L’Occident-Système devant ses Frankenstein

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L’Occident-Système devant ses Frankenstein

Nous sommes dans un même mouvement du système de la communication, comme l’on arrive au terme d’une étape et que l’on contemple le bilan à ce point du périple, qui va bien entendu se poursuivre. Le bloc BAO, qui est le principal intéressé de ce moment d’un bilan, peut être identifié dans ce cas, d’un point de vue structurellement ontologique, comme l’Occident-Système. Plus rien ne distingue cet artefact historique triomphant que fut l’Occident, du Système qu’il semble avoir lui-même enfanté et dont il est finalement lui-même la créature selon la dynamique d’inversion, et par conséquent le prisonnier à double tour. L’expression “Occident-Système” est de mise pour cette occasion, dans la mesure où elle désigne ce mouvement d’inversion : du premier diagnostic que l’Occident est prisonnier du Système qu’il semble avoir engendré, il faut aller au second diagnostic, le plus profond, selon lequel l’apparence de filiation doit être renversée et finalement, l’Occident qui sembla avoir engendré le Système, est en réalité lui-même une création du Système qui s’est saisi de son pseudo-créateur pour le transformer et en faire sa propre chose. L’emprisonnement de l’Occident par le Système devient donc une situation, sinon naturelle, dans tous les complètement normative.

Ainsi l’Occident-Système, sous sa forme opérationnelle de bloc BAO, se retrouve-t-il prisonnier des Frankenstein qu’il semble avoir créés, alors que c’est le Système qui, dans sa toute-puissance de créateur, est le géniteur des deux Frankenstein que le bloc BAO contemple sans y rien comprendre en vérité, sinon pour constater qu’il ne peut plus rien contre eux et qu’il en est effectivement le prisonnier. Le constat de la réalité des deux Frankenstein concerne l’Ukraine et Daesh.

• Il est incontestable qu’il existe désormais une sorte de “fatigue ukrainienne” dans tout le bloc BAO, que ce soit les USA ou que ce soit l’UE. Le bloc BAO commence à mesurer les réalités catastrophiques de l’Ukraine postMaidan, c’est-à-dire l’Ukraine-Frankenstein, mais ne sait comment s’en débarrasser ni comment changer la situation ukrainienne dont le système de la communication l’oblige à demeurer en soutien d’une façon ou l’autre. Dans l’interview du journaliste et auteur Neil Clark, par RT le 21 mai 2015>, il apparaît que “l’UE ne sait pas très bien où le ‘monstre Frankenstein’ qu’est l’Ukraine va le mener” («EU not sure where Ukrainian ‘Frankenstein monster’ will lead it»).

RT : «The former Ukrainian president Yushchenko says the world is tired of Ukraine. Would you agree?»

Neil Clark : «I think that is the case at the moment. It is interesting that in the last couple of weeks we definitely had a softening of the tone from the US towards Russia on this issue. We’ve had John Kerry’s visit to Sochi where he met Sergey Lavrov; we’ve had Victoria Nuland going to Moscow; we’ve even had the Secretary General of NATO going there as well, Mr. [Jens] Stoltenberg... [...] They’ve created this kind of Frankenstein’s monster and they are worried about where it would lead now... [...]

RT : «Chancellor Merkel spoke about the Eastern Partnership forum and its goals earlier this morning... The German leader is warning against making promises the EU can't keep. She stopped short from explaining which promises she meant. What was Merkel referring to, in your opinion?» [...]

Neil Clark : [...] «... As I’ve said, what we’ve seen in the last few months is a kind of rollback from the hard-line positions that the Western leaders took on this issue, and a more practical position now is developing. It would be disastrous for Europe to take Ukraine in at this time and to make promises about joining NATO too- there is really no enthusiasm for that. The last thing that the leading powers in Europe want would be a major war happening in Europe, and that would be more likely if Ukraine became a member of NATO. Especially with the current government in Ukraine and it’s very bellicose rhetoric. Even last week they were offering an advisory position to John McCain, the most war-like American Senator of them all. So there is some real concern in Europe. They’ve created this kind of Frankenstein’s monster and they are worried about where it would lead now... I think Merkel’s comments reflected that.»

