Pourtant, hier encore, les extraordinaires commentaires de la presse-Système, notamment britannique et libérale qui bat tous les records en matière de dislocation de la vérité de la situation, recommandaient à la Russie de se conduire, disons “en nation civilisée”, et de ne rien faire du tout, surtout, sinon donner le reste des $milliards promis sans la moindre condition au nouveau “gouvernement” ukrainien, décrit joliment par Medvedev comme une bande d’“hommes masqués avec des Kalachnikov, qui encerclent Kiev”.

Ce conseil anglo-BAO intimée à la Russie pour devenir une “nation civilisée”, cela donnait notamment un commentaire de de Simon Tysdall, le 23 février 2014 dans le Guardian. En effet et sans surprise, Guardian est certainement l’élément le plus avancé dans la présentation humaniste de la situation ukrainienne, passant par une extraordinaire haine antirusse, plutôt à explorer dans le domaine de la pathologie, voire celui de l’hystérie froide. On y ajoutera en complément (couple haine-trouille) une trouille palpable que la Russie réagisse, effectivement lisible, sinon décrite dans ce commentaire de Tysdall, – qui emploie l’expression bien significative de l’esprit politique du bloc, avec le terme de “viscérale” (“la peur viscérale dans les capitales européennes”) qui ne dément pas les hypothèses de la pathologie. Le premier et le dernier paragraphe de son commentaire suffisent à fixer ce que l’on peut ressentir du climat au cœur de la citadelle britannique du bloc BAO  :

« What will Vladimir Putin do now? The Russian president is under growing western pressure not to act rashly in Ukraine after the toppling of Russia's ally, Viktor Yanukovych, and the opposition's triumphal clean sweep. But there is no doubting the depth of anger in Moscow over what it sees as the double-cross in Kiev – or the visceral fear in European capitals that Russia could react militarily... [...]

»An ideal outcome would be a broader, co-operative settlement involving Ukraine's new leadership (whose authority will in theory be established in May elections), Russia and the EU, arranged under the auspices of the Organisation for Security and Co-operation in Europe and the IMF. Yet for Putin to agree such a collaborative solution would require a degree of magnanimity, political maturity and vision that he has signally failed to show in the past.»

Cela était énoncé après avoir envisagé les moyens d’intervention de la Russie sous “le coup de la colère” qu’on reprocherait à ces Russes barbares et illettrés, incapables d’accepter une situation, en Ukraine, où se mêlent en un ballet harmonieux l’illégalité, la trahison des engagements (ceux de l’UE et de l’opposition signés dans la nuit du 21 février), l’infiltration depuis des années de la souveraineté ukrainienne avec les corrupteurs à mesure (selon Gorbatchev  : «You need a bulldozer to push all the consultants from the US and EU out of there – they should let the people decide for themselves...»), la guerre de communication, l’utilisation des extrémismes les plus déterminés et les plus antirusses possibles, etc., – tout cela allant évidemment dans le sens qu’on sait, – sinon, on s’informe...

• Simon Jenkins, lui, n’a guère eu le temps de s’informer puisque son commentaire du 24 février 2014 compte 345 mots, – il pourrait figurer dans nos Brèves de crise parmi les plus réduites. On dira : si la quantité n’y est pas, alors la qualité... ? Voire. Notre idée est plutôt qu’au Guardian on ne plaisante pas lorsqu’il s’agit de faire dans le genre “Fuck Russia & Putin”, pour paraphraser Victoria Nuland-Fuck. Jenkins a donc du rentrer dare-dare de son week-end pour participer à la campagne générale du Guardian. Il ironise sur le succès des JO de Sotchi, comme il ironisait hier sur leur échec certain, pour conclure que cet intermède sans importance de la maestria russe, hier considéré comme un test majeur de l’écroulement russe, le cède à une crise beaucoup plus sérieuse, beaucoup plus grave ; Poutine va devoir y montrer qu’il n’est pas “a kleptomaniacal bully”, ses succès de peu d’importance sinon d’apparence (nous devinons la pensée de Jenkins) avec la Syrie, l’Iran et Sotchi devant le céder à une affaire où l’on mesure ce qu’est une stature d’homme d’État. (Pour la mesure, voyez BHO avec la Syrie et Medicare, Cameron avec la liberté de la presse type-GCHQ et le président-poire avec son scooter.)  : «How Putin plays this crisis will decide his fate as sophisticated statesman rather than kleptomaniacal bully. He prepared the ground for Sochi with some deft diplomacy in Iran and Syria. He was revelling in the west's ham-fisted debacles in Iraq and Afghanistan. But that was arm's-length politics.»

