La course aux armements ressuscitée

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La course aux armements ressuscitée

…Mais, dira-t-on, a-t-elle jamais vraiment cessé, la course aux armements ? Oui, à ce niveau stratégique nucléaire elle avait cessé depuis décembre 1987 et le traité sur l’élimination des armes nucléaires de théâtre à longue portée, entre USA et URSS. Depuis cette époque, l’équilibre nucléaire stratégique entre USA et URSS (Russie), disons approximatif, était un fait accepté et la course aux armements dans ce domaine n'avait plus de raison d'être. L’accord START de réduction de 2009-2010 avait entériné cette situation. Parallèlement, avec l'attitude unilatéraliste extrême des USA depuis 2001, le développement du système antimissile US, surtout dans sa dimension européenne imposée à l’OTAN (BMDE), mais aussi dans sa dimension globale (GBMD), était déjà en train de miner cette même situation. Le tir réussi d’un missile de la catégorie stratégique intercontinental (ICBM) dérivé de l’ICBM Topol-M, renverse décisivement la situation : il s’agit bel et bien d’un acte de cette nouvelle course aux armements, où les Russes ripostent au déséquilibre imposé par les USA, – la responsabilité ne faisant, à cet égard, aucun doute.

Parmi les diverses sources disponibles présentant l’essai réussi de l’ICBM russe, Russia Today donne beaucoup de détails techniques, ce 23 mai 2012. (Un essai précédent de ce même modèle avait eu lieu le 27 septembre 2011, et s’était soldé par un échec.) Ces détails contredisent diverses versions occidentales, tant sur la faisabilité du concept que sur le délai de mise en service. (Des sources occidentales parlent de 2022 à 2024 pour une mise en service. Les indications données ici vont plutôt dans le sens d’une chronologie donnant une entrée en service autour de 2015-2016, avec deux versions prévues, l’une sur site fixe de tir, en silo, l’autre transportable et mise en ouvre à partir d’un véhicule mobile.)

«The new weapon is an advanced version of the Topol-M and Yars missiles, already deployed by the Russian Strategic Missile Forces. The experiment was boosted off from the Plesetsk launch site in north-western Russia’s Arkhangelsk region on Wednesday. It delivered its test block to the Kura target range in Kamchatka Peninsula in the Far East... […]

»The medium-weight ICBM is “one of the military-technical measures, which Russia’s military-political leadership is taking in response to the deployment of a global antimissile defense system by the Americans,” says retired Col.-General Viktor Yesin. The new missile may be ready for service “soon” and would boost Russia’s nuclear deterrence “in the uncertain situation”, the former head the Strategic Missile Forces’ General Staff told Interfax news agency.

»According to military sources, the upgraded design behind the new weapon focused on its fuel formula. The solid propellant has been improved and allows for a faster boost, shortening the initial phase of the flight. During the boosting phase the missile is relatively slow and predictable, which makes it more vulnerable to anti-missiles.

»Little detail about the new ICBM has been revealed. Unofficially dubbed Avangard, it is expected to have a MIRV-ed warhead with improved maneuvering and targeting capabilities of the vehicles. Some reports say that rather than having a traditional “bus” delivering each warhead to its target, designers chose to equip them with individual engines. This would allow active maneuvering on the descent phase.»

Steve Gutterman, sur Reuters, le 23 mai 2012, nous donne une dépêche qui duplique assez précisément l’argument du Pentagone et du complexe militaro-indudstriel contre les craintes russes et les arguments russes contre le réseau antimissiles. La plaidoirie est si complexe et sophistique qu’elle en arrive à présenter un argument fort ambigu puisqu’il tend à désamorcer la critique russe contre le réseau BMDE en affirmant qu’avec ce missile, les Russes n’ont effectivement plus à craindre l’action du réseau antimissile (ce même BMDE) ; cela pourrait aussi bien revenir à admettre a contrario, implicitement, que le réseau BMDE a effectivement une orientation et des capacités contre les forces stratégiques russes, chose absolument niée par la narrative CMI-OTAN. La suggestion type-bargaining ship, impliquant que la dénonciation des BMD par les Russes n’est qu’une posture pour obtenir des avantages dans une négociation stratégique, relève de la sémantique classique de la communauté des armements stratégiques nucléaires. Dans tous les cas, c’est là aussi un argument qui tend à inclure le réseau GBMD dans la rhétorique stratégique nucléaire générale Russie-USA.