Comme l’on voit, Clark met justement l’UE et les USA dans le même sac, et il le fait justement parce que l’Occident-Système, ou bloc BAO, est conduit à suivre la même politique-Système de soutien obligée à l’Ukraine devenu un “monstre Frankenstein”, ou plus exactement Frankenstein-Système. On ne voit pas, malgré cette “fatigue ukrainienne” générale, comment le bloc BAO pourrait prendre la mesure radicale de retirer son soutien au Frankenstein-ukrainien. Les “marionnettes” tiennent leurs manipulateurs apparents par tout ce qui peut servir d’entraves, y compris les habituelles cojones, simplement pace qu’elles sont les créatures du Système dont le même bloc BAO est la créature. Il y a une chaîne d’emprisonnements, où le statut des prisonniers change certes, mais où les barreaux demeurent. Dimitri Trenine, du Centre Carnegie de Moscou, résume cette situation, le 17 mai 2015 dans son éditorial de Global Times : “les politiques occidentales antirusse et anti-Poutine ont complètement échoué. Néanmoins, changer complètement d’attitude et travailler directement avec Poutine pour dompter le ‘Frankenstein ukrainien’ est hors de question après 15 mois de rhétorique antirusse complètement folle” ... «Stratégiquement, cela constituerait une retraite US dont les effets se diffuseraient violemment dans le monde entier».

«Western policies of sanctioning Russia economically and isolating it politically have failed to achieve the stated goal of making Russian President Vladimir Putin change his course. However, changing gears by sitting down with Putin to hammer out some compromise on Ukraine would be politically suicidal for Western leaders, in view of the rhetoric of the past 15 months. Strategically, this would constitute a US retreat which would reverberate around the world.»

Les USA sont bien allés à Canossa en allant à Sotchi, malgré ce qu’ils disent en semi-officiel à leurs contacts de l’UE sur lesquels ils ne veulent pas perdre leur mainmise, mais cela ne les libère en rien de leur “marionnette-Frankenstein”. L’observation de Wallerstein (voir le 19 mai 2015) est plus que jamais d’actualité : «Je ne crois pas que les élites aient aujourd’hui la moindre capacité de manipuler leurs “marionnettes”. Je crois que les “marionnettes” défient les élites qui les ont placées où elles sont, faisant ce qui leur plaît, et essayant de manipuler les élites à leur avantage. C’est une politique du-bas-vers-le-haut plutôt qu’une politique du-haut-vers-le-bas.» Simplement, c’est que les “marionnettes” le sont du Système et non du bloc-BAO, que leur maître à tous est le Système (Occident-Système), et que le Système sait se servir des “marionnettes” soi-disant du bloc BAO, pour tenir le bloc BAO comme il faut, par les cojones du système de la communication, et le maintenir sur le droit chemin de l’effondrement.