Et il glisse, Jenkins, ce curieux propos où il croit prendre Poutine en flagrant délit d’inconsistance politique, alors que c’est sans doute le contraire qui est vrai : il reproche à Poutine d’avoir fait déployer 40.000 hommes pour le dispositif “fanatique” de la sécurité de Sotchi (voyez la légèreté des dispositifs de sécurité du bloc BAO, servis par une surveillance discrète et très retenue, type NSA/GCHQ), alors que c’est face à la crise ukrainienne qu’ils lui seraient utiles. Mais l’on réalise au contraire que ce contingent est ou était au contraire parfaitement à sa place pour éventuellement être transportés, si ce n’est déjà fait (voir le 24 février 2014) de Sotchi à la frontière ukrainienne, sur une distance raisonnable, dans un enchaînement circonstanciel et opérationnel impeccable, une crise suivant l’autre... Bref, Jenkins qui n’est parfois pas si mauvais brade sa bonne fortune lorsque les consignes le pressent d’écrire : nous ne l’envions pas.

«Fanatical security ensured there was no repeat of December's Volgograd bombs to spoil the fun. Yet before Putin had finished making this point to his south, his western border erupted. It must have crossed his mind that the 40,000-strong army positioned at Sochi might have been bettered deployed a thousand miles to the west in Ukraine.»

• ...En effet, il semble bien, avec les bruits de déplacement d’unités militaires russes, que l’on soit prompt à réagir. La “colère” russe citée plus haut, dont on ne sait plus alors si elle est si mauvaise conseillère, conduit la Russie à une riposte à la fois ferme et manœuvrière, qui montre tout sauf la perte de sang-froid caractérisant la colère. L’objectif principal, c’est la Crimée, et particulièrement par le biais de la base de Sébastopol, – dont la présence russe est particulièrement marquée par les virées des marins russes saouls, précise le Telegraph le 24 février 2014, – ce qui n’est pas le cas, on ne l’ignore pas, des marins des piètres restes de la Royal Navy, ni de ceux de l’US Navy allant de port en port dans les bases navales US à l’étranger.

Ces narrative antirusses n’empêchent donc pas que l’ensemble Crimée-Sébastopol semblerait l’objet d’une manœuvre assez habile de pénétration, à la fois des forces administratives et des forces militaires russes, pour au moins encadrer et éventuellement accélérer le courant sécessionniste qui s’exprime à très haute voix depuis deux jours dans cette zone, en même temps que dans l’Est et le Sud de l’Ukraine. Aucune confirmation officielle, ni démenti d’ailleurs, sur certains mouvements administratifs comme sur certains mouvements de forces. On trouve dans Infowars.com, le 25 février 2014, une reprise d’informations de provenance russe ou locale.

«...[F]rom Oleg Kryuchkov of censor.net.ua: “Russia is starting to give out passports under a simplified procedure. Russia demands the fulfillment of the conditions of the agreements between the opposition and Yanukovych. And the main thing is that in the event of a decision of the Crimeans to have a referendum, or an appeal to the Supreme Council of the Crimea to Russia with a request to annex…Russia will review this question very quickly..” This is a similar procedure the Russians initiated before the Georgia-Abkhazia conflict in 2008. Abkhazians received passports well ahead of Georgia’s invasion and Russia’s military response.

»The Russian news outlet Izvestia reported military movement: Four ships from the Russian town of Kubinka with a regiment of special troops are headed to Anapa. From there within 4 hours they will reach Sevastopol at a speed of 10-15 knots, reports a source for Izvestiya in Ukraine. According to the source, this movement is qualitative, and not quantitative. It is being observed from Ukraine. A depot for loading large tanker and infantry ships is located for dispatch to Sevastopol...»

Cette évolution éventuelle de la position russe suit et accompagne un fort mouvement d’autonomisation, sinon de sécessionnisme à Sébastopol même. Dans la nuit du 24 au 25, une assemblée communale de la ville a décidé la désignation d’un nouveau maire, l’homme d’affaires Alexei Chaly, connu pour sa proximité de la Russie et son orientation politique favorable à un rattachement de la Crimée à la Russie. (Voix de la Russie, le 25 février 2014.) Ces développements en Crimée sont accompagnés, dans les régions Est et Sud de l’Ukraine, de forts mouvements de résistance, voire de refus des représentants du nouveau pouvoir. La situation est donc devenue complètement incertaine et fluide avec l’entrée en scène, pour l’instant discrète mais clairement assumée au niveau de la communication, de la Russie. Les scénarios vont alors dans le sens d’envisager comme une possibilité l’hypothèse de la partition. C’est le cas de Pépé Escobar, sur Russia Today, le 24 février 2014 :

«The Western Orangeade gang – from masters to servants – may still bet on civil war, Syria-style. Anarchy looms – provoked by the neo-fascists. It’s up to Ukrainians to reject it. A sound solution would be a referendum. Get the people to choose a confederation, a partition (there will be blood) or keeping the status quo.

