L’Europe de LuxLeaks : “Ha ! Ha ! Said the Clown...»

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L’Europe de LuxLeaks : “Ha ! Ha ! Said the Clown...»

Nous ne vous accablerons pas, pas cette fois en tous cas, de citations et de références trop savantes, et en anglais en plus ... LuxLeaks, tout le monde connaît depuis mercredi soir, et les cent vingt mille manifestants de Bruxelles hier contre l’austérité imposée par l’Europe institutionnelle pouvaient y trouver leur tasse d’un thé goûteux. La paisible Belgique qui est la terre d’élection de l’Europe s’est trouvée, hier soir, devant une violence clôturant la manifestation (les habituels “éléments incontrôlés”, disent-ils) qui auraient pu aussi bien avoir le goût amer et inattendu de LuxLeaks.

... Là-dessus, peut-être peut-on retenir en vrac quelques phrases lapidaires, qui nous aideront à mieux distinguer, lapidairement, la situation créée par les précisions innombrables du majestueux “scandale” légal dit “LuxLeaks” révélé par quarante quotidiens “de référence”, impliquant d’une façon ou l’autre le Luxembourg qui est des pays-fondateurs de l’UE, le corporate power du monde globalisé, surtout US, la Commission européenne et son président tout neuf Jean-Claude Juncker, etc., – tous ces braves “opérateurs” du bloc BAO ... Donc, ces quelques citations qui nous permettent, nous semble-t-il, de faire un tour des ingrédients du scandale, Full Circle... • Le Grand’Duché «is like a magical fairyland», selon Stephen Shay, professeur de la Harvard Law School, connaisseur du domaine soumis à cette énorme enquête, (le Guardian du 6 novembre 2014 ; • «LuxLeaks : L’évasion fiscale, un sport national pour les géants américains», selon Anne Michel, du Monde, le 6 novembre 2014 ; • «Alors que la Commission européenne enquête, depuis juin, sur les pratiques du Luxembourg, comment peut-on croire un instant que Bruxelles pourra agir en toute indépendance avec à sa tête l'homme politique qui fut pendant dix-huit ans le Premier ministre de ce paradis fiscal ?» (Nicolas Dupont-Aignant) ; • «Ha! Ha! Said the Clown, [as] the king lost his crown...» (Manfred Mann’s Earth Band, 1967).

On peut ajouter une séquence rapide, qui permet de mesurer l’avancement des conditions de travail, de l’état d’esprit et de la psychologie, des perspectives politiques et ainsi de suite à la fois au sein de l’Europe institutionnelle et dans le marais qui l’entoure, composé des restes divers des dirigeants divers des divers États-membres. Dans les deux cas, Jean-Claude Juncker occupe la vedette, en tant que président de la Commission depuis quelques jours (Barroso, venu du brouillard humide de l’anonymat s’est évanoui dans la brume humide de l’oubli, sans tambour ni trompette, comme le Système sait congédier ses employés un peu trop ternes).

• Juncker, martial, incorruptible, intraitable, indifférent à la langue de bois, comme une sorte de Robespierre de l’intégrité dogmatique européenne. (Nous employons cette image historique du très grand chef révolutionnaire avec une crainte non déguisée de voir l’inquisition courante s’intéresser à nouveau à notre cas.) Cela se passe mardi, selon la très bruxelloise Libre Belgique du 4 novembre 2014. Il est manifeste que Juncker, en toute autorité fondée sur l’indépendance et la probité supranationales, n’a pas grand’chose à faire des chefs de gouvernement des États-membres. (On observera, l’oreille aux aguets, le silence assourdissant de la France-poire officielle, elle aussi sur la sellette mais respectueuse des autorités européennes.)

«Le Premier ministre italien Matteo Renzi a exigé mardi du “respect” pour l'Italie de la part de Bruxelles alors que le ton ne cesse de monter avec le nouveau président de la commission européenne Jean-Claude Juncker qui met en cause sa sincérité. “Je demande du respect pour l'Italie, son passé, son futur. J'insiste sur le respect que le pays mérite”, a déclaré le jeune Premier ministre de 39 ans sur le réseau social Twitter alors que Jean-Claude Juncker a accusé les chefs des gouvernements britannique et italien de mentir à leurs concitoyens à propos des négociations budgétaires en Europe.

