L’inconnaissance perdue de la NSA

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L’inconnaissance perdue de la NSA

27 juin 2013 – Dans son avant-dernière chronique en date du Guardian, le 25 juin 2013, Glenn Greenwald fait un rapide rappel de déclarations faites il y a presque quarante ans par le sénateur démocrate Frank Church. C’était en 1975, quand Church présidait une commission extraordinaire du Sénat, connue sous son propre nom (la “commission Church”), et formée pour enquêter sur les activités illicites de la CIA. Cette enquête publique (les débats de la commission étaient “open”) avait été décidée dans le courant critique et réformiste qui suivit le scandale du Watergate et la démission du président Nixon du 9 août 1974. Elle fit grand bruit en raison des révélations qui émaillèrent son activité, notamment par le biais des témoignages successifs de William Colby, le directeur de la CIA, en mai-juillet 1975.

(Contrairement à la plupart des témoins venus de la direction du monde du renseignement et auditionnant devant le Congrès dans des conditions de mensonge avéré, il est à peu près admis que le témoignage de Colby fut complètement sincère. L’homme traversait une crise personnelle, – il fut licencié rapidement et mis à la retraite après ces auditions, le 1er novembre 1975, – et semblait estimer comme un devoir personnel, sinon spirituel et religieux parce qu’il était un catholique fervent, de dire toute la vérité aux sénateurs qui l’interrogeaient. Comme d’habitude cynique et sarcastique, Kissinger avait décrit Colby durant cette période, “allant témoigner chaque jour au Sénat comme s’il se rendait à confesse”. La mort jugée officiellement “accidentelle” par noyade de Colby, en 1996, a toujours été considérée, notamment par ses proches, comme suspecte. Le destin général de Colby est une parabole qui illustre parfaitement les événements actuels de la crise du Système, dans sa partie crisique/NSA.)

C’est dans le cours de la vie de la commission qu’il présidait que Frank Church eut quelques mots de jugement sur la National Security Agency (NSA) dont il est tant question aujourd’hui, et dont Greenwald rappelle qu’on la désignait à cette époque, selon ses initiales, comme la “No Such Agency” (ou “l’agence qui n’existe pas”). Cette agence si fameuse et connue de tous, déjà comme un mythe certes, était en vérité inconnue du public aussi bien que des dirigeants politiques bien entendu, et particulièrement les parlementaires.

Greenwald écrit :

«Even among US Senators, virtually nothing was known at the time about the National Security Agency. The Beltway joke was that "NSA" stood for "no such agency". Upon completing his investigation, Church was so shocked to learn what he had discovered - the massive and awesome spying capabilities constructed by the US government with no transparency or accountability - that he issued the following warning, as reported by the New York Times, using language strikingly stark for such a mainstream US politician when speaking about his own government:

»“‘That capability at any time could be turned around on the American people, and no American would have any privacy left, such is the capability to monitor everything: telephone conversations, telegrams, it doesn't matter. There would be no place to hide.’

»“He added that if a dictator ever took over, the NSA ‘could enable it to impose total tyranny, and there would be no way to fight back.’”»

Greenwald commente ces observations de 1975 du sénateur Frank Church en estimant que son avertissement “est en train de se réaliser”, s’il n’est “d’ores et déjà réalisé”:

«The conditional part of Church's warning – “that capability at any time could be turned around on the American people” – is precisely what is happening, one might even say: is what has already happened. That seems well worth considering.»

 C’est là le point qui nous intéresse, d’un point de vue chronologique et historique, par rapport à l’avertissement du sénateur Church. Nous le développons à partir des considérations que nous présentions dans notre Notes d’analyse du 25 juin 2013, dans notre conclusion.