»Here’s a very possible scenario. Eastern and southern Ukraine become part of Russia again; Moscow would arguably accept it. Western Ukraine is plundered, disaster capitalism-style, by the Western corporate-financial mafia – while nobody gets a single EU passport. As for NATO, they get their bases, ‘annexing’ Ukraine, but also get myriads of hyper-accurate Russian Iskander missiles locked in their new abode. So much for Washington’s ‘strategic advance’.»

• Ce qu’il faut évidemment tenir comme un point essentiel désormais, c’est le facteur russe. L’Ukraine est une pièce fondamentale non seulement de la stratégie russe, mais de la mémoire historique et de la psychologie russe. Pour en rester à l’exemple de la Crimée, qui est bien sûr très spécifique puisqu’il s’agit d’une partie russe qui a été ajoutée à l’Ukraine en 1958, mais qui est néanmoins une partie du territoire ukrainien et considérée comme telle, 56% des Russes jugent qu’il s’agit d’un territoire russe, ce qui constitue un plus fort pourcentage que pour la Tchétchénie. L’évolution de la Russie dans cette crise est un facteur fondamental, qui va au cœur de l’identité russe, de la perception d’elle-même de la Russie. Il s’agit alors de bien saisir la profondeur et l’orientation du problème.

Les idéologues mondains du bloc BAO, qui sortent peu de leurs conférences climatisées où résonnent les seuls dialectes anglo-saxons, ont une vision extrêmement surréaliste de la situation russe. Ainsi de Andrew Wilson, professeur des études ukrainiennes à l’University College de Londres et auteur de Ukraine’s Orange Revolution, le 23 février 2014 dans The Independent. Sa thèse est que l’évolution “démocratique” en Ukraine va susciter un “effet de domino” et entraîner une “évolution démocratique” en Russie et un cataclysme pour Poutine. Cette thèse étrange, qui ferait penser que la politique est devenue une annexe de ce qu’on nomme l’“art contemporain”, se résume dans ce paragraphe...

«But this is 10 times worse than Brussels expanding its bureaucracy to Russia’s borders. A real democracy in Ukraine is an existential threat to the entire system that Vladimir Putin has built since 2000. Ironically because Putin is right – most Russians regard Ukraine as a kin state, or not really a different state at all. They are used to stepping in tandem; so if something changes in Ukraine, why not in Russia too? And now the dominoes might fall in the other direction. Other Maidans might appear in other neighbouring states – maybe first in Moldova where the Russia-backed Communist Party was hoping to return to power in elections due in November...»

Notre perception assez simple, sinon évidente, est qu’il s’agit à peu près de l’inverse. Si Poutine veut éviter des difficultés, il devra suivre une politique qui tienne compte des exigences du patriotisme et du nationalisme historique russes. C’est-à-dire que, quelle que puisse être sa volonté de compromis, si elle existe, Poutine ne pourra pas céder sur l’essentiel dans la crise ukrainienne ; et le maximalisme du bloc BAO autant que des extrémistes ukrainiens de l’Ouest font que cet “essentiel”-là ne cessera de grandir dans ses projections et dans ses exigences pour les Russes. Ainsi, comme le voit justement Justin Raimondo (Antiwar.com, le 24 février 2014), si Poutine était menacé chez lui, en Russie, ce serait bien plus par sa droite nationaliste que par le pseudo-courant démocratique et occidentaliste, et pour la cause d'absence de fermeté en face à l'Ukraine..

«The costs to Putin if he “loses” Ukraine to the West are going to be steep. While Western media depict the Russian leader as some kind of ultra-nationalist maniac intent on “revanchist” dreams of rebuilding the old Russian Empire, in the context of Russian politics he is a relative moderate. There are real ultra-nationalist forces that would come down on him like a ton of bricks if the historic land of the Cossacks was “lost” to the anti-Russian EU and their American allies. Indeed, two of the most visible anti-Putin “dissidents” – Alexei Navalny and Eduard Limonov (of the fascistic National Bolshevik Party) – are rabid nationalists who make Putin look like the kind of liberal who listens to NPR and strongly favors Birkenstocks. Naturally these two are celebrated by the Western media, who don’t care to look too closely at whom they are lionizing.»


Mis en ligne le 25 février 2014 à 12H59