«The dispute over the current project has developed despite President Barack Obama's decision in 2009 to scrap the previous administration's plans for longer-range interceptors, which helped improve relations after a period of growing tension. Western officials say improvements to Russia's ICBM arsenal undermine Moscow's argument that the system will present a threat and suggest the Kremlin wants to use the issue as a bargaining chip in broader talks on nuclear arms cuts…»

Il ne faut pas s’y tromper : cet essai d’un nouvel ICBM indique la volonté russe d’une modernisation décisive de l’arsenal nucléaire stratégique, prenant en compte le système GBMD/BMDE, comme s’il faisait effectivement partie de l’équation stratégique nucléaire directe USA (OTAN)-Russie. Par le fait même, le réseau antimissile entre dans cette équation. On ne parle plus de la seule situation de la sécurité européenne mais de la situation de la sécurité générale entre le bloc BAO et le reste, représenté ici par la Russie. Par le fait, l’Europe est directement impliquée dans cette équation puisqu’elle participe au réseau antimissile, – et l’on cherche en vain pour quel avantage pour l’Europe, – mais chercher cela, bien entendu, c’est croire que l’Europe et les pays qui la composent ont une pensée stratégique, éventuellement autonome, ce qu’ils n’ont évidemment pas… Au reste, la même chose peut être dite pour les USA, puisque le développement du réseau antimissile relève à l’origine de l’automatisme des pressions du complexe militaro-industriel, et rien d’autre.

…Mais entretemps, le réseau GBMD/BMDE ayant acquis son propre rythme, sa propre raison d’être, sa propre affirmation existentielle, un sentiment général s’est confirmé dans la direction politique US d’un soutien sans aucune restrictions au programme. Hors des habituelles situations et rapports de corruption entre le monde politique et le CMI, l’attitude justifiant ce soutien de la direction politique US est qualifiée par les Russes de “religieuse” plutôt que de “stratégique”, et elle relève de la recherche d’une invulnérabilité sécuritaire des USA dont certains arguments sont effectivement de l’ordre du mystique à la sauce américaniste, – et l’on comprend de quel niveau l’on parle. Lors de sa campagne électorale, Poutine avait à de nombreuses reprises attaqué la politique de sécurité des USA. A propos du réseau antimissiles, il avait remarqué que la recherche de l’invulnérabilité absolue par les USA conduit à un sentiment général de vulnérabilité des autres puissances ; en effet, le sentiment d’invulnérabilité implique que la menace adverse soit contenue, ou réduite, ou annihilée, c’est-à-dire que l’autre soit mis en position de vulnérabilité plus ou moins grande. C’est une démarche absolument antagoniste de la situation d’équilibre de la dissuasion nucléaire, dans les faits stratégiques autant que dans la psychologie qui la gouverne. Si l’on veut, cette recherche désormais “religieuse” de l’invulnérabilité conduit nécessairement à une situation de déséquilibre, puisque l’invulnérabilité de l’un s’acquiert grâce à la vulnérabilité de l’autre, déclenchant de la part de l’autre une riposte pour tenter d’écarter cette vulnérabilité. La logique de la course aux armements est donc de nouveau parmi nous. Personne ne s’en étonnera, parce que cette “logique” fait partie de l’immense désordre que sont devenues les relations internationales, où tout ce qui est équilibre, stabilité, référence à des principes, est impitoyablement saccagé… C’est une “logique” enfantée par un besoin irrésistible de destruction de tout ce qui se rapproche de la notion de Principe, qui est la notion structurante et donc équilibrée par excellence. Tout cela est complètement en accord avec cette époque, avec sa crise, avec ceux qui ont conduit l'époque à cette crise, avec la trajectoire de l’effondrement en cours, avec la Chute.


Mis eb ligne le 24 mai 2012 à 13H17