L’“étrange bataille” devient une crise, avec impasse grandissante

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La “bataille des soins de santé” prend de plus en plus les allures d’une crise aux USA, chassant toutes les autres considérations comme si toutes les autres crises pouvaient attendre. Deux facteurs sont apparus simultanément, les deux étant évidemment liés, cette liaison accélérant la marche vers ce qui pourrait être sinon une impasse, dans tous les cas un enlisement du débat avec la possibilité que subsistent voire augment les pressions passionnelles qu’on observe. Dans ce cas, la position d’Obama apparaît de plus en plus celle de l’enlisement.

• D’une part, il se confirme grosso modo, sans que les choses soient claires à ce propos (soit volontairement soit par indécision), que l’administration tend à reculer sur la question vitale de la participation du secteur public dans une nouvelle législation sur les soins de santé. Sur Truthdig.com, T. L. Caswell expose, le 17 août 2009, une situation où l’administation laisse entendre qu’elle pourrait ne plus considérer “l’option du service public” comme essentielle, devant l’opposition des républicains et de certains démocrates. Caswell publie la liste des parlementaires qui reçoivent des soutiens des industries de l’assurance, la première concernée pour ce cas. 46 membres du Congrès reçoivent plus de $200.000 sur une année. (BHO les bat tous, note Caswell: il a reçu $1.427.180 pour sa campagne.)

«The public option in health care reform has been slain, and the murder weapon may be a truckload of greenbacks. The Obama administration caved in recently amid slipping support for the option in Congress, where some members enjoy a very profitable relationship with big players in the health insurance industry. It appears that once again money talks, loudly.

»President Barack Obama threw in the towel Saturday when he said at a Colorado town hall meeting on health care reform: “The public option, whether we have it or we don’t have it, is not the entirety of health care reform. This is just one sliver of it. One aspect of it.” This amounted to admitting there is little chance of getting the public option through Congress, and some members who were on the fence are, after Obama’s remark and other developments, now likely to move into the camp that opposes the proposal.»

• Pour autant, la situation est loin, très loin d’être simple, en se réduisant à un renversement contre l’“option service public”. La perspective de voir l’“option du service public” réduite, sinon abandonnée dans un projet de législation conduit à une réaction des parlementaires qui en sont fortement partisans. Le Washington Post décrit, ce 18 août 2009, un paysage également chaotique. Il faut savoir en effet que ce qui est recherché par BHO, c’est une nouvelle législation qui passe “en douceur”, soit avec la majorité à la Chambre et au moins 60 voix au Sénat (pour empêcher la pratique de retardement du “filibuster” des opposants). S’il craint de ne pas les avoir dans une législation avec “l’option service public” (ce pourquoi ils louvoie), il peut également le craindre, sinon le craindre encore plus, avec une législation sans “l’option service public”… C’est là la caractéristique de ce système basé sur la corruption économique. Comme nous l’avons noté, les forces économiques ne sont pas unies, sauf dans des cas extrêmes ; elles défendent leurs intérêts, peuvent parfois se trouver en conflit d’intérêts, dans tous les cas n’ont strictement aucune conception d’un “bien commun” de leurs intérêts économiques (demander au pouvoir économique d’avoir le sens régalien, même pour lui-même, c’est demander à l’incendie d’éprouver une passion subite pour l’eau des pompiers)… Selon le Wahington Post:

«Several leading Democrats voiced concern Monday about an apparent White House shift on health-care reform, objecting to signals from senior administration officials that they would abandon the idea of a government-run insurance plan if it lacked the backing to pass Congress.

»In the Senate, where negotiations are now focused, John D. Rockefeller IV (W.Va.) said that a public option, as the plan has become known, is “a must.” Sen. Russell Feingold (Wis.) said that “without a public option, I don't see how we will bring real change to a system that has made good health care a privilege for those who can afford it.”

