La bataille des ADM

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La bataille des ADM

14 mai 2003 — L’un des feuilletons les plus surréalistes de cet après-guerre irakien est la recherche d’armes de destruction massive. Cette recherche se fait, c’est le moins qu’on puisse en attendre, sur une échelle massive. C’est évidemment grotesque : pendant que l’anarchie s’étend, que les besoins se font pressants, on affecte des moyens considérables à une mission qui est de trouver des engins, des systèmes ou des substances justifiant les mensonges sans nombre de l’avant-guerre, c’est-à-dire aussi apaisant la bonne conscience de quelques dirigeants. (En général, tout le monde a compris depuis longtemps la réalité à propos de cette affaire et l’on admet que cette guerre a constitué un coup de force par rapport au droit international, et, précisément, par rapport aux causes officielles qui furent avancées).

Cette recherche ne donne rien. Elle s’enfonce dans la confusion, alors que le Washington Post annionce et décrit le départ de de l'équipe principale US chargée de trouver les ADM (armes de destruction massive, ou WMD pour weapons of mass destruction) ; alors qu’en sens contraire, nous semble-t-il, l'Observer annonce au contraire un renforcement massif de ces spécialistes, qui seraient 2.600 aujourd’hui. Qu’importe la réalité à cet égard, seule la confusion est significative.

Cela noté, observons que le plus intéressant est ailleurs, il est dans la révélation, par le même Observer, que cette question des ADM/WMD, est en train de déchirer, notamment, la communauté du renseignement à Washington. C’est ce qui nous arrête ici. L’article de l’Observer met en cause l’OSP de Rumsfeld-Wolfowitz, — l’Office of Special Plans, créé peu après le 11 septembre 2001, dont l’action a été d’attirer à lui l’essentiel des informations et de les “traiter” à sa façon, contre la CIA et la DIA. L’OSP est surnommé The Cabal.

« La recherche est particulièrement vitale pour la Cabale. Dans le meilleur des mondes de l'Amérique post-11 septembre, ce groupe restreint d'analystes au cœur du Pentagone a été le moteur de la guerre en Irak. La Cabale, qui ne compte pas plus d'une douzaine de personnes, fait partie du Bureau des Plans Spéciaux, une nouvelle agence de renseignements qui a affronté la CIA et l'a emporté. Là où la CIA tergiversait sur l'Irak, l'OSP a insisté. Là où la CIA doutait, l'OSP était ferme. Elle a livré une bataille royale sur l'Irak et George Bush s'est rangé de son côté.

» “L'OSP est une idée du secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, qui l'a mise en place après les attaques terroristes de 2001. Elle avait pour mission de revenir sur d'anciens points concernant l'Irak et de montrer que la CIA avait négligé la menace qu'il représentait. Mais sa montée en puissance a provoqué des ruines massives dans le monde normalement secret de la collecte de renseignements.

» " L'OSP rend compte directement à Paul Wolfowitz, l'un des principaux faucons de l'administration. Ils ont contourné la CIA et l'Agence de renseignement de la défense du Pentagone lorsqu'il s'agissait de chuchoter à l'oreille du président. Ils ont plaidé avec force en faveur de la guerre contre Saddam avant que ses programmes d'armement ne se concrétisent. Les voix plus modérées de la CIA et de la DIA ont été étouffées. Le résultat a été une avalanche de fuites dans la presse américaine. Un officiel de la CIA a décrit les membres de la Cabale comme‘des fous’, en ‘mission au nom de Dieu’. ” »

Il s’agit, dans ces manipulations et ces interprétations, de conviction plus que d’escroquerie intellectuelle. Il n’est pas approprié de croire que les éventuelles tromperies sur la situation en Irak viennent d’une démarche cynique et délibérée. Il y a une conviction. Il y a une certitude et un zèle dont l’origine est évidemment religieuse. La méthodologie est modifiée à cette aune. Seymour Hersh l’exprime assez précisément dans une interview où il parle de l’OSP.

« L'idée du groupe du Pentagone était, essentiellement : Supposons qu'il existe un lien entre Al-Qaïda et l'Irak, et supposons qu'ils ont fabriqué des armes de destruction massive, qu'ils cherchent toujours activement à se doter d'armes nucléaires et qu'ils ont produit des milliers de tonnes d'armes chimiques et biologiques sans les détruire. Après avoir fait ce saut dans l'inconnu, examinons les renseignements que la C.I.A. a rassemblés avec un regard neuf et voyons ce que nous pouvons voir. Comme me l'a dit une personne à qui j'ai parlé, ils voulaient croire que c'était là et, par Dieu, ils l'ont trouvé.... »

Cette situation explique par conséquent cette appréciation donnée par une source indépendante, tentant d’expliquer la situation irakienne, et notamment le fait qu’aucune tentative n’a été faite pour fabriquer de fausses ADM (WMD en anglais) :

« Les gens du Pentagone, autour de Rumsfeld et de Wolfowitz, étaient si sûrs d’en trouver qu’ils n’avaient rien préparé pour parer à la situation actuelle, notamment en “plantant” quelques faux-WMD . Dans l’entre temps, l’U.S. Army, qui contrôlait l’Irak et qui déteste Rumsfeld et son groupe civil a tout fait pour qu’on ne puisse pas réparer cette “faute”. »

La bataille ponctuelle sur les ADM en recouvre une plus vaste, qui est celle des services de renseignement US classiques (CIA et DIA principalement) contre les structures mises en place par Paul Wolfowitz sous le contrôle de Rumsfeld. Il s’agit particulièrement, comme on l’a vu, de l’OSP, organisé à partir des réseaux privés des néo-conservateurs et des émigrés irakiens qui en font partie. L’action et la prépondérance d’OSP ont constitué l’essentiel de ce qui a été apprécié comme un « véritable coup d’État à l’intérieur des structures de la communauté du renseignement, depuis le 11 septembre 2001 ». La concurrence est si vive depuis que certains services, éliminés de l’accès au pouvoir par OSP, cherchent des appuis extérieurs (non-US). Ainsi, la coopération entre la CIA et certains services français est décrite comme excellente, à Washington même, ce qui constitue une position tactique (du style “les ennemis de mes ennemis sont mes amis”) qui est l’exacte antithèse de la position de l’administration vis-à-vis de la France.

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