L’USAF vacille sur sa crise

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L’USAF vacille sur sa crise

11 novembre 2007 — Le 2 novembre, un F-15C de la Missouri Air National Guard s’écrasait au cours d’un vol de routine. Le 3 novembre, l’USAF ordonnait une suspension sélective des vols de ses F-15, annoncée le 4 novembre par un texte discret sur son site. Quelques remarques sur la mesure suivirent, notamment un texte de ABC.News du 6 novembre, concernant ses conséquences opérationnelles:

«The U.S. Air Force's grounding of all F-15s after a crash last week in Missouri had some unintended consequences for operations in the air war over Afghanistan as the Navy has taken over missions being flown there by F-15s.

»At the time of the Nov. 3 grounding of all F-15s, the Air Force said operations over the Middle East would be affected and would be taken over by other aircraft.

»“The Air Force will ensure mission requirements are met for worldwide operations normally accomplished by the F-15,” the Air Force had said. “Current F-15 flying locations include bases in the continental United States, Alaska, England, Hawaii, Japan and the Middle East.”

»F-15s were not flying missions over Iraq, so only missions over Afghanistan would be affected by the grounding.»

Il est apparu aussitôt que la cause de l’accident était, du point de vue de l’USAF, la pire qu’on pouvait imaginer pour sa flotte aérienne de combat dont le F-15 est encore le pivot du haut de gamme (le F-22 entre à peine en service): fatigue structurelle de l’avion, affectant la résistance du métal. «The cause of that accident is still under investigation, however, preliminary findings indicate that a possible structural failure of the aircraft may have occurred. The suspension of flight operations is a precautionary measure.»

Le sérieux de l’incident et de la situation générale qu’il illustre a été aussitôt mis en évidence par une intervention du député John Murtha, que nous avons rapportée le 9 novembre, qui date du 6 novembre. C’est l’annonce par Murtha que l’USAF aura des F-22 supplémentaires, au-delà des 183 prévus. Murtha, – ancien Marine et parlementaire respecté en même temps qu’adversaire de la guerre en Irak, – a eu le temps de voir les chefs de l’USAF, qu’il connaît bien en sa qualité de spécialiste au Congrès des questions militaires (il préside la sous-commission de la Chambre pour les appropriations). Il a été convaincu par leurs explications, impliquant que l’USAF commence à se trouver dans une très grave situation d’attrition.

Les gémissements et plaintes de l’USAF sont largement documentés dans le dernier (novembre) numéro de Air Force Magazine, qui fait rapport du dernier séminaire géant de l’Air Force Association de septembre à Washington; cela dans deux textes, – l’un sur l’intervention du secrétaire à l’Air Force Michael W. Wynne, l’autre sur le séminaire en général. Quelques faits mettent en évidence cette crise de l’USAF.

• Selon la programmation actuelle, il manque à l'USAF $20 milliards par an pendant 10 ans pour l’acquisition de matériels nouveaux.

• L’âge moyen des avions de l’USAF est de 23,9 ans et passera à 26,5 ans en 2012. Certains avions (les B-52 encore en service, les KC-135 de ravitaillement en vol, les premiers C-130) datent de la fin des années 1950. Les principaux avions de combat tactiques sont des A-10, des F-15 et des F-16 dont les livraisons ont commencé au cours des années 1970. On peut moderniser tous ces avions mais la question de la fatigue du métal est insoluble puisqu’elle affecte la validité de la structure même de l’avion.

• La modernisation de la génération actuelle des avions de combat de l’USAF devait commencer en 1995. Elle a été repoussée à cause de la fin de la Guerre froide. La modernisation a commencé à un rythme très lent en 2005-2006 avec les premières livraisons de F-22. Cette modernisation est nébuleuse, incertaine, liée à des programmes eux-mêmes en crise (le F-22 et le JSF).

• L’USAF guerroie continullement depuis 17 ans, depuis la fin de la Guerre froide. Elle ne s’en plaint pas sur le fond mais constate que la chose use le matériel plus que de coutume.

• L’USAF se plaint des ingérences continuelles du Congrès, qui décide unilatéralement de garder en service des avions dont l’USAF a décidé le retrait et qui coutent très cher à l’entretien; ou bien le Congrès qui décide, unilatéralement encore, d’affecter certaines tâches d’entretien du matériel à des bases arbitrairement choisies par tel ou tel parlementaire soucieux de voir l’emploi protégé dans son Etat, et cela sans s’attarder aux coûts supplémentaires que supporte l’USAF. C’est le revers de la médaille: le Congrès n’émet aucune réserve pour entériner l’énorme budget du Pentagone mais, en échange, il exige sa part du gâteau. Résultat, des dépenses improductives (pour l’USAF) qui grèvent son budget, dans un temps où la moindre dépense dérape dans des fautes de gestion et des gaspillages inconsidérées. (Selon Air Force Magazine: «Equally troubling is Congress’ continuing refusal to let USAF manage its own aircraft inventory in a way suited to getting the most capability for the least expense. Lawmakers have for years banned retirement of hundreds of old and cantankerous aircraft. Such moves have protected jobs in home districts, but maintenance costs have soared.»