»“Je n'ai pas aimé la façon dont certains Premiers ministres se sont comportés après le sommet”, a lancé [mardi] M. Juncker au cours d'une audition au Parlement européen sur les résultats du dernier sommet des dirigeants de l'UE. “J'ai pris des notes, et quand je compare ce qui s'est dit en salle et à l'extérieur, cela ne coïncide pas”, a-t-il affirmé. “J'ai dit à Matteo Renzi que je ne suis pas à la tête d'un gang de bureaucrates. Je suis président de la Commission européenne, une institution politique, et je veux que les Premiers ministres respectent cette institution”, a-t-il dit.»

• Dans le non moins “très bruxellois” Le Soir, du 6 novembre 2014, on a ces quelques mots sur une manifestations importantes, un de ces séminaires-Système d’autocongratulation que le Système goûte par-dessus tout, organisé à partir de jeudi après-midi par Le Soir, l’Obs et De Standaard, sous le nom des Journées de Bruxelles... Absolument dévasté par sa bonne foi exposée à l’insu de son plein gré, le nouveau président de la Commission s’est excusé de son absence, car il pensait que la chose était annulée puisque Delors, qui souffre d’une santé délicate, avait lui-même annulé. (La Voix du Nord, qui n’est pas loin de Bruxelles, avait osé un titre absolument sacrilège couronnant curieusement un texte extraordinairement insipide où l’expression LuxLeaks était absente pour cause d’indisponibilité, comme Juncker après tout : «Aux “Journées de Bruxelles”, la dérobade de Jean-Claude Juncker…» [le 6 novembre 2014.)

Le Soir, donc : «En fin d’après-midi, Jean-Claude Juncker a téléphoné aux organisateurs des “Journées de Bruxelles”, à savoir Le Soir, L’Obs et De Standaard, pour s’excuser de son absence à la conférence inaugurale. Le président de Commission européenne a indiqué qu’il avait mal compris la teneur de l’événement, et s’excuse auprès du public et de l’organisation pour son absence. “Je pensais sincèrement que l’absence de Jacques Delors allait entraîner l’annulation de l’événement. Ce ne fut pas le cas, et je regrette de ne pas avoir fait le déplacement”, a-t-il dit.»

Il est difficile de concevoir un scénario qui enchaîne mieux, en six jours de temps, – quelle vertueuse rapidité, – l’entrée en fonction du nouveau président avec le médiocre et insignifiant Barroso disparaissant par une porte dérobée, l’attitude martiale et guerrière du même exposée devant le Parlement à l’encontre des Premiers ministres italien et britannique qui foulent au pied la vertu européenne, et son absence en réalité studieuse des Journées de Bruxelles puisqu’on ne peut douter qu’il s’agissait pour le susdit nouveau président de s’informer tout de même, et de lire quelques pages intéressantes des divers organes de la presse-Système sur LuxLeaks... Juncker président de la Commission doit en effet d’urgence être mis au courant de ce à que Juncker Premier ministre du Luxembourg (1995-2013) connaît dans ses détails essentiels et les plus croustillants.

... Bien, et l’on écarte ici le sarcasme pour ne garder à l’esprit que ce superbe enchaînement des événements, comme mû par une mécanique supérieure, un enchaînement qu’un scénariste hollywoodien n’oserait imaginer tant il ressemble à une caricature outrancière d’un scénario hollywoodien. Tout s’y trouve compressé en un espace de temps ridiculement réduit, comme pour rendre la caricature grossière et totalement improbable, – et pourtant véridique, absolument véridique ... Mêler en six jours à la fois le fonctionnement impeccable des institutions européennes avec l'arrivée en fonction d'une personnalité d'un si grand poids et d'une vigueur si pleine d'alacrité, la réaffirmation superbe et sans compromis de la vocation supranationale de ces institutions destinées à effacer d’un passé qui n’existe plus les États-membres et autres nations accessoires, et une affaire de la dimension de LuxLeaks exposant l’absolue légalité de la corruption générale du Système avec tous ses ingrédients (corporate power avec l’UE favorisant les amis américanistes, faux-masque des souverainetés usurpées, chaises musicales des employés-Système passant du box des accusé à la chaise de l’accusateur, etc.), – voilà une occurrence qui rend écrasante de grandeur sublime et d’opportunité métahistorique la “vérité de la situation”.