«Hyper-Big Brother ne marche à merveille que quand tout le monde ignore que hyper-Big Brother marche à merveille. La puissance de la surveillance secrète, c’est le secret, pas la surveillance, parce que le secret c’est le mythe et que le mythe domine tout dans nos esprits, et notamment la raison. La puissance d’hyper-Big Brother résidait dans l’ignorance technique précise qu’on avait de son existence, bien que tout le monde se doutait évidemment de son existence. Si vous savez d’un point de vue technique, et technologique, qu’hyper-Big Brother existe, vous le démythifiez et sa puissance de surveillance n’est plus mythique mais technique, ou technologique, et également humaine, avec toute la relativisation que cela suppose. Hyper-Big Brother descend de son piédestal et devient une puissance de notre domaine terrestre, un centre de pouvoir comme un autre ; et la science justement, celle qui est sollicitée comme on l’a vu plus haut, peut alors l’être dans le sens inverse, comme on le voit avec le développement des sociétés d’encryptage, – ce qui n’est qu’un début, un tout petit début, on peut en être assuré, dans le développement de l’action anti-NSA. Hyper-Big Brother perd l’absolutisme, l’hermétisme du mythe, pour une omniprésence affirmée scientifiquement et voulue comme infinie. La science peut alors se retourner contre lui parce que, selon la modernité elle-même, la science s’affirme sans limites, y compris celle de mettre en échec l’affirmation d’une omniprésence qui se voudrait sans limites (infinie). Nous aurons alors une nouvelle étape dans le désordre de très, très haute technologie...»

Hyper-Big Brother (la NSA) existait donc déjà, par sa réputation mythique, par la puissance mythique qu’on lui prêtait sans en savoir plus d’une façon précise, en 1975, du temps du sénateur Church. Nous voulons dire que la NSA existait déjà en 1975 selon les règles, ou les us et coutumes du système de la communication qui ont cours aujourd’hui à son égard, ou qui avaient cours jusqu’à l’entrée en scène de Snowden, c’est-à-dire justement une existence affirmée d’un point de vue mythique selon les conditions qu’on énonce. La NSA était donc connue, de réputation, de rumeurs et de chuchotements, comme une entité d’une immense puissance qu’on ne peut vraiment mesurer ni contrôler, dans le sens de l’esprit et de la terreur publiques régnant autour de l’État de Sécurité Nationale, ou National Security State. (Pour ce qui est de la “vérité” de l’évidence, ce que nous nommerions “la connaissance impuissante” de l’existence de la NSA, connaissance formelle sans aucune conséquence réelle, sans en rien savoir, – No Such Agency, – cette connaissance existait dès 1949 lorsque le président Truman créa l’AFSA, rebaptisée NSA en 1951. Cette création complétait décisivement les autres grands composants du National Security State mis en place en 1947 : le Pentagone ou département de la défense dans sa conformation actuelle, résultant de la fusion des département de la guerre et de la marine ; la CIA ; l’USAF en tant que service indépendant ; le NSC, ou National Security Council, comme “gouvernement” particulier du président pour les affaires de sécurité nationale, etc.)

Ce que nous voulons signifier c’est que notre “connaissance” de la NSA aujourd’hui, ou plutôt hier, jusqu’au 6 juin 2013 et l’entrée en scène de l’avant-garde (ses “fuites”) de la crise Snowden, équivaut (“équivalait” puisqu’en cours de modification) à celle qu’on en avait à l’époque du sénateur Church. Il s’agit bien d’une connaissance mythique, qui nous dit : la NSA est l’outil de la surveillance absolue, l’outil éventuel du dictateur, etc. Le terme “absolue” est effectivement du domaine du mythe ; il signifie quelque chose d’inatteignable, d’inexpugnable, tenant le Faux pour le Vrai et l’inversion vers le bas pour la hauteur des choses, pour instiller la terreur par le mythe ; enfin pour, d’une certaine façon, rejoindre le terme d’une vertu que nous prônons mais interprétée ici dans un sens complètement inverti, le terme “absolue” signifie cet autre mot, décisif celui-là et interprété selon l’inversion régnante par rapport à nos références, il signifie l’inconnaissable, c’est-à-dire l’inconnaissance... Nous sommes bien dans le domaine du mythe jusqu’aux références les plus fortes et les plus décisives, mais ces références interprétées d’une façon complètement invertie. Notre référence à cet égard, qui induit pour ce cas de la NSA l’inversion absolue (!) du sens qu’on attribue à l’inconnaissance, est celle qu’on trouve dans cette citation de la Chronique du 19 courant... du 19 avril 2013 :