• En regard, comme dans une pure situation mimétique, nous avons l’incroyable tourbillon du trou noir moyen-oriental, triturant la bouillie sanglante pour les chats qu’est la politique-Système là-bas, pour mettre en évidence aujourd’hui ce qu’est devenu Daech, le deuxième Frankenstein-Système. Là aussi, le bloc BAO est complètement prisonnier, pieds et poings liés, parce que Daech obéit au Système et non au bloc BAO. On savait d’où venait Daech dès le premier jour puisqu’il ne peut venir que du Système, lequel active sa pompe à fic et à réflexion stratégique de haute volée qu’est la communauté de sécurité nationale US, et donc Daech fabriqué par les USA dans un automatisme aveugle suscité par la politique-Système (dans sa version temporaire d’alors, type-“Assad-est-un-boucher”). Le pauvre MK Bhadrakumar se lamente des derniers documents officiels obtenus par les moyens divers et habituels qui montrent comment la “communauté du renseignement” US a aidé décisivement à la naissance et au développement de Daech, la DIA du Pentagone en ayant fait un “strategic asset” des USA dès 2012 («In a nutshell, the documents bring to light the internal assessment made by the Defence Intelligence Agency [DIA] of the United States that the IS could be a “strategic asset” for the American regional strategies. This shocking assessment, in fact, was made as far back as early 2012, that is, even before the IS hit the world headlines by capturing Mosul city in Iraq last year.») Les complotistes avaient raison, comme ils ont toujours raison puisque tout vient de la pompe à fric US, sauf que la chose dépasse largement le complot pour établir l’empire du Système qui pousse les USA eux-mêmes dans les catastrophes qu’ils engendrent ; le “complot” n’en est pas un puisqu’il n’est qu’un des moyens de l’entropisation par déstructuration et dissolution de la politique-Système, et tout cela à ciel ouvert, sans complot nécessaire puisque la pompe à fric fonctionne d’elle-même, avec le ronronnement régulier d’une machine à imprimer les billets (de $100 et de $1000, c’est plus pratique).

En diplomate expérimenté qu’il fut et qu’il reste, Bhadrakumar essaie de donner du sens à tout cela en expliquant qu’il s’agit d’une politique de longue date (depuis la fin des années 1970 et la brillante intuition du Dr. Brzezinski) ; politique qui peut se traduire par le très-fameux “diviser pour régner”, – “diviser” par la déstructuration entropique que Daech répand dans la région ? C’est à voir et voyons cela ... Depuis les années 1970, la politique de déchaînement de tout ce qu’il y a d’islamisme djihadiste au Moyen-Orient par la pompe à fric US n’a pas “divisé pour régner”, parce que dans les années 1970 les USA avaient quasiment conquis tout le Moyen-Orient et chassé les Russes, jusqu’à avoir d’excellents rapports avec l’Irak de Saddam et la Syrie du premier Assad (Assad-père, que Kissinger admirait pour la finesse de sa politique impitoyable), le reste (l’Égypte de Sadate, Israël, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, le Golfe, la Turquie d’avant-Erdogan) étant complètement sous contrôle direct. On régnait donc sans avoir besoin de diviser... La seule pierre d’achoppement survenue dans ce bel agencement fut la chute du Shah en 1978 et l’Iran passé en 1979 dans un camp hostile, avec ce qu’on sait de la saga de la paranoïa US anti-iranienne depuis ; cela introduisit le virus-Système de la déstructuration de ce qui était la vraie hégémonie US d’alors. On savoure l'ironie : aujourd’hui, l’Iran est à peu près le seul pays à être en position de résister le mieux à l’ouragan Daech, d’ailleurs désormais avec l’aide des USA, qui courtise le même Iran aux dépens de tout le reste. Plutôt que faire appel à ses thèses diplomatiques, Bhadrakumar ferait mieux de s’en tenir à un seul qualificatif, qui implique que la politique US n’est en fait qu’un succédané de ce que le Système veut, avec sa politique-Système de déstructuration aveugle, qualificatif qu’il emploie prémonitoirement pour qualifier involontairement la chose (remplacer “policies of the United States” par “politique-Système”) : «...the diabolical policies of the United States». Ce n’est pas “diviser pour régner”, c’est “s’aveugler pour détruire”, et au-delà “s’aveugler pour s’autodétruire”.