Personne n’a jamais caché que Juncker était l’homme idoine pour éventuellement faire exploser, grâce à son franc-parler, les contradictions du Système qui caractérisent aujourd’hui l’Europe. (Voir le 28 juin 2014 et le 10 septembre 2014.) Mais l’être à ce point de nous fournir LuxLeaks sur un plateau en plus de l’installation du dictateur et de l’exposition de son franc-parler tonitruant et supranational, comme pour nous offrir un contrepoint à la fois grotesque et tragique entre la pompe furieuse de cette dictature et la pourriture que produit cette dictature à un rythme si effrénée que le dictateur furieux est déjà pourri à la base et à la tête, cela ne pouvait être prévu dans la quasi-perfection de son enchaînement et de sa coordination.

Une fois de plus, surpuissance et autodestruction, car la presse-Système, qui s’abîme dans les délices épuisants de la narrative extra-terrestre lorsqu’il s’agit de la Russie et de l’Ukraine, retrouve son rôle épisodique, aussi paradoxal que surpuissant jusqu’à l’autodestruction, d’antiSystème dans de telles occasions. (Le Guardian, avec quelques autres, avait fait de même avec la crise Snowden/NSA, avant de s’afficher comme le plus complètement corrompu dans les montages de la narrative antirusse, – dans cet étrange jeu de yoyo entre l’absolue dévotion pour le Système et les poussées de fièvre [commercialement rentables] antiSystème, disons “à l’insu de leur plein gré”.) Car, bien entendu, ce ne peut être qu’un hasard des dieux qui n’existent pas comme l’on sait, que LuxLeaks sortent dans les pattes du dictateur cinq jours après que le dictateur ait assumé ses fonctions. Quant au dictateur, puisqu’il en est question, on lui reconnaîtra du souffle de s’être lancé dans cette aventure de la présidence de la Commission avec tant d’alacrité, alors qu’il traîne une casserole d’un fer-blanc si assourdissant à ses basques. Qu’importe, Juncker reste en place et laissera l’enquête de la Commission, puis les sanctions qui s’imposent, aller à leur terme sans la moindre intervention qu’on s’imagine qu’il s’emploie déjà à préparer, – sacré pompier pyromane mettant en place l’un ou l’autre contre-feu poussif dans l’ouragan. «Ha ! Ha ! Said the Clown», puisque la couronne posé le 1er novembre sur la tête du pyromane-pompier avec les ors et les pompes qui vont bien a déjà roulé part terre. On comprend qu’il était trop occupé, Juncker, pour aller user ses culottes sur les bancs luxueux des Journées Européennes ; il lui faut récupérer sa couronne et vérifier que la tête n’a pas roulé avec elle.

Pour le reste, nouveau coup de chapeau. Le Système ne nous déçoit pas. Sa dynamique surpuissance-autodestruction est en train de devenir une valse à mille-temps à la Jacques Brel, qui tourne si vite, si follement, qu’on a de la peine à ne pas en avoir le vertige. Le spectacle, qui enchaîne vaudeville-Système sur vaudeville-Système vaut l’attention qu’on lui prête. Parfois, on en oublierait, au moins pour un instant, que tout cela est partie intégrante de la tragédie du monde, d’une tragédie qui n’a pas de précédent dans l’histoire du monde. Et puis l’on y revient, on s’en rappelle à nouveau, – et c’est bien de cela qu’il s’agit, cette tragédie sans précédent dans l’histoire du monde...


Mis en ligne le 7 novembre 2014 à 07H23

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