«Plus haut, je parlai de l’inconnaissance comme étant “la métaphysique et la spiritualité les plus hautes qu’on puisse imaginer”. J’avais à l’esprit cette phrase du Pseudo-Denys l’Aréopagite, de son ‘Connaître l’inconnaissable’ que j’ai découvert si récemment et si à-propos, – et cela, sans m’attacher un instant à la référence biblique du personnage qui y est nommé ; simplement, en me référant à l’énigmatique dimension du verbe, de cette phrase qui n’en finit pas, et en la mettant instinctivement dans l’esprit et dans le verbe de celui qui, en mer, la nuit comme je l’ai dit, épousant la mer comme on fait d’une forme parfaite alors que le monde ne semble plus faire qu’Un... “C’est alors seulement que, dépassant le monde où l’on est vu et où l’on voit, Moïse pénètre dans la Ténèbre véritablement mystique de l’inconnaissance : c’est là qu’il fait taire tout savoir positif, qu’il échappe entièrement à toute saisie et à toute vision, car il appartient tout entier à Celui qui est au-delà de tout, car il ne s’appartient plus lui-même ni n’appartient à rien d’étranger, uni par le meilleur de lui-même à Celui qui échappe à toute inconnaissance, ayant renoncé à tout savoir positif, et grâce à cette inconnaissance même connaissant par delà toute intelligence.”»

On notera alors avec une extrême attention que Church nous annonçait que la NSA pouvait tout faire sans que personne ne puisse rien faire, qu’elle était un mythe bénéficiant de cette inconnaissance invertie, alors que l’internet, et tout ce qui a rapport à l’informatique n’existaient pas. Tout le monde a du noter l’anachronisme évident(et logique, certes) de la remarque de Church, ou le relève en la relisant :

«...such is the [NSA’s] capability to monitor everything: telephone conversations, telegrams, it doesn't matter.»

Rien sur l’internet, sur les milliards de milliards de machins et autres mégabits du torrent informatique qui balaie le monde chaque seconde que Dieu fait, comme si l’informatique était Dieu Lui-même. Ainsi le mythe qu’était la NSA, qu’on interprète manifestement comme celui d’une équivalence à l’essence divine, existait-il déjà du temps du sénateur Church, avant que le Dieu-informatique n'existât ; par conséquent, le Dieu-informatique (la divinité de la NSA grâce à l’informatique) est un dieu-bidon puisque la sacralité de la NSA (le mythe) existait avant lui. Pour paraphraser ce que nous écrivions et qui est cité plus haut (“La puissance de la surveillance secrète, c’est le secret, pas la surveillance, parce que le secret c’est le mythe...”), nous pourrions écrire que “La puissance de la surveillance secrète par l’informatique, c’est le secret, pas la surveillance ni l’informatique, parce que le secret c’est le mythe”.

Il est manifeste que, pour notre époque qui est celle de l’informatique, l’essentiel des passions fascinées et terrorisées qui accompagnaient la NSA dans nombre d’analyses et qui l’accompagnent encore dans ce temps de transition mais sont inéluctablement promises à se dégrader très rapidement, était et est encore due à l’informatique et à ses immenses possibilités, jusqu’à l’intelligence artificielle et au-delà (voir les 13 mai 2013 et 7 juin 2013). Nous prédisons ici l’importance de cet “encore” (“...et qui l’accompagnent encore pour quelques temps, était et est encore due”), qui signifie que les “passions fascinées et terrorisées” ne dureront plus à partir de ce moment où les révélations de Snowden ont brisé le secret qui recouvrait la NSA comme une carapace d’inconnaissance qu’il semblait impossible de percer. Désormais, le secret se déstructure, se dilue, bientôt s’“entropisera” (classique processus dd&e), faisant place à l’improbable, au relatif, au contestable, au considérablement parcellisé ; même si l’énorme puissance informatique demeure dans ce qui était le mythe de la NSA, elle n’est plus du domaine sacré de l’inconnaissance. La NSA a perdu sa fonction centrale divine de l’origine et de l’absolu du Tout-Informatique, ce domaine où par définition régnait nécessairement l’inconnaissance, non par incapacité de connaître, mais par révérence devant le mythe comme origine du Tout. La NSA est devenue un truc, un énorme machin comme vous et moi, et nous saurons très bientôt ce dont nous nous doutions déjà, que nous savions déjà d’ailleurs sans le proclamer ni vraiment oser y croire, que c’est aussi une monstrueuse usine à gaz. Dieu n’a rien à foutre d’une usine à gaz, Il nous la réserve et nous l'a refilé, Lui qui est l’habile “non-être, non-essence au-delà de l’essence” de Pseudo-Denys. “Je suis devenue une énorme chose terrestre du type usine à gaz”, nous dit la NSA post-Snowden reposant sur son mythe dégonflé ; on lui dira bientôt, à la NSA : va jouer avec tes milliards de poussières, mégabits reconvertis...