... Ce qui nous donne la fureur antiaméricaniste de DEBKAFiles, qui prend la mesure stratégique de l’évènement Daech. D’habitude, DEBKAFiles fait dans la finesse tactique et paranoïaque de Netanyahou, jouant Daech contre la Syrie, parce que jouer contre la Syrie c’est jouer contre l’Iran et ainsi Bibi peut s’endormir la paix dans l’âme. Mais lorsqu’on monte à l’échelon stratégique au rythme de l’expansion de Daech, la big picture change et DEBKAFiles constate avec horreur qu’après la démolition de l’Irak et de la Syrie, c’est bien Israël lui-même, et son grand ami la finaude Arabie Saoudite qui sont menacés. Tout cela, à cause de ce diabolique Obama que DEBKAFiles soupçonne depuis longtemps d’être un agent stipendié de tous les ennemis d’Israël, — dito, des Iraniens, des Iraniens et des Iraniens. Dans une analyse des conséquences stratégiques de la chevauchée de Daech, le 21 mai 2015, DEBKAFiles éructe donc avec entrain... Voici, entre introduction et conclusion de son analyse :

«The fall of Damascus and Baghdad, or large slices thereof, into the rapacious hands of the Islamic State, is no longer a debatable subject of strategic forecasts. Today, the capital cities of Syria and Iraq are within the Islamists’ grasp. The Middle East is about to pay the price for President Barack Obama’s single-minded obsession with a US détente with Tehran and a nuclear accord. It is the end product of Washington’s insistence on playing down ISIS as a formidable opponent and contention that the meager US-led coalition air campaign destroyed much of its operational capabilities, which proved to be an illusion. Equally fallacious was Obama’s trust in the Iranian Revolutionary Guards Corps and its terrorist arm, the Al Qods Brigades, to curtail the Islamist momentum. [...]

»The most knowledgeable sources in the region can’t explain what part the US Central Command is playing as a military factor in any of these conflicts – in particular, Gen. John Allen, whom Obama last year named Special Presidential Envoy for the Global Coalition to Counter ISIS. Some account for their low-to-vanishing profile by their having been preoccupied in preparing a grand campaign for the recovery of Mosul, Iraq’s second largest city, which is under ISIS rule. Today, this plan looks like a pipe dream. ISIS has caused a Middle East earthquake after another by capturing Ramadi in Iraq and Palmyra in Syria in a matter of days. Their alarmed neighbors in Jerusalem, Amman and Riyadh have been forced to conclude that their borders are in danger - not just from Iran, but also from ISIS, and they will have to confront these perils on their own.»

Ainsi vogue la galère percée de toutes parts ... Moment privilégié (?) où l’on peut s’arrêter un instant au bord de la route pour considérer l’étendue du désastre s’étendant à l’infini du “désert des Tartares” qui tient lieu de politique à l’Occident-Système, mais qui est fort justement la politique-Système sans véritable surprise. Sur la perspective de presque quarante ans, avec irrésistible accélération dans les 15 dernières années, ils ont tout fait, c’est-à-dire absolument tout défait d’un ensemble qui tenait assez bien, au rythme du cynisme kissingérien et d’une puissance militaire US impudente qui valait surtout parce qu’on ne s’en servait pas. Le travail de déconstruction est devenu exploit gigantesque d’implosion comme l’on dit de l’implosion d’un immeuble (si l’image vous vient en rêve de l’implosion des tours du WTC, ne vous en privez pas).

L’implosion de l’empire est parfaitement contrôlée, – ce qui devrait satisfaire les amateurs de la théorie très-tendance du “chaos contrôlé” ; cela signifie, pour notre compte, qu’au bout de compte il n’en restera plus rien. Pour rythmer la chose, il y a les images des visages béats de sérieux composé et de contentement de soi de nos dirigeants, qui vont jusqu’à nous interpréter en prime live, “We Are The World”. On ne peut trouver aucun précédent d’un pouvoir général aussi complètement aveuglé par son sa propre narrative et sa soumission aux sollicitations du déchaînement de la Matière”. On ne peut s’en plaindre, même si leurs prestations provoquent tant de peine et de souffrance, – mais il faut malheureusement en passer par là... Non seulement le diable en rit déjà et en rit encore, mais il se marre tellement qu’il pourrait bien en mourir de rire. Ainsi tout sera bien fait et fort bien accompli.


Mis en ligne le 23 mai 2015 à 08H43