»House Speaker Nancy Pelosi (Calif.) said that the plan will be included in whatever bill is voted on in the House. “There is strong support in the House for a public option,” she said, though she did not demand that the administration express support for the idea. […]

»John Sweeney, president of the AFL-CIO, said the union will continue pressing House and Senate negotiators to keep a public plan. “The only way to force real competition on the insurance companies is a strong public plan option,” he said.

»Rep. Anthony Weiner (D-N.Y.), a member of the House Energy and Commerce Committee, said Obama could lose up to 100 Democratic votes in the House by abandoning the option. “I know the trade the administration made is they have gotten two or three senators, but they have lost dozens of House members,“ Weiner said.

»Democracy for America, a grass-roots group started by former Vermont governor and 2004 presidential candidate Howard Dean and now run by his brother Jim, sent an e-mail to its supporters declaring “a healthcare bill without a public option is D.O.A. in the House. Period.” Leaders of the Congressional Progressive Caucus, a group of the most liberal House members, threatened to oppose the bill if it does not include a public option.»

Obama est-il vraiment habile? L’idée que nous exprimions dans notre F&C du 17 août 2009, nous la réaffirmons plus que jamais: «D’une certaine façon, un esprit rationnel pourrait juger d’une façon réaliste (laissons les jugements de valeurs) qu’il manœuvre assez bien entre les uns et les autres, notamment entre les diverses pressions des groupes d’intérêt, qui constituent le seul tissue sérieux du système. Nous ne sommes pas de cet avis, fondamentalement, mais nous admettons sans hésitation qu’un tel jugement peut être posé. Par contre, nous sommes affirmatifs: le résultat est, pour Obama, catastrophique – et nous parlons toujours d’un point de vue réaliste, sans jugement de valeur. Il est catastrophique parce la situation psychologique des USA, dans des crises multiples et profondes, ne permet pas la réussite de cette sorte de manœuvre.»

Parlons sans ambages de la situation du lobbying, ou, en terme net, de la corruption. Nous sommes bien, aux USA en ce moment, et par conséquent aussi dans cette “étrange bataille”, dans une situation de crise générale (structure crisique) où, dans tout débat important, tous les parlementaires sont concernés. La technique habituelle de la corruption est, pour chaque groupe d’intérêts économiques, d’“arroser” ceux qui tiennent des places stratégiques pour leurs intérêts (dans les commissions spécialisés, par rapport à la structure économique de l’Etat qu’ils représentent, etc.), donc ceux qui doivent en principe influencer les autres sur les problèmes spécifiques de leurs corrupteurs. Cela marche en situation normale; mais lorsque le débat devient crise, tout le monde détermine sa propre position en fonction de ses intérêts. “Idéalement”, dans le cas actuel, il faudrait que les assurances “arrosent” immédiatement et à hauteur financière décisive tous les parlementaires pour que leurs intérêts deviennent ceux de tous. Pour l’instant, c’est une “performance” impossible parce que la législation et les convenances du système qui ne veut pas trop montrer sa corruption et entend entretenir l’apparence de la vertu l’interdisent absolument.

Effectivement, dans les cas que nous évoquons au deuxième point, on se trouve certes avec des parlementaires quasiment tous corrompus à un degré ou l’autre (sauf quelques oiseaux rarissimes), mais dont plus de 450 pour les deux chambres le sont principalement par d’autres forces que les assurances. Ces forces ne s’intéressent pas aux intérêts des assurances (absence de perception d’un “bien commun” des forces économiques) mais à la position stratégique de ceux qu’elles “sponsorent”; ces corrompus-là se fichent donc du secteurs des assurances et ne cherchent dans cette situation de crise qu’a conforter leur position parlementaire, si chère à leur propre corrupteur. En finale, conforter leur position signifie se faire réélire dans des conditions où les assurances ont peu d’influence par définition et ils retrouvent alors leur sponsor démocratique de base – dito, les électeurs, à qui il faut plaire – alors que nombre d’électeurs sont favorables à “l’option service public”. La corruption en temps de crise n’apporte nullement une corruption généralisée et unificatrice mais le désordre de l’exacerbation des différences entre les divers centres d’intérêts.


Mis en ligne le 18 août 2009 à 08H46