Le 6 juin 44 de la NSA

... C’est à ce point qu’on peut dire que Snowden est un sacrilège jusqu’au dernier degré, l’homme, le jeune homme qui a désacralisé la NSA, qui détruit son aura nécessaire d’inconnaissance dans le dégonflement accéléré du mythe percé comme l’est une de ces “bulles” financières qui éclate. Il y avait un “avant-Snowden”, il y a désormais un “après-Snowden”, et le 6 juin devient une date doublement célèbre (le 6 juin 2013 dans le Guardian après le 6 juin 1944 sur Omaha et Utah Beach). Et nous disons bien Snowden encore plus que ses révélations car, au cœur de la “démythification” de la NSA, de son “inconnaissance perdue”, de sa sacralité déifiée foulée aux pieds autant par ses détracteurs que par ses minables défenseurs qui ignorent de quoi il est question, on trouve ce visage d’adolescent attardé, un peu matheux-boutonneux, un peu souffreteux, avec des lunettes trop sages circa-années 1960, – peut-être “héros antiSystème” certes, mais plutôt anti-dieu que demi-dieu, et qui se permet de déchirer le rideau qui enrobait le mythe sacré du Dieu-NSA. Plus que jamais, nous insistons sur notre hypothèse de l’importance fondamental de l’humanisation” du cas avec l’apparition de Snowden, que nous avons souligné à plusieurs reprises...

• Le 10 juin 2013 : «“Un événement dans l’événement”, ou un événement plus important que l’événement ? On peut se demander, effectivement, si la sortie en public de Snowden, dans ces conditions de lucidité et de courage, ne vont pas provoquer un choc plus grand encore que la diffusion de PRISM. Nous parlons là, comme à notre habitude, de psychologie. La force du geste, son héroïsme, qui constituent les premières impressions qui vont nous frapper, auront bien du mal à être dispersées par l’action-turbo dont va nous inonder le Système, absolument furieux de l’insolence de ce Snowden. L’“événement dans l’événement” constitue en effet une mise à nu humaine brutale , sans le moindre artifice, de la véritable face du Système.»

• Le 11 juin 2013 : «D’une certaine façon, la diffusion des documents PRISM, suivant tant d’affaires et de “scandales” divers d’écoute, de surveillance, etc., aux USA de plus en plus transformés en un modèle d’État policier à surveillance de technologies avancées, avait d’abord rencontré une attention émoussée, une capacité de réaction amoindrie, – dans tous les cas dans le domaine du système de la communication. L’irruption d’Edward Snowden a fourni un remarquable facteur de dramatisation ; loin d’éclipser l’affaire PRISM elle-même, comme Snowden le craignait, elle a au contraire donné cette dimension dramatique à toute l’affaire. Il s’agit donc, désormais, de l’affaire PRISM largement élargie, ou PRISM/Snowden, ou NSA/PRISM/Snowden.»

L’arme secrète de Snowden, ce héros à l’allure d’anti-héros, c’est sa banalité appréciée comme une tactique psychologique développée par une force antiSystème, banalité évidente sur la même photo mille fois répétée, tournant en boucle comme une vulgaire attaque 9/11... Pour une fois, banalité n’est pas médiocrité, mais plutôt un bras d’honneur dévastateur déguisé en banalité et adressé à cette époque survitanimée et vide dedans, avec ses 4X4 aux vitres opaques remplis de garde du corps aux costumes et lunettes de soleil opaque et eux-mêmes totalement vides en-dedans, ses “pipols” “relookés” par des chirurgiens à $10.000 la minute, ses G.I.’s transformés en robots de jeux vidéo aux regards vides en-dedans de lunettes noires, ses drones remplissant leurs “contrats” comme des tueurs de Cosa Nostra, et tout le reste. Snowden, l’humain tactiquement banal, a brisé l’inconnaissance-cuirasse avec l’aide d’un de ces chroniqueurs nés sur le net, habile comme un renard et capable de vous produire des colonnes dénonciatrices farcies de références indubitables, que le Guardian est allé chercher et qui se permet de vivre aux crochets vertueux de ses lecteurs... (On aura tout de même reconnu Glenn Greenwald, le compère.)