Une crise sans précédent

Les avertissements sont dramatiques:

«The Air Force’s attempts to fund replacement of its aged fleet by cutting personnel is failing, and if Congress and the White House don’t provide an infusion of cash soon, the service will no longer be able to win wars, Air Force Secretary Michael W. Wynne warned.»

Ou encore: «Today USAF is confronting problems on a scale rarely, if ever, seen since it was officially established on Sept. 18, 1947.»

Ou enfin (appréciation sans doute un peu exagérée de Wynne, mais qui situe bien l’image que l’USAF se fait aujourd’hui de ses capacités): «The Air Force’s older fighters aren’t up to defeating a modern air defense system or modern foreign fighters, Wynne said, and in a fight with Venezuela or Iran, such aircraft would probably be shot down. “No fourth generation fighter would be allowed into war over Tehran or over Caracas, once they buy what the Russians are selling them,” Wynne said. He noted that as far back as Operation Allied Force in 1999, only stealthy B-2s and F-117s were actually able to overfly the murderous air defenses around Belgrade, and foreign air defense systems have improved dramatically since then.»

On a l’habitude de ces gémissements de ces forces gavées de $milliards, dont l’USAF est certainement l’une des plus représentatives. La même chanson a été répétée pendant des décennies durant la Guerre froide. Cette fois, pourtant, le cas est très sérieux. Il est vrai que l’USAF a raté sa modernisation de près d’une décennie, et que les nouveaux avions (F-22, en attendant le JSF, à son heure qui pourrait être tardive) sont si chers que la production est très lente et les projections d’acquisition très réduites (augmentant le cout en conséquence, – cercle vicieux bien connu). Le problème que rencontre le F-15 est du type quasiment insurmontable et la réaction quasi immédiate de Murtha, aussitôt après l’incident de l’interdiction de vol, est symptomatique de l’inquiétude qui grandit chez les spécialistes des questions militaires.

L’USAF est coincée entre des missions gigantesques, dans tous les coins du monde, et d’autant plus fortement mise à contribution qu’on veut réduire les pertes humaines (on parle des G.I.’s, certes; pour les indigènes, tant pis pour eux); et, d’autre part, un budget pharaonique dont une part grandissante passe en dépenses improductives et gaspillages divers. Le résultat est impressionnant. La vieillesse de ses matériels est certainement un cas exceptionnel dans les forces aériennes avancées.

L’USAF est victime du virtualisme qui enveloppe depuis dix ans la puissance US. Cette puissance est décrite comme si considérable, et cela est tenu comme une certitude par les dirigeants civils eux-mêmes, que l’on n’imagine pas que la situation puisse soudain se dégrader comme elle le fait. De même, les avertissements de l’USAF de ces dernières années ont été accueillis comme de l’agitation de propagande habituelle au sein du système, pour obtenir plus d’argent. Tout le monde est coincé dans ce monde virtuel, où les faiseurs de virtualisme sont les premiers à ne plus distinguer la réalité.

Mais la réalité, elle, ne désarme pas. On distingue effectivement une progression bien réelle:

• Le triomphalisme de la puissance US (l’“hyperpuissance”) s’est étalé de 1990-1995 à 2003. Les USA ont vécu sur l’acquis d’une puissance faite pour défaire l’URSS, qui parut évidemment formidable sans l’URSS.

• L’Irak (et l’Afghanistan dans une moindre mesure) a très vite commencé à pomper une grande partie des capacités militaires et budgétaires US, repoussant encore plus les nécessaires mesures de modernisation déjà retardées. L’Irak est, pour le Pentagone, une catastrophe structurelle sans précédent.

• La crise de l’USAF s’inscrit dans cette logique, après la crise de l’U.S. Army qui s’est déclenchée immédiatement dans la confrontation irakienne. Mais la crise de l’USAF est plus grave car elle porte sur des matériels extrêmement onéreux et dont les coûts sont incontrôlés. Au contraire de l’U.S. Army, l’USAF ne peut se contenter de mesures partielles qui contiennent le problème à mesure. Par exemple, il lui faut envisager nécessairement de passer de 183 à 381 F-22 comme première mesure d’urgence, ce qui gréverait son budget d’acquisition de $40 à $50 milliards sur 5 ans, avec engagement immédiat de très fortes dépenses.

• La crise de l’USAF, en plus du sérieux qu’elle représente spécifiquement, est aussi, d’une façon plus générale et fortement symbolique, la crise de la puissance US.

• Le jugement d’Air Force Magazine, reproduit ci-dessus, est fondé. Il s’agit bien de la plus grave crise qu’ait connue l’USAF depuis sa fondation comme arme indépendante en 1947. Il s’agit d’une crise structurelle générale. La crise de la puissance US suit cette image comparative.

Bien évidemment, les conséquences à attendre sont multiples. Le Congrès va venir au secours de l’USAF car une telle situation ne peut être laissée sans mesures immédiates. Cela signifie des problèmes budgétaires supplémentaires, une programmation bousculée, les interférences du Congrès multipliées, des pressions diverses développées pour les programmes en cours de développement. La résolution de la crise de l’USAF, ou du moins sa prise de contrôle, risque de générer d’autres crises. Bien entendu, notre ami le JSF sera le premier à sentir se lever le vent du boulet.

 

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