L’Europe prépare sa diplomatie-JSF

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Si l’on veut la version officielle-officieuse, on peut consulter un article de EUObserver du 24 octobre 2009. EUObserver a obtenu une copie du rapport intérimaire de 10 pages que la présidence suédoise a remis aux Etats-membres le 22 octobre. On prévoit que les nouvelles structures de la “diplomatie” européenne, qui sera dirigée par un “Haut-Représentant” qui sera le véritable “ministre des affaires étrangères” de l’UE, seront définitivement en place au printemps 2010. La chose est l’enfant du traité de Luxembourg et le bâtard de la Constitution européenne rejetée par les diverses aventures référendaires qu’on sait.

Quelques extraits de l’article pour situer le problème.

«The post of EU foreign minister or “high représentative” for foreign affairs and a new EU diplomatic corps or “European External Action Service” (EEAS) are to be created following the entry into life of the EU's Lisbon Treaty.

»The Swedish paper envisages a minister in charge of a unique "sui generis institution with its own section in the EU budget alongside the European Commission, the EU parliament and the Council, the Brussels-based secretariat which prepares regular meetings of EU ministers. The foreign minister is to propose how much money he needs each year, authorise spending, appoint his own staff and take charge of the European Commission's existing delegations across the world.

»The new institution is to manage general foreign relations as well as EU security and defence projects, such as the police missions in Bosnia, Kosovo, Georgia and Afghanistan or any future peacekeeping operations in, for example, Africa. It is also set to take charge of the Situation Centre, the EU member states' intelligence-sharing hub in Brussels.

»The EU diplomatic corps will not be responsible for trade, development or enlargement policy, which are to stay European Commission domains. But it is to have internal cells dealing with developing countries and enlargement candidates which will “play a leading role in the strategic decision-making” on commission programmes such as the European Development Fund.»

C’était donc la théorie, bien lisse, avec quelques réserves d’usage, mais qui rend au bout du compte un son triomphant: l’Europe existe! Bien, la récré est finie, passons à la réalité – ci-après…

@PAYANT Nous avons en effet discuté de cette question avec une source européenne, qui est informée des dispositions qui vont être développées pour cette “nouvelle diplomatie”, mais qui se place du point de vue pratique, des conditions réelles, des effets, etc.

D’abord, il faut savoir que ce nouveau corps diplomatique va être composé, à tiers égaux, de trois contingents: l’un venant de la Commission (direction des relations extérieures), l’un venant du secrétariat Général (actuelle équipe Solana) et l’un venant des corps diplomatiques des Etats-membres. Cette situation, qui a le mérite émouvant de l’égalitarisme, a toutes les tares des coalitions. «Le discours plus ou moins officiel, dans les délégations, est de dire qu’il y a une autorité européenne, que l’obéissance lui est due, mais nul ne peut oublier de quelle maison il est et quelle est sa véritable autorité». La réalité est donc que nous aurons, comme dans toute coalition, des fonctionnaires à double casquette. Le maréchal Foch, lorsqu’il évoquait, en 1918, une consigne plutôt que donner un ordre à l’Anglais Haig, à l’Américain Pershing et même au Français Pétain, les trois commandants en chef des trois armées coalisées qu’il avait sous son autorité théorique, savait parfaitement que l’un ou l’autre, y compris le Français (ô combien), pouvait, dès la sortie de la réunion, contacter son Premier ministre, lui faire part de la teneur de l’entretien et de son propre désaccord avec Foch, et recevoir aussitôt son soutien. Ainsi Foch “négociait-il” ses ordres, pour obtenir leur application… Encore évoquons-nous le plus haut niveau et les plus hautes circonstances, là où il est difficile de s’opposer quotidiennement à une autorité nominale et où il existe une solidarité et un intérêt commun vitaux. Qu’on imagine ce qu’il en sera de ces milliers de fonctionnaires travaillant sur des sujets bien moins évidents, bien plus imprécis, bien plus manipulables, tous ces fonctionnaires dépendant, chacun, de deux autorités, avec une préférence évidente pour celle qui ne se manifeste pas mais qui est son autorité structurelle originelle…

Que dire de ce “Haut Représentant”, sinon qu’il introduira un désordre de plus là où règne déjà le désordre. Son poids sera considérable, il sera pourtant sous l’autorité hiérarchique d’un président élu pour deux ans. Que vaudra ce président qui aura un “ministre” aussi glouton et qui sera flanqué, à rang égal, du président tournant (tous les 6 mois) de l’actuel système, ce dernier accompagné dans le type-troïka de son prédécesseur et de son successeur. Que va dire, d’autre part, le brillantissime Barroso, président de la Commission, découvrant qu’on piétine une bordure de ses plate-bandes?

«Actuellement, dit notre source, c’est la course aux nominations dans les institutions européennes. Le budget de ce nouveau poste, de ce service, sera fabuleux…» Résultat des courses? Les petits Etats-membres cherchent à restreindre le poids des grands en insistant pour donner plus de poids aux institutions – mais, d’autre part ils savent qu’ils ont peu de poids dans ces institutions… Et les grands Etats-membres? «On observe chez certains Etats, particulièrement la France, un mouvement très net de repli du communautaire, un renforcement des moyens et des objectifs de la politique nationale.» Pour notre source, la France tourne le dos à la PESD pour privilégier l’intergouvernemental, en venant à une position de type “britannique” (paradoxe apparent et conjoncturel car, sur ce point, les intérêts nationaux pèsent désormais de plus en plus). La France n’utiliserait plus la politique commune que pour des cas évidents, qui n’engagent pas des politiques fondamentales, tels que l’aide extérieure, avec des choix ponctuels qui laisseraient toute latitude à sa politique nationale de se développer. «Par bonheur, dit notre source, nous n’avons pas suivi les premières tendance, évidentes alors, des partisans de l’Europe, qui était “approfondissement d’abord, élargissement ensuite”, car nous aurions eu de toutes les façons l’élargissement qui répondait à une dynamique irrésistible. C’est-à-dire que nous aurions la situation d’aujourd’hui, mais avec des Etats complètement impuissants parce qu’ils auraient transféré la plupart des outils de leur souveraineté.» Quelle est la perspective? L’intergouvernemental, éventuellement des rassemblements limitée et ponctuels dans tel ou tel domaine, type “noyau dur”, mais hors des contraintes du carcan institutionnel. Une très classique vision des relations internationales et des alliances.

Conclusion : le traité de Lisbonne, qui devait faire l’Europe “à l’insu de notre plein gré”, va définitivement la liquider en tant que projet intégrationniste. La chose suit la trace postmoderne du “too big to fall/to fail”, qui est la voie du JSF. Une accumulation de moyens et de forces qui finissent dans l’impuissance bureaucratique et le désordre de l’absence de légitimité. L’avenir se trouve dans le développement de relations intra-européennes et de regroupements ponctuels variés, sur des bases nationales, à côté de la masse bureaucratique institutionnelle aux capacités dynamiques et politiques limitées sinon nulles. Cette réalité dichotomique sera de plus en plus en contradiction avec la rhétorique unitaire et volontiers grandiose de la communication politique, sur l’existence de l’“Europe”. Cela conduira à des surprises et de plus en plus à l’existence de deux “mondes parallèles” entre une fiction européenne et une réalité européenne.


Mis en ligne le 26 octobre 2009 à 06H26