Là-dessus intervient l’épopée, type “Ulysse a fait un beau voyage”, d’un Snowden réfugié à Hong Kong, quittant Hong Kong juste à temps, – et l’on sait que la Chine immémoriale est l’énigmatique maîtresse du Temps ... Disparaissant dans la zone extraterritoriale de l’aéroport de Moscou, sous les commentaires à la fois furieux, goguenards et légalistes du couple Poutine-Lavrov, – et ainsi de suite, puisque l’épopée se poursuit... A ce point et pour ce qui concerne notre sujet tel que nous le traitons, il nous importe fort peu de savoir où elle se terminera, sinon pour souhaiter bon vent à Snowden-Ulysse ; et cela, notant par ailleurs que tous les documents Secret Cosmic-NSA qu’il a empilés dans sa musette sont dupliqués à un certain nombre d’exemplaires et remis en cadeau à un certain nombre de compagnons d’infortune, – Greenwald en premier. Cela signifie que le rouge est mis, que le système de la communication a acté l’aventure de Snowden et l’a hissée, volens nolens, elle-même au rang de mythe, à la place du mythe perdu de hyper-Big Bropther. Mythe pour mythe, ainsi commença le temps de l’après-Snowden.

... Car tout ce que nous apprend et nous apprendra Snowden ou ses complices antiSystème divers, d’une certaine façon, comme l’on sait, nous le savons plus ou moins, peu ou prou. Les bouquins de James Bamford (voir le 14 juin 2013), depuis le Puzzle Palace de 1982, nous ont dit tant de choses sur la NSA. D’autres whistleblower ont complété la chose. Mais ce n’était que de l’information, de la technique-technologie, rien qui ne parvenait à ébranler le mythe. Il se trouve que Snowden, lui, a trouvé la formule, par une étrange et sympathique conjonction de circonstances, de conditions psychologiques, d’actes divers, de perceptions multiples, d’une attente énigmatique d’une telle épopée de la part du système de la communication qui s’est ouvert à lui, créant ainsi le perfect storm qui, soudain, pulvérise sous nos yeux le mythe qu’était jusqu’alors la NSA. Snowden nous a fait passer du domaine fort peu couru de l’information anti-NSA au processus décisif de la communication anti-NSA. Hyper-Big Brother a été obligé de sortir de sa forteresse, sa cuirasse d’inconnaissance fissurée de partout et prenant eau de toutes parts. Aujourd’hui, il existe, tout le monde peut le rencontrer, tous les regards peuvent aller au fond du regard du monstre, on en débat, on le dénonce, on le défend ; comme disait tragiquement Nietzsche «Dieu est mort», et comme lui répondait sarcastiquement Céline qui n’a jamais cru à l’efficacité des garagistes «Dieu est en réparation» ; bref, la NSA mythe-Dieu est devenu un sujet de lazzis et de citation des pages roses du dictionnaire. On ne s’en relève pas, mon Dieu.

Le paradoxe est que la Chose, la Bête, le système monstrueux, étant désormais ce qu’il est, avec des représentations telles que le visage avenant, et parfaitement vierge et lisse de l’absence de toute pensée non autorisée, de son directeur le général Alexander, ou l’élégance pincée et un peu trop permanentée de la sénatrice Feinstein, l’on peut déjà dire avec le même Nietzsche : «Humain, trop humain». Dans une bataille où la puissance de votre ennemi était pour l’essentiel l’inconnaissance mythique que vous en aviez, sa connaissance soudain exposée indique que le dieu des batailles est en train de changer de camp, histoire de voir où cela nous mènera ... La NSA est déjà dans la zone grise de l’incertitude des choses terrestres et le volte-face du dieu des batailles n’a pas fini de faire des vagues.